musicologie

1er juin 2021 —— Jean-Marc Warszawski.

L'ensemble Prisma et la spire hégélienne des baroqueux

Prisma, Il Transilvano, Musical bridges between Italy and Hungary around 1600. Works from Codex Caioni and hungarian Folk Music. Ambronay 2020 (AMY 312).

Enregistré à Jujurieux, 2-5 mars 2020.

L’ensemble baroque Prisma, Elisabeth Champollion (flûte à bec), Francisca Hajdu (violon), Dávid Budai (viole de gambe), Alon Sariel (luth), a gardé ses allures  de liberté et de fête pour son second cédé Ambronay, en mêlant des œuvres issues d'un collectage du xviie siècle à des airs et chansons folkloriques hongrois et à des improvisations.

C’est un cédé des plus agréables  et vivant, comme en est la tendance actuelle des baroqueux pour sortir leur répertoire de la lassitude des redites.  Il est vrai qu’ils n’ont jamais établi un « grand répertoire » propre à l’image des classico-romantiques. Leurs sources écrites étant le plus souvent très imprécises et peu normatives, leurs réalisations sont essentiellement soumises à l’imagination des transcripteurs et interprètes, même si en une cinquantaine d’années ces derniers se sont et ont imposé une stylistique d’ensemble commune. Ici ce ne sont pas les originaux qui font foi, mais les versions uniques, comme en jazz.

Si la réussite musicale de ce cédé est indéniable, la justification rhétorique du programme est une joyeuse  improvisation historique.

Certes, que deux des musiciens de Prisma soient hongrois et exercés aux musiques folkloriques de leur pays est une excellente raison pour ne pas se passer de leur savoir jouer. Par contre, penser que la musique folklorique jouée aujourd’hui peut-être représentative des xve et xvie siècle est assez fantasmagorique. D'autre part, remarquer qu’il y a des liens avec la musique italienne ancienne n’est pas étonnant, puisqu’au dix-septième siècle, les musiciens italiens ont envahi toutes les cours européennes. Par ailleurs les recherches sur les musiques populaires hongroises ont eu de grandes heures peu italiennes avec les collectages et les réinterprétations de  Zoltán Kodály ou de Béla Bartók.

Le codex Caioni, est une collection de musiques réunies par le roumain János Kájoni (1629-1687), orthodoxe converti au catholicisme, entré chez les Franciscains et Vicaire général de Transylvanie. Cette collection, notée en tablatures d’orgue,  comprend des pièces profanes et liturgiques de compositeurs italiens et allemands, conformément aux influences de l’époque, et des danses que l’on fait passer pour populaires un peu rapidement. Elles sont certainement, comme toutes les danses notées de cette époque des divertissements des classes supérieures de la société, même si elles portent des empreintes locales. À cette époque, les us et coutumes des peuples, essentiellement les paysans, les « simples », ne sont pas documentés, ne sont pas encore entrés dans l’histoire écrite.

Le « Transylvano » dialogue sur la musique de Girolamo Diruta (v. 1554-1610), un traité en dialogues dont l’un des intervenants est un  « Transylvano », on suppose une référence à Jósika venu en Italie pour négocier le mariage de Zsigmond Báthory avec Leonora Orsini, nièce du grand-duc Ferdinand Ier de Toscane, et aussi pour engager des musiciens italiens destinés à la cour de son maître. Le premier volume du Il Transilvano dialogo sopra il vero modo di sonar organi & istromenti da penna (Le dialogue transylvanien sur le véritable emploi des orgues sonant et des instruments à plume) est dédié  au prince Báthory. Les fiançailles ayant été cassées, le second volume est dédié à Leonora Orsini. Contrairement à ce qui est écrit dans le livret, les stratégies de mariages des familles princières, aussi cosmopolites soient-elles, n’ont rien à voir avec ce qu’on entend aujourd’hui quant au rapprochement des nations. Les styles de musiques circulent, au-delà des musiciens italiens qui peuplent les cours occidentales, par ces mariages princiers, et en général le cosmopolitisme de l'aristocratie qui se déplace avec ses meubles, chevaux, chiens, serviteurs en tous genres dont les musiciens. Le « Transylvano » comporte des règles, que les musiciens de Prisma ont appliquées, de diminution, c'est-à-dire la substitution d'une note, plutôt de longue durée, au profit de plusieurs autres, base tant de l'ornementation écrite que de l'improvisation.

Il y a dans cette pratique des baroqueux académiques qui se tournent vers les musiques populaires et l’improvisation, non pas une boucle, un cycle ou cercle qui se referme,  mais une spire qui s’ajoute. Elle n’est pas un simple retour au profond mouvement des années 1970, réagissant à l’industrialisation capitaliste et à la société de consommation, protestant, mais aussi fantasmant sur une pastorale et un passé pas encore corrompu : rock progressif et musiques revivalistes, sur des instruments populaires anciens, inspirées du folklore, avec des Malicorne, Maluzerne, Mélusine, Tri Yann, Alan Stivel ou Angelo Branduardi... Un vent qui a soufflé fort dans le dos des baroqueux qui semblent revenir au port après un long voyage, avec une sacrée richesse ajoutée.

 

 Jean-Marc Warszawski
1er juin 2021


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Mercredi 2 Juin, 2021 15:50