Die stumme Serenade. Photographie © Olivier Dhénin.
Avec cette « comédie musicale » créée sans succès en 1951 à Broadway dans sa version originale anglaise, Korngold qui était devenu depuis 1935 le grand maître de la musique de film, semble avoir voulu renouer avec l'héritage de l’opérette viennoise de l’entre-deux-guerres et marcher sur les traces de Franz Lehar.
L‘oxymore du titre, Die stumme Serenade (La sérénade silencieuse), renvoie à l’univers symboliste de la première carrière du compositeur et amène à se demander si l’œuvre n’aurait pas été écrite avant ses années d'exil et oubliée dans ses tiroirs. Le livret narre l’invraisemblable histoire d’un couturier amoureux de la fiancée du gouverneur de Naples, et condamné à mort pour avoir voulu l’enlever. Ses « avatars » finiront par amener une révolution et la destitution du tyran au profit d’un anarchiste, poseur de bombes. L’intrigue, les péripéties et les personnages secondaires sont dignes d’une comédie sentimentale de l’âge d’or du cinéma hollywoodien et prétexte à de nombreux airs et duos sentimentaux ou de demi-caractère dans une veine mélodique toujours séduisante. Le style et les harmonies du compositeur lyrique et symphonique de l’avant Hollywood réapparaissent parfois dans son orchestration raffinée pour un ensemble réduit de dix instrumentistes, avec deux pianos et célesta, remarquablement servie par l’orchestre Opéra Fuoco sous la direction pleine de feu de son fondateur David Stern.
Die stumme Serenade. Photographie © Olivier Dhénin.
Avec beaucoup de justesse, Olivier Dhénin qui a assuré l’adaptation en français des dialogues et des nombreux mélodrames qui relient les airs (ici en allemand), n’a pas cherché à forcer le ton de l’œuvre. Il l'a purement et simplement installée dans l’époque qui lui convenait le mieux - quelque part entre 1920 et 1930. Surtout, sa mise en scène a gardé à cette « opérette », son caractère fantaisiste et irréaliste qui en fait tout le charme. Son décor à transformations assez sommaire mais efficace est contrebalancé par de somptueux costumes inspirés des créations de Jeanne Lanvin et le style de jeu un peu suranné possède ce ton légèrement artificiel, typique du répertoire léger. Si la jeune équipe de chanteurs et de comédiens qui soutient ce projet à la fois modeste et ambitieux aurait sans doute bénéficié d’un supplément de rodage pour donner un meilleur rythme aux passages parlés et plus de naturel dans les chorégraphies de Nina Pavlista, il faut reconnaître que, passé un premier acte légèrement emprunté, le charme de la partition s’impose et fait oublier les quelques limites d’un plateau encore un peu vert.
On distinguera en particulier la Silvia de Dania El Zein, joli timbre de lyrique léger d‘une délicate musicalité ; l’énergique Caretto de Louis Roullier dont la basse bien timbrée et le tempérament théâtral s’accordent à merveille avec son personnage de policier décalé et qui ne fait qu’une bouchée de son air syllabique. Passé son premier air, Olivier Bergeron dans le rôle du couturier fait de son mieux face à une tessiture de ténor lyrique un peu trop centrale pour sa jeune voix et compense par le style, l'homogénéité de timbre qui lui manque encore. Excellents la Louise au timbre corsé de Julie Goussot et son partenaire le Sam d’Olivier Gourdy, couple ancillaire du couple aristocratique. Une mention aussi pour Marco Angiolini très amusant dans son rôle exclusivement théâtral de tyranneau napolitain.
Die stumme Serenade. Photographie © Olivier Dhénin.
Il serait dommage que cette perle de culture si originale ne bénéficie pas d’une plus large diffusion. Une matinée et une soirée, c‘est bien peu pour une entreprise aussi intéressante et qui constitue au final la création française d‘une œuvre jusqu‘ici à peu près ignorée, d‘un compositeur décidément plein de ressources.
Frédéric Norac
11 mai 2019
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