Théâtre des Champs-Élysées, 5 mars 2021 —— Frédéric Norac.
Point d'orgue. Photographie © Vincent Pontet.
Décidément, Thierry Escaich n’a pas de chance avec ses librettistes. En 2013, Robert Badinter avait transformé Claude Gueux, le roman si puissant de Victor Hugo, en un fourre-tout idéologique bourré de clichés, sans la moindre idée dramaturgique. De son côté, Olivier Py avait encore plus chargé la barque avec une mise en scène hystérique dont surnageait à peine l’idée première de l’écrivain, un plaidoyer contre l’univers carcéral et la peine capitale, faisant du premier opéra du compositeur un naufrage cacophonique dont nous étions sortis déçus.
Avec ce Point d’orgue (dont on se demande du reste quel sens il faut donner à ce titre par rapport au scénario), le compositeur était censé donner une suite ou plutôt un pendant « masculin » à La Voix humaine de Francis Poulenc.
Hélas, Olivier Py qui s'est à son tour attelé au livret, nous inflige un pensum sadomasochiste de plus d'une heure, à l'idéologie sommaire, où apparaît Lui, l’interlocuteur muet d’Elle dans La Voix, sous les traits d'un compositeur en crise, reclus dans une chambre d’hôtel, aux prises avec L’Autre, une figure méphistophélique de gigolo, qui l’entraîne dans les bas-fonds de la dépravation homosexuelle, le tout dans une gesticulation langagière où le dramaturge étale complaisamment ses propres obsessions sur le salut et la perdition.
Point d'orgue. Photographie © Vincent Pontet.
Le résultat est un mélange de trivialité et de fausse poésie vaguement mystique (le texte est en faux alexandrins) servi dans une absence de scénario sur lequel Thierry Escaich compose une musique basée sur l’exacerbation et le cri et qui paraît souvent aussi banale que bruyante, soutenant une déclamation dont le lyrisme est tout à fait absent, à l'exclusion d'une petite trouée « vocalisante » avec l’apparition d’Elle, venue sauver l’homme de sa vie, mais qui ne parvient pas à nous sortir de la platitude et d’un univers musical rarement inspiré.
Venant après La Voix humaine et son recitar cantando si finement ciselé, son climat orchestral si riche en variations et en rupture de tons, et surtout si habilement concentré, un tel salmigondis littéraire et musical, d’une longueur éprouvante, nous dit combien la création s’est appauvrie en France depuis la fin du 20e siècle.
On sauvera la première partie du spectacle où Patricia Petibon se confronte à la gageure du monodrame si exigeant de Poulenc, avec le handicap d’un orchestre abondant, déployé sur le parterre et dont la riche sonorité a un peu tendance à absorber sa voix confrontée à une écriture assez centrale. Malgré la direction d'acteurs exagérément expressionniste d'Olivier Py, la chanteuse arrive à exprimer tout le suc amer de cette tragédie miniature dans un registre plein de nuances, entre désespoir, révolte et résignation.
Point d'orgue. Photographie © Vincent Pontet.
Dans la deuxième partie, Jean-Sébastien Bou (Lui) et Cyrille Dubois (L'autre) font ce qu’on leur demande avec beaucoup de conviction et d'abnégation, c’est-à-dire ramper, pour le premier, donner des coups, crier et gesticuler pour le second, enfin tout, sauf évidemment chanter. Malgré d’évidents moyens et une tentative d'unifier les deux œuvres par le biais d'un décor sophistiqué qui, de chambre à coucher bourgeoise où trône au-dessus du lit l'Ophélie de John Everett Millais, devient dans la seconde partie, une chambre d’hôtel contemporaine avec salle de bains et couloir, et l'apparition des personnages de la seconde partie dans la première, jusqu'à la mobilisation d’un chien qui apparaît dès La Voix humaine (inutile puisque le texte dit clairement qu’il est prostré dans l’antichambre), le résultat reste grand-guignolesque et laisse un sentiment d'artificialité, manquant de réelles bases dramatiques pour offrir au compositeur l'occasion d'une musique authentiquement théâtrale qui paraît, au final, exactement comme dans Claude il y a sept ans, écrasée par la charge du texte qu'elle doit porter.
Point d'orgue sera diffusé par France Musique dans le cadre de l'opération « Action ! Création ! » le 27 mars à 20h.
Spectacle capté les 3 et 5 mars et disponible en VOD sur le site du TCE début mai.
Frédéric Norac
5 mars 2021
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Lundi 8 Mars, 2021 3:14