Monaco, le 17 décembre 2022, Jean-Luc Vannier.
Sonoma. Monaco Dance Forum. Photographie © Anna Fàbrega.
Nous étions d’autant plus curieux de découvrir, vendredi 16 décembre au Grimaldi Forum, Sonoma, la nouvelle chorégraphie de Marcos Morau que nous avions encore à l’esprit son ancienne étude Siena, présentée en décembre 2014 sur le Rocher avec La Veronal, sa compagnie fondée en 2005 à Barcelone. Entre-temps il est vrai, nous avions commenté – questionné serait plus exact — son travail sur « L’orgueil » pour The Seven Sins à l’ouverture du Monaco Dance Forum de cette année.
Pas de doute : Marcos Morau persiste et signe ! Huit femmes pour Siena, neuf pour Sonoma tout comme il avait choisi cinq danseuses pour interpréter « L’orgueil » dans The Seven Sins. Plus éclatée nonobstant l’enchaînement fluide des tableaux, intégrant dans sa scénographie du matériel généralement remisé dans les coulisses – malles d’emballage, écrans de projection — pour, oserons-nous dire, l’anthropomorphiser, laissant le spectateur sans fil directeur — et ce, contrairement à Siena où pointait une réflexion sur les destinées du corps humain à partir d’un tableau de nu féminin observé par une femme dans une galerie d’art — sa nouvelle chorégraphie martèle et assène au public une rage enfiévrée : celle traitant de la corrélation entre le son et le corps. Et ce, avec encore plus d’intransigeance, encore plus d’inflexibilité : une détermination jusqu’au-boutiste en forme d’absolu dont les tenants et les aboutissants semblent parfois échapper à son auteur. Une corrélation par surcroît nourrie d’emprise réciproque, d’assuétude partagée — tantôt joliment complice, tantôt férocement rivale — et dont nous ne savons plus in fine si la cadence — cadere veut dire tomber — s’impose et « force » le soma par le rythme et les sonorités ou si, au contraire, le somatique, incapable de juguler sa frénésie pulsionnelle, expulse, projette et se libère de cette violence inouïe au moyen des vibrations sonores (voix, cris et divers bruitages signés Juan Cristobal Saavedra). Marque indélébile de Marcos Morau : les bras, avant-bras et mains foncièrement désarticulés et les hauts du corps clivés, cassés, comme privés de leur base.
Sonoma. Monaco Dance Forum. Photographie © Anna Fàbrega.
Certes, tout « message » dans le fond n’est pas absent de cette chorégraphie. À titre d’exemple, le renversement teinté de sadisme des versets bibliques autour d’une croix dans une première scène et où le maniement de cordes multiplie les possibilités interprétatives : Nornes ou Parques qui jouent avec les fils de la destinée humaine ? Irrémédiables entraves qui freinent et réduisent les désirs de l’homme, c’est-à-dire en l’espèce de la femme ? Souvent masqués, parfois encagoulés, étonnamment hypertrophiés — les deux femmes vieillies — ou poétiquement enjolivés, les visages — reflets fallacieux de la psyché ? — seraient-ils les seuls épargnés ? Force est toutefois de regretter la superficialité de ces « ambassades » : il ne suffit pas de plagier Héraclite dont l’authentique formule, nettement plus énigmatique que celle, banalisée et entendue l’autre soir « Tu ne te baigneras pas deux fois dans la même rivière », demeure : « dans le même fleuve deux fois nous descendons et ne descendons pas » (Sénèque, Lettres (LVIII) à Lucilius, Coll. « Bouquins », Robert Laffont, 1993, p. 740).
Sans doute la puissance de cette chorégraphie réside-t-elle dans l’extraordinaire énergie qui se dégage de la forme, digne d’une compétition sportive de très haut niveau. Nous ne pouvons, nous aussi, qu’être admiratifs, impression dont témoignent les acclamations enthousiastes d’un public jeune, sans doute plus épaté par le visuel de la performance physique : une synchronisation millimétrée des gestuelles d’autant plus remarquable qu’elle doit s’accorder avec de fréquentes arythmies et autres irrégularités musicales qui surgissent sans crier gare. Que d’heures de travail et de répétition pour parvenir à un tel degré de précision collective ! Sans doute aussi, une structure trilogique en filigrane vient-elle en aide à l’appréhension de cette chorégraphie aux séquences aussi déconcertantes qu’impénétrables : dans une seconde partie plus modérée, les chuchotements, voire une idylle wagnérienne mécaniquement pianotée comme celle d’une boîte à bijoux, remplacent les bruitages pour accompagner des balancements ondulatoires et harmonieux qui contrastent avec les évolutions précédentes. De quoi laisser reposer et nos yeux et nos oreilles mis à rude épreuve.
Sonoma. Monaco Dance Forum. Photographie © Anna Fàbrega.
« Nous sommes la dernière chance » s’écrient ces neuf femmes à la fin de la performance ! Ultime mise en garde dramatisée par leurs battements déchaînés sur les tambours de Calanda et dont nous disserterons à volonté de la signification. Qui habet aures audiendi, audiat !
Monaco, le 17 décembre 2022
Jean-Luc Vannier
The Seven Sins par sept chorégraphes et Gauthier Dance Company : tous n’iront pas au Paradis ! — L’opéra de Marseille déflore somptueusement Giovanna d’Arco — Pene Pati et La Damnation de Faust pour la fête nationale monégasque.
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Mardi 20 Décembre, 2022 0:40