Sans doute n'aurait-il pas fallu relire le texte de Victor Hugo avant. Sa sobriété, son puissant laconisme, à l'image du destin implacable de son héros, résonnent en permanence de façon contradictoire avec ce qui nous est donné à voir et à entendre dans cette adaptation dont nous espérions sans doute beaucoup trop.
Claude, Opéra de Lyon, mars-avril 2013. Photographie © Stofleth
Il y a trop de volonté démonstrative dans le livret de Robert Badinter, trop de violence systématique dans la mise en scène d'Olivier Py pour que le message humaniste d'Hugo émerge dans son évidente nudité.
Pourquoi avoir transformé la centrale de Clairvaux en un bagne totalitaire où la violence la plus gratuite se déchaîne en permanence ? Est-ce que l'horreur de l'oppression carcérale ordinaire ne suffisait pas ? Le viol d'Albin par ses codétenus rabaisse le personnage à un niveau de trivialité qui avilit aussi l'amitié quasi mystique l'unissant à Claude, devenue ici un simple dérivatif sexuel. Quant au personnage du directeur, le tortionnaire corrompu que nous présente le livret n'a plus rien à voir avec le fonctionnaire flegmatique et borné, meurtrier froid et banal que décrit Hugo et dont l'acharnement est d'autant plus terrible qu'il se donne des airs d'humanité.
Jean-Sébastien Bou (Claude). Photographie © Stofleth
Chez Hugo, Claude n'est qu'un voleur ordinaire, un pauvre hère, une sorte de Wozzeck avant la lettre, qui n'a volé que pour faire vivre sa famille — « cinq ans de prison pour trois jours de pain » — et que l'épreuve de la prison et de l'arbitraire va progressivement transformer en une sorte de saint. En faire un canut révolté pris sur les barricades fait sûrement plaisir aux Lyonnais mais dénature le personnage. De même introduire l'exploitation des prisonniers par l'industriel qui fait chanter le directeur, outre son caractère bien pensant et un rien démagogique, n'est qu'un élément parasite qui brouille le propos.
En fait, dans sa volonté d'actualisation du texte, Robert Badinter est passé à côté du potentiel dramatique du récit où chaque situation est remarquablement pensée et pesée. Le partage du pain et la communion de Claude et d'Albin, l'affrontement froid du directeur et de Claude, l'évolution psychologique du prisonnier, le procès intérieur, l'assassinat final, l'exécution, tout cela offrait un ensemble de scènes sur lesquelles pouvait se construire un développement théâtral propre à structurer à un authentique opéra.
Jean-Philippe Laffont (le directeur) et Jean-Sébastien Bou (Claude).
Photographie © Stofleth.
Telle quelle, l'absence de traitement dramatique réel laisse souvent l'impression d'assister un oratorio que la mise en scène tenterait artificiellement d'animer à force de transformations scéniques et d'agitation. Le résultat est un spectacle brouillon, chaotique, répétitif, surchargé d'effets pseudo réalistes jusqu'à la caricature, une sorte de grand guignol où passent tous les poncifs les plus éculés sur la prison.
L'écoute même de la musique en souffre. Certes l'on reconnaît dans les passages choraux et polyphoniques les intentions du compositeur et la recherche d'élévation quasi religieuse qui convenait au sujet mais parasitées par des images étrangères, envahissantes, redondantes et finalement inefficaces. Il y a chez Thierry Escaich une prolixité, une tendance à se laisser porter par l'inspiration qui n'est pas cadrée par des formes précises ni par une structure intelligible qui aurait pu et du lui être donnée en partie par le livret. Le langage tombe parfois dans une certaine banalité ou un éclectisme induits sans doute par le caractère cyclique de la construction. Le meilleur de la partition est à trouver dans les interludes symphoniques et dans les dernières scènes où la pantomime prend la première place. L'écriture vocale reste assez conventionnelle et les passages proprement lyriques assez réduits souffrent souvent des excès d'une orchestration proprement luxuriante. Les personnages s'expriment la plupart du temps dans une sorte de déclamation notée qui laisse peu de place au chant et qui malgré tout reste souvent peu intelligible.
Ricardo Ferreira (Albin) et Jean-Sébastien Bou (Claude). Photographie © Stofleth.
D'évidence l'œuvre aurait besoin d'être élaguée de certaines répétitions et aérée. Peut-être libérée du poids de sa mise en scène envahissante révélera-t-elle un potentiel imperceptible dans les conditions de la représentation.
Du côté des interprètes on saluera la remarquable performance de Jean-Sébastien Bou chez qui l'on n'attendait pas une telle présence physique et que sa stature ne destinait pas forcément à un personnage que l'on imaginerait volontiers plus imposant. Jean-Philippe Laffont incarne crânement son personnage de tyran absolu malgré une voix qui bouge désormais pas mal. Le seul élément faible est le contre-ténor Ricardo Ferreira à qui sa projection insuffisante ne permet pas de donner tout le relief souhaité au personnage d'Albin. On distinguera parmi d'excellents second rôle le jeune ténor Rémi Matthieu à la voix bien timbrée et à l'articulation parfaite et Laurent Alvaro impressionnant de sobriété mais quelque peu sous distribué dans le double rôle de l'Entrepreneur et du surveillant général. Jérémie Rhorer à la tête des choeurs de l'opéra et l'Orchestre de l'Opéra de Lyon maîtrise les déchaînements sonores comme les moments plus éthérés de la partition.
Claude, Opéra de Lyon, mars-avril 2013. Photographie © Stofleth.
Il est difficile de juger une œuvre sur une première et unique écoute mais nous ne pouvons cacher une certaine déception. Sans doute le compositeur comme le librettiste ont-ils voulu faire y entrer trop d'éléments de niveaux variés et n'ont pu dépasser l'anecdote et le contexte social et historique pour faire apparaître ce que cette histoire dans sa simplicité et au-delà de son caractère faussement linéaire portait de richesse de sens et d'implication humaine.
Frédéric Norac
Dernière représentation le dimanche 14 à 14h
Retransmission en direct sur France Musique le jeudi 11 avril à 20h.
Annonce et présentation de l'opéra
Entretien avec Thierry Escaich réalisé par Frédéric Norac