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Basilique de Saint-Denis, 16 juin 2022 — Frédéric Norac.

Entre cantate et dramma per musica : le Bach « profane » de Garcia Alarcón

Basilique de Saint-Denis, 16 juin 2022, Sophie Junker (soprano), Kacper Szelążek (contre-ténor), Mercurius, Pomona (Fabio Trümpy), Mark Milhofer (ténor), Alejandro Meerapfel (baryton), Thomas Dolié (baryton), Cappella Mediterranea, Chœur de chambre de Namur, sous la direction de Leonardo García Alarcón.

Les cantates dites « profanes » de Bach font un peu figure de parents pauvres dans le catalogue du compositeur. On les entend rarement en concert.  Parmi la vingtaine qu’il composa pendant ses années à Leipzig, deux d’entre elles sont particulièrement développées au point d’être souvent considérées comme de petits « dramma per musica », des esquisses de ces opéras que le cantor n’écrivit jamais. Leur rareté est évidemment liée à l’effectif réclamé, un grand chœur, l’orchestre au complet avec ses bois (un hautbois et un hautbois d’amour et deux flûtes) et ses cuivres (trompettes et cors) ainsi que toute la nomenclature des cordes frottées et pincées à quoi viennent s’ajouter un positif et un clavecin et pas moins de six solistes pour la première (Pan et Phébus, BWV 201) et cinq pour la seconde (Éole apaisé BWV 205). Comme le dit Leonardo Garcia Alarcón, en introduction, avec un tel effectif, on imagine plutôt donner la Messe en si, mais il est vrai que le langage de Bach n’est pas si différent et son ambition moindre ici que dans ses grandes œuvres.

La dispute entre Pan et Phébus « Geschwinde, ihr wirbelnde Winde » s’inspire de l’épisode mythologique bien connu où, pour départager leurs talents musicaux respectifs, Pan et Phébus prennent pour arbitres Tmolus et Midas. Ce dernier donne la préférence à Pan, ce qui lui vaudra de porter une paire d’oreilles d’âne, ces « longues oreilles » que Papa Mozart conseillait à Wolfgang de ménager au moment de la composition d’Idoménée. On croit reconnaître dans cet épisode comique, une allusion de Bach au mépris dont sa propre musique était l’objet à Leipzig, trop archaïsante, trop apollinienne pour séduire ses contemporains qui lui préféraient les rythmes dansants et faciles de la musique du temps qu’incarne Pan.

Le plateau joue à plein la carte « théâtrale » avec un Pan dansant déguisé en paysan et masqué (le baryton Alejandro Meerapfel), un Mercure qui apparait dans le buffet d’orgue (le contre-ténor Kacper Sezlazek) et un Momus (la soprano Sophie Junker), témoin goguenard de la dispute, confortablement installée dans un fauteuil. Si la distribution se révèle impeccable, on regrette que le ténor Fabio Trümpy, visiblement aux prises avec un problème de larynx, ne puisse donner avec plus d’assurance toute la mesure d’une conduite de voix d’une grande élégance, mais son beau timbre et sa technique lui permettent d’aller au bout de son unique air. Le moment de grâce pure est offert par le grand air de Phébus « Mich Verlangen druck'ich deine zarten Wangen », merveilleusement accompagné par la flûte traversière de Serge Saitta et soutenu par le hautbois, où le dieu exalte la beauté de son amant Hyacinthe et chante son désir. Un texte plutôt audacieux pour l’époque, auquel Thomas Dolié apporte toute la musicalité et la souplesse de son baryton bien timbré. Le chanteur (remplaçant) fait preuve également de beaucoup d’autorité dans son personnage de dieu sans pitié et sera dans la deuxième partie un Éole courroucé très convaincant.

La seconde cantate « Zerreisset, zersprenget, zerstrümmert die Gruft » s’ouvre sur une véritable turba, celle des vents en fureur que leur maître Éole va bientôt déchainer, où le chœur de Namur donne la mesure de sa virtuosité. Leonardo Garcia Alarcón, dit y voir une métaphore de la guerre que Pallas, la déesse de la Sagesse viendra calmer. Dédiée à un professeur d’université très aimé de ses élèves, la citation du nom de l’érudit, August Müller, dans ce contexte mythologique et dans le grand air de la déesse est d’un effet un peu comique. Sophie Junker s’y impose avec son soprano très pur et remarquablement projeté dans l’acoustique très favorable de la Basilique. La voix un peu pincée du contre-ténor Kacper Szelazek manque un peu d’ampleur pour le personnage de Pomone et le chœur final à l’orchestration assez complexe est un peu desservi par l’acoustique qui en brouille la structuration. Il n’importe, l’enthousiasme communicatif du chef qui chante, danse avec la musique et lui donne pleinement vie fait oublier ces petites broutilles et vaut un beau succès à un concert, somme toute plutôt exigeant en termes de répertoire, et dont il faut féliciter le Festival de Saint-Denis de l’avoir programmé et d’avoir eu la bonne idée de le surtitrer, ce qui rend ces pièces immédiatement accessibles. En bis, le chef donne une belle follia (extraite de la Cantate des Paysans) suivie justement du « Dona nobis pacem » de la Messe en Si où son introduction renvoie à des préoccupations très actuelles et où les solistes viennent se glisser parmi les membres du chœur de même tessiture.

La captation de ce concert ainsi que celle du Stabat Mater de Pergolèse peuvent être visionnées sur la page Facebook du Festival de Saint-Denis jusqu’au 31 décembre 2022.

plume_07 Frédéric Norac
16 juin 2022
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