Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 11 mars 2023 — Frédéric Norac
Coup de roulis. Photographie © Raynaud Delage.
Créé en 1928, au Théâtre Marigny, Coups de roulis est l’ultime opérette d’André Messager qui devait mourir l’année suivante. À 75 ans sonnés, le compositeur et chef d’orchestre s’associe une nouvelle fois avec Albert Willemetz, le plus prolifique librettiste et parolier des Années folles pour créer un petit bijou d’esprit et d’invention musicale sans cesse renouvelée. Les deux complices y mêlent dans un dosage impeccable satire sociale, sentimentalisme léger et quelques moments de folie débridée, le tout portant à un degré rare de réussite les recettes d’un genre qui fit florès pendant l’Entre-deux-guerres.
Le sujet, tiré d’un roman de Maurice Larrouy (qui sans doute le tirait lui-même de son expérience d’officier de marine), met en scène un député envoyé par la Chambre inspecter le croiseur « Le Montesquieu » suite à une collision inexpliquée. Bien sûr, le député n’est pas très futé. Très imbu de lui-même et de sa fonction, il va se heurter à la résistance passive de l’équipage et du cercle des officiers. En fait, cette histoire d’inspection est vite éclipsée par une double intrigue sentimentale, car le politicien voyage avec sa fille qui lui sert de secrétaire et le commandant, un quarantenaire en mal d’amour, et l’aspirant Kermao, un Don Juan au petit pied, vont en tomber amoureux. La jeune fille elle-même, ne sachant trop elle-même où doit aller son cœur, complique nettement la situation, tandis que le député lui-même s’entiche d’une actrice en mal de succès lors d’une escale au Caire qui finit par tourner à la villégiature.
Tout ce petit monde un peu stéréotypé et son agitation un rien superficielle, est croqué avec un humour pointu et parfois même assez décapant.
Pour mettre en scène cette coproduction entre Les Frivolités parisiennes, Le Théâtre impérial de Compiègne et l’Athénée, Sol Espeche a eu l’idée d’en faire une sorte de « soap opera » dans le genre La croisière s’amuse, ce qui nous vaut un générique et quelques interludes en vidéo style « Gloire et beauté » très réussis auxquels elle a même ajouté une pause publicitaire. Avec un dispositif scénique réduit, une structure métallique évoquant les mâtures du navire, quelques rideaux pour l’épisode égyptien, elle réussit le tour de force de faire vraiment exister le bateau, le grand vent et la réception mondaine du deuxième acte. Il faut dire qu’elle est servie par une équipe épatante où tout le monde chante, danse et joue avec la même énergie et le même talent, car évidemment, vu l’omniprésence des rythmes de danse, les ensembles et les finales ne pouvaient être que chorégraphiés. Dans un plateau d’excellents chanteurs acteurs, brille particulièrement le soprano très sûr de la Béatrice de Clarice Dalles, auquel répond l’excellent baryton Christophe Gay en Aspirant Kermao. Le député de Jean-Baptiste Demora concilie une verve scénique avec une tenue vocale impeccable et le Commandant de Philippe Brocard se révèle singulièrement touchant dans un des plus beaux airs de la partition, celui nostalgique de la « quarantaine » où Willemetz joue subtilement sur le double sens du mot. Irina de Baghy incarne avec un rien d’excès et une voix un peu raide l’extravagante actrice Sola Myrrhis. Citons encore le désopilant Pinson de Guillaume Beaudoin dont l’accent canadien ajoute un petit supplément de « gouaille' à son personnage de matelot corvéable à merci et les excellents hommes d’équipage (Matthieu Septier, Celian d’Auvigny, Matthias Deau et Maxime Le Gall) formant un excellent petit chœur que vient compléter au deuxième acte un ensemble de six voix féminines également de qualité. Dans la fosse, Alexandra Cravero mène l’orchestre des Frivolités et le plateau avec un allant jamais démenti.
Notons que l’équipe presque entièrement féminine qui a œuvré sur le spectacle n’a pas tiqué sur le regard assez daté du livret sur les femmes, mais s’est amusée en contrepartie à mettre quasiment tous les hommes en short (tenue d’été oblige), voire avec des bas et pour le vieil Amiral, s’offrant pour une fois le plaisir de montrer quelques solides cuisses masculines.
On n’en finirait pas de détailler les trouvailles théâtrales et les plaisirs musicaux que recèle ce petit trésor d’une époque révolue, remarquablement “actualisé” qui amène à se demander pourquoi la musique « légère » a quasiment totalement disparu du paysage contemporain sinon dans ce genre de résurrection. Notre monde serait-il devenu si triste et si peu imaginatif qu’il ne soit plus capable de se moquer de lui-même et de le faire avec élégance et dans un langage musical immédiatement accessible, comme l’est celui de Messsager.
Prochaines représentations les 14, 15, 17, 18 et 19 mars.
Frédéric Norac
Paris, 11 mars 2023
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Lundi 13 Mars, 2023 22:05