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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

Les sonates pour piano de Johann Nepomuk Hummel

Introduction ; sonates pour piano ; variations, rondos, fantaisies pour piano ; musique de chambre ; musique concertante.

Sonates opus 2 no 3 et opus 13

Passons sur la Première Sonate (opus 2 no 3 en ut majeur), dédiée en toute simplicité à la reine d’Angleterre : bien que témoignant d’une belle ambition instrumentale, l’œuvre reste le premier essai d’un enfant prodige de quatorze ans qui, depuis les deux années passées chez Mozart (entre huit et dix ans), passe sa vie en tournées à travers l'Europe.

De treize ans postérieure, la deuxième sonate, opus 13 en mi bémol majeur, est autrement mûre. Entre-temps (dès 1793), le jeune musicien est rentré à Vienne et a complété son bagage en étudiant le contrepoint avec Albrechtsberger et la composition avec Salieri, et cela se sent : « La virtuosité impatiente et piaffante se mue en élégance ; la texture, en demeurant mozartienne, s’enrichit ; le style galant vire au préromantique ; quand il n’y avait que de la joliesse, il y a maintenant de la grandeur ; le miracle, c’est que cela n’étrangle pas l’humour, qui sait à l’occasion reprendre ses droits. »3  Deux moments retiennent spécialement l’attention : le très préromantique adagio con gran espressione, aux nuances si délicates, et le brillant allegro con spirito final, qui se signale au passage par l’efficacité de son écriture contrapuntique.

Johann Nepomuk Hummel, Sonate opus 13 en mi bémol majeur, 1. Allegro Con Brio, 2. Adagio Con Espressione, 3. Finale, allegro Con Spirito, par Ian Hobson.

Sonate opus 20 en fa mineur

La troisième sonate fait mieux que confirmer la maîtrise démontrée dans la précédente et, en particulier dans son très beau premier mouvement aux tempi très changeants, s’en distingue par l’esprit et le style. « La Deuxièmerespirait l’optimisme, la santé, la décision. Celle-ci, plus libre, plus improvisée, nous entraîne dans des coins plus sombres de l’imaginaire. »4  Les jeux virtuoses ne sont pas totalement absents de ce premier mouvement, mais le « sentiment » y prend une place inattendue ; on sent beaucoup d’interrogations et, parfois même, une certaine mélancolie derrière tous ces silences et ces changements de ton. Et les surprises ne s’arrêtent pas là puisque, après un bel adagio maestoso tout de recueillement, l’œuvre culmine dans un presto final hautement original où le musicien semble s’être totalement « lâché » en matière d’expérimentation formelle. L’inspiration et l’audace ne lui ont pas fait défaut, en effet, dans cette étonnante construction dont Guy Sacre souligne qu’on serait bien en peine de lui trouver un moule préalablement défini ; le jeu se poursuit du reste jusqu’au bout puisque, pour pimenter le tout, Hummel s’est amusé à introduire dans la coda une citation d’un des thèmes du finale de la Symphonie Jupiter.

Johann Nepomuk Hummel, Sonate opus 20 en fa mineur, 1. Allegro moderato, 2. Adagio maestoso, Finale, par Antonio Pompa-Baldi.

Sonate opus 38 en ut majeur

L’indication Sonata di bravura qui accompagne le titre de cette quatrième sonate a l’avantage de nous mettre en garde : l’œuvre déborde de notes, de fioritures et de traits virtuoses, et s’accorde beaucoup trop de longueur pour sa maigre substance. On y trouve (deuxième thème du premier mouvement) un écho évident du finale de la sonate K 330 de Mozart, mais cela ne saurait suffire à sauver cette sonate un peu creuse qui, bien que classée quatrième sur la base de sa date de publication, pourrait bien en fait avoir été écrite beaucoup plus tôt.

Sonate opus 81 en fa dièse mineur

S’il fallait n’en retenir qu’une, ce serait sûrement cette cinquième sonate, publiée en 1819, et donc de peu antérieure à la glorieuse trilogie finale de Beethoven. « Schumann l’a beaucoup aimée, et travaillée dans son jeune âge, à la fois pour y dérouiller ses doigts, et se nourrir de cette sève romantique qu’elle laisse couler à toutes les pages, en alliant la fantaisie et l’émotion à la couleur. Mais c’est à Chopin qu’elle fait songer, en anticipant sur ses thèmes, son pianisme, souvent même son harmonie. »5  C’est particulièrement vrai du mouvement central, le largo con molto espressione, un nocturne avant l’heure (ou presque…), passionné, merveilleusement inspiré et riche de multiples raffinements d’écriture. L’allegro initial est lui-même d’une richesse considérable, en idées comme en évènements, le tout avec une imagination et une fantaisie qui, tant pis pour les inconditionnels de la forme, ne pouvaient que séduire un Schumann. Et cette œuvre aux vastes proportions (bien qu’encore en trois mouvements) ne faiblit nullement dans le vivace final : construit sur deux thèmes aux caractères nettement opposés, il fait feu de tout bois, des ressources de la virtuosité comme de celles de l’écriture contrapuntique, avec, là encore, un brio et une imagination qui éclatent dans un développement inhabituellement long et riche.

Johann Nepomuk Hummel, Sonate opus 81 en fa dièse mineur, 1. Allegro, 2. Largo, 3. Finale, par Constance Keene.

Sonate opus 106 en majeur

Composée en 1824, cette sixième et dernière, la seule des six écrite en quatre mouvements, est probablement la plus ambitieuse, et le métier y atteint des sommets. Le finale (allegro vivace), notamment, est un véritable tour de force d’écriture : « Hummel y prodigue toute sa maîtrise du contrepoint, avec des idées vivantes, un air de ne pas y toucher qui l’éloigne des professeurs de grammaire. Mais ces dix pages, nullement laborieuses, paraîtront longues à ceux pour qui tous les jeux formels ne vaudront jamais quatre lignes de sensible et spontanée musique. »6  De son côté, le deuxième mouvement, indiqué curieusement Scherzo all’antico, a le mérite d’ouvrir une perspective en direction de Schumann, mais, dans son ensemble, cette sonate au fond assez conservatrice semble surtout renvoyer au premier Beethoven. Aussi déçoit-elle inévitablement après les réussites des troisième et cinquième, d’autant plus que, malgré quelques beaux moments, elle sacrifie bien peu au sentiment et à l’émotion, de sorte que les interprètes n’ont pas la tâche aisée pour donner une âme à toutes ces notes.

Johann Nepomuk Hummel, Sonate opus 106 en majeur, 1. Allegro moderato, ma risoluto, 2. Un scherzo all' antico, 3. Larghetto a capriccio, 4. Allegro vivace, par Constance Keene

plumeMichel Rusquet
23 mai 2020

© musicologie.org

Bioghraphie détaillée de Johann Nepomuk Hummel.

Notes

1. Massin Brigitte, Histoire de la musique occidentale, Fayard, Paris 2003, p. 664.

2. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 1430

3. Ibid., p. 1433.

4. Ibid., p. 1434.

5. Ibid., p. 1436.

6. Ibid., p. 1438-1439.

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Mardi 26 Mai, 2020 5:26