musicologie

12 avril 2022 —— Jean-Luc Vannier.

Mahler, Liszt, Korngold et Strauss par Sarah Traubel et Helmut Deutsch : splendeur du Lied

In meinem Lied, Sarah Traubel (soprano), Helmut Deutsch (pianiste), œuvres de Mahler, Liszt, Korngold, Strauss. Aparté 2022.

« C’est seulement avec Helmut Deutsch que j’ai vraiment découvert les Lieder de Liszt et de Korngold, les Rückert-Lieder de Mahler et les Quatre derniers Lieder de Strauss, avec lesquels je vivais pourtant depuis si longtemps ».

La clé de ce superbe album In meinem Lied, paru récemment chez Aparte, réside, bien au-delà d’un vibrant hommage à l’accompagnateur des plus célèbres solistes – Diana Damrau ou bien encore Jonas Kaufmann – dans ce que les arrangements pour piano d’œuvres à l’origine orchestrales révèlent de la voix de Sarah Traubel.

Dans un fascinant entretien avec Thomas Voigt, Helmut Deutsch explique sa relation à ces Lieder telle « une devise pour [sa] propre vie », « loin du tumulte du monde » ainsi que l’exprime l’ultime pièce de Gustav Mahler « Ich bin der Welt abhanden gekommen ». Et de nous  éclairer sur son travail d’arrangement et d’accompagnement de la soprano : il retire des Rückert-Lieder « Um Mitternacht » estimant qu’il « sied bien mieux à une voix d’homme », ajoute « une partie grave d’après la partition » dans le troisième des Quatre derniers Lieder de Richard Strauss « Beim Schlafengehen », fait amende honorable pour la réduction pianistique des longs accords symphoniques au début et à la fin de « Im Abendrot » – son introduction pianistique est néanmoins envoûtante –  et, last but not least, se fait le héraut très convaincant d’une redécouverte de Franz Liszt « dont les Lieder les plus réussis ne représentent que des cas isolés, mais ce sont alors parmi les meilleurs qui existent dans le genre ».  Quant aux Drei Lieder signés Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), compositeur adulé à Vienne avant d’être contraint de faire une carrière internationale dans la musique hollywoodienne de film, il fut, selon Helmut Deutsch, « traité en Autriche comme un pestiféré après la guerre…et la brutalité avec laquelle il a été déboulonné de son piédestal m’a vraiment beaucoup touché ».

Il y a dans ces arrangements et dans le doigté d’Helmut Deutsch une sorte de paradoxe des plus stimulants : d’une ligne mélodique forcément éclaircie, épurée par rapport aux partitions d’orchestre, le pianiste sait pourtant y insuffler, par de savantes et subtiles nuances, un esprit, une incarnation, telle la fine pointe de piment qui vient relever la somptuosité du mets en lui prodiguant toute son ampleur gustative et sans laquelle cette dernière resterait ignorée. Quelle étrange sensation, par exemple, d’entendre ainsi les premiers accords de Die Lorelei et d’y surprendre à la cinquième mesure ce « simple » saut de deux notes qui fait immanquablement songer à « l’accord de Tristan » !

Passée par die Universität der Künste Berlin, diplômée de la Universität Mozarteum Salzburg ainsi que de la Manhattan School of Music à New York, Sarah Traubel nous gratifie, outre le respect scrupuleux du phonétisme germanique, d’une ligne de chant à la tessiture exigeante dans les notes hautes — éclatants aigus dans « Ich atmet’ einen linden Duft » de G. Mahler — et d’enivrantes exhortations « Komm, ach komm in meine Brust » dans le poème de Goethe « Der du von dem Himmel bist » mis en musique par F. Liszt. Elle montre une rare aisance dans l’expression très accentuée, très vivace des couleurs vocales à l’exemple de son « Vogelsang » du Frühling de Richard Strauss sur un poème de Hermann Hesse : vocalises ailées virevoltant entre les tonalités avec la légèreté d’une plume. Splendeur du Lied s’il en est.

Nice, le 12 avril 2022
Jean-Luc Vannier
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