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24 janvier 2021 —— Frédéric Norac.

Alfred Bruneau sans Émile Zola

Alfred Bruneau, La Nuit de Mai, Cyrille Dubois (ténor), Jeff Cohen (piano), Vincent Figuri (récitant), Quatuor Varèse, Marie Normant (harpe), Jens MacNamana (cor), Quatuor Anches Antées. Salamandre 2020 (2 CD. 002).

Mises à part quelques pages orchestrales extraites de ses opéras, son Requiem (deux fois enregistré), et son oratorio « profane » Lazare, l'œuvre d'Alfred Bruneau reste assez méconnue, tombée dans les oubliettes de l'histoire de la musique avec celle de nombre de ses contemporains du tournant du vingtième siècle. La sienne reste indissociablement  liée à son amitié avec Émile Zola dont il mit plusieurs livrets en musique — Le Rêve et L'Attaque du moulin, parmi les plus connus — et dont il continua d'utiliser la production littéraire comme élément d'inspiration, longtemps après la mort de l'écrivain.

Cette anthologie nous le présente sous un jour bien différent, réunissant deux grands cycles de mélodies, datant de la fin de sa carrière, un mélodrame d'après Musset, et quelques pièces de musique de chambre de jeunesse.

Dans les Chants antiques de 1927, sur des poèmes d'André Chénier, Bruneau semble assumer de façon un peu tardive l'héritage debussyste, celui des Chansons de Bilitis, à la fois par le choix de poèmes d'inspiration antiquisante et par une déclamation qui module sur le phrasé des vers mais, reste très cursive et ne se laisse pas piéger par le rythme des alexandrins au demeurant très souples. La mélodie s'appuie sur une longue tessiture. De nombreux envols vers l'aigu, beaucoup de nuances et de clair-obscur qui conviennent à la voix claire de Cyrille Dubois et à sa diction parfaite. Pourtant, selon sa sensibilité ou son humeur, on pourra trouver à la longue un rien trop de préciosité dans le texte et le sens parfois semble se dissoudre dans la fluidité d'un discours musical assez uniforme qui finit par friser la monotonie.

Plus classiques, les dix mélodies de Plein Air, datées de 1932, forment à peine un cycle. Inspirées par Théophile Gautier hétérogènes, elles n'offrent pas la même unité et la coupe des vers plus variée tout comme l'inspiration poétique permettent au musicien de composer une musique plus diverse et finalement plus expressive, bien servie par le ténor et son accompagnateur. On remarquera une mise en musique de la fameuse barcarolle « Dites la jeune belle... » qui venant après celles de Berlioz et de Gounod prouve l'originalité du compositeur.

Avec La Nuit de Mai, mélodrame de 1886, sur le texte où Musset fait dialoguer le poète avec la Muse dans une vision très romantique de l'artiste qui s'achève sur la comparaison avec  le pélican se sacrifiant pour nourrir ses enfants avec ses propres entrailles, Bruneau  se confronte à un genre un peu désuet qu'il transcende par une mise en musique dont l'évidente théâtralité semble annoncer le compositeur d'opéra à venir. La voix dialogue d'abord avec la harpe en une sorte de récitatif bientôt relayé par le quatuor à cordes lorsque le texte se fait nettement plus lyrique. Vincent Figuri a fait le choix de l'interpréter dans un registre assez théâtralisé usant d'une déclamation très musicale qui n'est peut-être pas l'unique choix possible pour un texte déjà en lui-même assez chargé, d'un romantisme exacerbé, mais tel quel, le rapport de la voix parlée et de l'accompagnement musical est du plus bel effet. Complété par quelques pièces de musique de chambre des années 1880 — deux romances très Belle Époque pour violon et pour alto —, deux morceaux de genre pour violoncelle de 1877, la composition la plus ancienne connue de Bruneau pour son instrument de prédilection, un morceau de concours pour cor de 1901 et une transcription pour piano du prélude son opéra L'enfant roi (par Alfredo Casella, excusez du peu), ce double album offre un ensemble de premières discographiques très intéressantes dans des interprétations de haut niveau et  vient heureusement élargir l'image d'un compositeur souvent réduit à ses opéras et ses obédiences « naturalistes ».

Frédéric Norac
24 janvier 2021
© musicologie.org

 

CD 1.

1-10. Chants antiques, André Chénier(1927)

11-20. Plein Air, Théophile Gauthier (1932)

21 Un miracle, Jean Richepin

22. Soirée, Jean Richepin (1889)

CD 2.

1. La nuit de mai (1886)

2. Romance pour violon (1886)

3. Fantaisie pour cor (1901)

4. Romance pour alto (1886)

5-6. Deux morceaux de genre pour violoncelle et piano (1877)

7. Romance pour quatuor de clarinettes (1886)

8. Prélude de l'Enfant Roi (1902)

 


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Dimanche 24 Janvier, 2021 2:46