Hardelot 25-26 juin 2022 — Frédéric Norac
Depuis douze ans, le Midsummer Festival est devenu le rendez-vous convivial des mélomanes de la Côte d’Opale et des Hauts de France, dans une région qui au plan culturel reste bien défavorisée et où les initiatives ne sont guère nombreuses du côté de la musique. Hardelot, petite station balnéaire du Pas de Calais entre Boulogne sur mer et Le Touquet s’est développée « autour » de son château, un étonnant manoir néo-Tudor, typiquement anglais, bâti sur les ruines d’un château fort du XIIIe siècle, à l’histoire longue et complexe et très liée aux rapports entre la France et l’Angleterre et à l’idée d’Entente cordiale que concrétise le drapeau mi-anglais mi-français qui flotte sur son donjon.
Le département en a fait un véritable centre culturel qui offre toute l’année des propositions où la tonalité franco-anglaise domine et y a inauguré un théâtre élisabéthain moderne tout en bois. Le festival lui-même a choisi de s’intituler « Midsummer » pour marquer cette obédience et sa programmation fait la part belle à la musique anglaise. L’édition 2022 se terminera le 1er et 2 juillet prochains par la reprise de la production de Cupid and Death de John Blow que nous avions vue et appréciée à l’Athénée en novembre dernier.
Hardelot, François Joubert-Caillet. Photographie © Pascal Brunet.
Commencé sur un dîner baroque animé par le gambiste François Joubert-Caillet (auquel nous n’étions pas), le week-end se poursuivait par un récital où le musicien parcourait sans solution de continuité le répertoire de son instrument, de Marin Marais à Carl Friedrich Abel en passant par Couperin et Forqueray, dans une infinité de nuances et de climats, tour à tour lyrique, dansant ou méditatif. Son jeu virtuose, mais sans esbroufe et toujours très expressif, communique une belle intériorité aux pièces de son programme. En ouverture, il donne une des suites les plus fameuses de Bach, la BWV 1007, où la viole de gambe, plus austère peut-être en termes de couleurs que le violoncelle, démontre qu’elle est toutefois une option possible pour l’interprétation de ces pièces et qu’elle ne doit pas être considérée comme un ancêtre de l’instrument « moderne », mais comme un parent, auquel ce répertoire est parfaitement accessible et même naturel.
Hardelot, Mezzo-sopranos triomphantes. Photographie © Pascal Brunet.
En soirée c’est un programme tout Vivaldi qui réunissait au Concert de la Loge, deux voix montantes de la jeune génération, Eva Zaïcik et Adèle Charvet. Les deux mezzos ne sauraient être plus dissemblables comme typologie vocale et comme tempérament. Le timbre d’or pur de la première s’associe à une parfaite homogénéité des registres et les grands airs cantabile, où le legato est la première qualité, lui conviennent merveilleusement. La seconde se distingue par un timbre bruni, un tempérament dramatique bouillant et un engagement physique de tous les instants. À l’instar d’une Bartoli, elle semble toujours chercher à pousser sa voix dans les extrêmes de la tessiture, ce qui donne à ses airs un captivant sentiment de mise en jeu. Quatre duos les réunissent dans une parfaite complicité et elles s’amusent dans leur bis à échanger leurs parties. Le récital vocal composé de raretés dont la plupart sont de véritables perles est enchâssé dans le cadre de la musique instrumentale, trois concertos pour violon (RV 226, 314 et 225) où brille dans toute sa splendeur le violon extraordinaire de son chef et premier violon, Julien Chauvin. Ce qui frappe d’un bout à l’autre du concert, c’est la profonde complicité qui unit le chef avec sa formation et cette sensation d’un dialogue permanent entre les cordes « aigues » et les cordes graves réparties de chaque côté du clavecin qui s’en dégage et notamment avec le premier violoncelle qui le soutient dans ses solos.
Les dimanches sont « heureux » et gratuits à Hardelot. Les deux propositions de l’après-midi, théâtrale et musicale, dont l’une trouve un cadre délicieux dans les beaux jardins qui entourent le château et la deuxième dans la petite salle du jardin d’hiver, donnent ainsi l’occasion aux visiteurs du site qui proposait cette année une très intéressante exposition sur Conan Doyle, de découvrir la multiplicité de l’offre culturelle de ce site unique.
La première est un intermède théâtral où les comédiens, Florence Jonas et Moustapha Benaïfouf, s’amusent dans un registre entre stand up et café-théâtre, à détourner quelques contes des Mille et une nuits dans une petite fiction qui met en scène leur mariage, prétexte à quelques dérapages contrôlés et surtout à une délirante parodie où transparaissent toutefois quelques allusions — un peu plus graves — à peine déguisées à leurs biographies respectives.
Hardelot, Les corsaires d'Elisabeth. Photographie © Pascal Brunet.
L’après-midi se conclut par un très beau concert du quatuor A’Dam dans un répertoire élisabéthain où figure tout le gratin de la polyphonie anglaise du XVIe siècle, Dowland, Hume, Tomkins, Tallis, Weelkes, Byrd et quelques autres moins connus, Bateseson, Pilkington, Kyrbye. En trois séquences mixant airs religieux, chansons d’amour, airs patriotiques auxquels viennent s’ajouter quelques pièces anonymes traditionnelles et quelques pièces instrumentales interprétées par le gambiste François Joubert Caillet, les quatre chanteurs — deux ténors, un baryton et une basse — nous entraînent dans un joli voyage auquel ne manque peut-être qu’un support textuel pour offrir une vraie compréhension de chacune des pièces. Si la virtuosité et la qualité des voix s’affirment pleinement dans la richesse du chant polyphonique, c’est paradoxalement dans la simplicité des chants de marin, notamment celui qui conclut le récital « Leave her, Johnny », empreint de nostalgie et interprété avec beaucoup de sensibilité, que l’émotion est la plus palpable.
Frédéric Norac
25-26 juin 2022
Le Médecin malgré lui revu par Gounod et Nicolas Rigas — La superbe Vestale de Marina Rebeka — Dialogue : un théâtre « allégorique » en musique, venu du xviiie siècle — Entre cantate et dramma per musica : le Bach « profane » de Garcia Alarcón.
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