musicologie

Marseille 2 octobre 2022 —— Jean-Luc Vannier.

Les jeunes et belles voix de Macbeth ouvrent la saison lyrique marseillaise

Anastasia Bartoli (Lady Macbeth) et Dalibor Jenis (Macbeth). Photographie © Christian Dresse.

Les atrabilaires se plaindront d’une salle occupée aux trois cinquièmes. Les optimistes relèveront avec plaisir la présence de très nombreux jeunes, venus entre amis ou en couple. Toujours est-il que Maurice Xiberras a raison : dans un récent entretien accordé au journal « La Provence », le Directeur général de l’opéra de Marseille explique qu’aujourd’hui, l’on va à l’opéra « comme au cinéma », sur un coup de tête et au dernier moment. Conséquences inattendues de la pandémie et prise en compte des incertitudes du lendemain : il est désormais vain de s’organiser et de prévoir.

Les jeunes en question n’auront sûrement pas regretté leur déplacement à l’opéra de Marseille : pour l’ouverture de la saison lyrique, ce dernier proposait samedi 1er octobre Macbeth, l’œuvre « shakespearienne » de Giuseppe Verdi et ce, dans une nouvelle distribution qui ne mérite que des éloges. Et pour cause : pas moins de quatre prises de rôle pour de jeunes artistes, aussi brillants que prometteurs.

Anastasia Bartoli (Lady Macbeth). Photographie © Christian Dresse.

Signée par Frédéric Bélier Garcia, la mise en scène, certes reprise d’une version de 2016, met en image, selon son auteur, « ce désir venimeux qui nous empoisonne nous-mêmes, cette circularité hallucinée ; mettre en scène Macbeth, c’est essayer de faire humer, sous la fable pleine de bruit et de fureur ce battement, ce martèlement plein de terreur, fébrile et sourd de l’enfance épouvantée en nous ». En témoignent par exemple les regards de fraternité d’armes mêlée de suspicion — une intensité à couper au couteau — entre Banquo et Macbeth au début de l’acte I et que le metteur en scène réitère à la fin du même acte par un subtil parallélisme des formes mais où la suspicion l’emporte sur la fraternité après l’assassinat du roi. La remarque vaut en outre pour les superbes tableaux en fin de l’acte I et de l’acte II, si généreux en densité musicale verdienne et, en particulier, pour le largo polyphonique à la fin de l’acte II qui annonce les mêmes articulations orchestrales concluant l’acte II de La Traviata créée en 1853. Autant d’éléments qui galvanisent la dramaturgie et font frissonner le public.

Pour la création de la pièce au Teatro della Pergola de Florence le 14 mars 1847, Verdi exige d’Alessandro Lanari cette « fantasmagorie » au point d’enjoindre à l’impresario florentin « de ne lésiner ni sur le nombre et sur la qualité des choristes, ni sur l’emploi d’une machinerie sophistiquée, capable de répondre au souci qu’avait le maestro de jouer sur le caractère fantastique de certaines séquences » (Pierre Milza, Verdi, Coll. « Tempus », Perrin, 2004, p. 145). Les décors de Jacques Gabel, les lumières de Dominique Bruguière ainsi que les costumes de Catherine et Sarah Leterrier accentuent l’atmosphère d’inquiétante étrangeté de cette tragédie qualifiée par Verdi dans une lettre à son librettiste Piave du 4 septembre 1846 « d’une des plus grandes créations humaines ».

Jérémy Duffau (Macduff) et Dalibor Jenis (Macbeth). Photographie © Christian Dresse.

La direction musicale de Paolo Arrivabeni constitue un gage précieux de réussite. Insufflée à l’orchestre de l’opéra de Marseille qui lui réserve un accueil chaleureux à son arrivée dans la fosse — toujours un bon présage —, l’inspiration du maestro permet de nous restituer une ouverture tellement nourrie et précise à la fois qu’elle peint devant nos yeux les figures, les lieux et les ambiances comme y parvient une « musique à thème ». La conduite des chanteurs et plus encore celle des chœurs de l’opéra de Marseille, ovationnés après leur sublime « patria oppressa » à l’acte IV — il aurait été « bissé » que nous ne nous en serions aucunement plaints — demeurent tout aussi exigeante. Leur Chef de chœur Emmanuel Trenque vient d’ailleurs d’être nommé Chef artistique des chœurs au Théâtre de la Monnaie. Nous regretterons seulement les brèves interruptions entre les enchaînements avec le risque inhérent de relâcher l’attention.

La distribution, écrivions-nous en introduction, constitue l’indéniable qualité de cette production coproduite avec l’Opéra Grand Avignon. L’apparition de Lady Macbeth à la scène 2 de l’acte I ne provoque pas seulement un saut d’octave mais aussi qualitatif : invitée pour la première fois à l’opéra de Marseille, Anastasia Bartoli — aucun lien de parenté avec Cecilia — développe une ligne de chant qui associe élégance des aigus dans son « vieni, t’affretta », puissance de projection sans oublier l’étendue remarquable d’une tessiture, elle-même enrichie par une pointe d’âpreté vocale enrobée de noirceur qui sied tant au personnage. Son grand air de l’acte IV « Una macchia è qui tuttora » pour lequel la soprano est légitimement ovationnée, fait toutefois plus songer à l’éclatement psychotique de Lucia di Lammermoor qu’à un pur somnambulisme.

Macbeth. Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

Dans le rôle-titre, Dalibor Jenis, dont nous avions loué l’interprétation de Rodrigo dans un Don Carlo à la deutsche Oper de Berlin, campe un Macbeth rongé ab initio par la culpabilité, un exécutant docile des ambitions de son épouse mais vacillant à chaque passage à l’acte : d’où une prestation vocale d’autant plus exigeante qu’elle doit constamment interrompre le potentiel de l’envolée lyrique — impeccables forte — pour sombrer et se blottir dans la retenue imposée par la fragilité et l’hésitation névrotique. Et ce, avec quelques accents proches à ce moment-là de ceux souvent exploités par Jonas Kaufmann.

Acclamé par le public, le jeune ténor Jérémy Duffau interprète le « O figli, o figli miei ! » de Macduff au début de l’acte IV avec un enthousiasme et une énergie, les deux authentiquement incarnés dans un chant débordant de nuances et de sensibilité : il avait déjà été positivement remarqué au TCE pour le même rôle. Dans leur magnifique duo vengeur accompagné des chœurs « La patria tradita », le Malcom de Nestor Galvàn lui donne une réplique du même niveau. Quant au Banquo de Nicolas Courjal, son poignant air d’adieu à son fils « Studia il passo, o mio figlio !» est ovationné par le public. Laurence Janot (la suivante de Lady Macbeth et Ortlinde dans une Walkyrie marseillaise), Emilie Bernou (2e Apparition), Pascale Bonnet-Dupeyron (3e Apparition) et Jean-Marie Delpas (Le Médecin, une Apparition et le Serviteur de Lady Macbeth) complètent cette distribution.

Dans une lettre adressée à Camille du Locle (1832-1903), librettiste et directeur d’opéra français, Giuseppe Verdi développe une véritable profession de foi tout en critiquant l’esprit français de « système » : « Je crois à l’inspiration… J’exige l’enthousiasme qui vous manque pour écouter et pour juger… Je veux l’art dans toutes ses manifestations » (Verdi, « Lettres et réflexions », Revue L’Arc, no 81, 1981, p. 8). Ce Macbeth marseillais nous l’aura prouvé.

 

Marseille, le 2 octobre 2022
Jean-Luc Vannier
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Lundi 3 Octobre, 2022 3:12