Johann Sebastian Bach, Das Wholtemperierte Klavier, BWV 846-869, Chantal Stigliani (piano). Calliope 2018 (2 CD, CAL 1856).
Enregistré les 13-15 janvier 2017, temple de la rue Manin à Paris (Steinway D) ; 15-17 janvier 2017, Espace Philomuses, Paris (Steinway B).
Née à Brive-la-Gaillarde, Chantal Stigliani commence par jouer de la musique avec son père, avant de suivre les cours du Conservatoire de musique de la ville, et ceux du Conservatoire national supérieur de Paris sous la direction notamment d’Yvonne Lefébure. C’est d’ailleurs avec le Prix Debussy, créé par cette dernière au sein de son festival de Saint-Germain-en-Laye que Chantal Stigliani ouvre sa carrière de concertiste. Elle anime par ailleurs, à Paris, l’atelier d’artistes Philomuses.
Très bachisée, elle enregistre les Inventions et Sinfonias du chantre de Leipzig (Solstice 1984, réédition Calioppe), deux cédés de ses « partitas » (Solstice 1988), ses préludes et fugues, la Fantaisie chromatique, le Concerto italien (Arcobaleno 1997), les suites « anglaises » (Arcobaleno 1997), les sonates pour flûte et piano avec Gérard Bourgogne (Chevrillon-Philipe 1997, réédition Calliope 2012). En 2003 elle commet une heureuse trahison avec les œuvres pour piano de Paul Dukas (Naxos 2003), puis revient ce printemps à Bach avec le premier livre du Clavier bien tempéré.
Entre l’ombre de Glenn Gould à la recherche de la pureté musicale purgée des scories corporelles, débarrasée de la sansation du toucher ou du jeu des mécaniques, avec sa chaise percée aux pieds coupés et son piano trafiqué, et l’académisme baroque des instruments d’époque, Chantal Stigliani trace un chemin au gros Steinway moderne, sur lequel cheminerait également Johann Sebastian Bach. Pas le musicien sanctifié, pur esprit musical habitant l’éternité, mais l’homme, avec son humour, ses colères, ses épouses, ses deux dizaines d’enfants, la peine provoquée par les décès, la joie (la pianiste aime les tempi rapides), les soucis, le soutien pour les survivants, sa croyance. Cette musique « qui tient toute seule », qu’on peut jouer avec divers instruments, qu’on peut adapter tel que sans la déstructurer, jouit peut-être de cette qualité plus par son enracinement terrestre que de la nature théorique qu’on lui prête.
Pour Chantal Stigliani, cette musique, au-delà de sa beauté ineffable, exprime des sentiments. Mieux, pour elle, Le clavier bien tempéré n’est pas que clavier. Il est aussi accompagnement de luth (no 1), invitation à la prière chantée (nos 4, 8, 22), trio à deux sur basse (no 24), carillon de cloches (no 22), cantate (fugue 24), peinture harmonique (nos 1, 6, 13) [Entretien dans Pizzicato, 11 mars 2019].
C’est pourquoi, prenant le contrepied, si on peut dire, des pratiques instituées pour ce répertoire, elle utilise les trois pédales sans vergogne : la una corda qui estompe, l’harmonique qui permet les longues tenues de basses, la forte qui libère la résonance et sauve le legato dans les grands écarts où il faut sauter, et ne se soucie pas tant de la régularité et de l’égalité du toucher d’organiste. Le corps est de retour.
Au passage, nous préférons de loin le son (le piano ? La prise de son ?) du second cédé.
Prélude en fa♯ mineur BWV 859.Biographie de Johann Sebastian Bach
Jean-Marc Warszawski
13 mai 2019
ISNN 2269-9910.
Dimanche 29 Septembre, 2024