bandeau bio 840bandeau musicologie 840

Actualité . Biographies . Encyclopédie . Études . Documents . Livres . Cédés . Petites annonces . Agenda . Abonnement au bulletin . Analyses musicales . Recherche + annuaire . Contacts . Soutenir .

A B C D E F G HI J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

Dukas Paul Abraham
1865-1935

Dukas Paul

Paul Abraham Dukas.

catalogue des œuvresécritsbibliographiedocumentsdiscographie

Né à Paris le 1er octobre 1865, mort à Paris le 17 mai 1935.

Son père, Jules Dukas, après avoir été diplômé bachelier en 1848, et avoir accompli son service militaire devient commissionnaire en grains et en farine aux Halles e Paris, puis trouve emploi au crédit mobilier espagnol, où il fait une belle carrière. Il épouse Eugénie Gompertz en 1855. Elle est élève de Louise Ferrenc, une pianiste accomplie, mais ses parents ne lui permettent pas de faire carrière, ce qui semble peu convenable à cette époque pour une femme de bonne famille. Elle décède en 1870 au cours de l'accouchement de son quatrième enfant mort-né. Paul Dukas est alors âgé de 5 ans. Sa sœur aînée, Lucie Laure, née en 1856 est morte en 1864, son frère Adrien Josué Léon est né quant à lui en 1860 et Marguerite Aline Caroline en 1868.

Dukas PaulLa famille Dukas Jules, Eugénie, et ?. © BnF/ Gallica.

Il commence les études de piano, à l'âge de 8 ans avec une amie de la famille, Claire Hadamard, puis avec Pauline Royer. Il commence à composer au cours d'une convalescence à l'âge de 14 ans. Il intègre le Conservatoire deux ans plus tard.

Il suit la classe d'harmonie de Théodore Dubois, la classe de piano de Georges Mathias, mais aussi celles d'orchestration et de direction d'orchestre.

À la fin de l'année scolaire de 1883, il compose deux ouvertures, l'une sur Götz von Berlichingen de Goethe (jouée dans un concert privé en Suisse), l'autre sur le Roi Lear de Skakespeare. En septembre il passe dans la classe de composition d'Ernest Guiraud.

En 1886 et 1889, il fait le « pèlerinage » Bayreuth

Il se présente plusieurs fois au concours du Prix de Rome, n'y est admis que deux fois, obtient le second Prix en 1888, pour sa cantate Velléda . En 1889, le jury de 9 membres, dont Ambroise Thomas, Charles Gounod, Ernest Reyer, Camille Saint-Saëns et Léo Delibes, octroie 3 voix à sa cantate Sémélé.

Dépité, il quitte le conservatoire, décide de devenir critique musical, et d'accomplir son service militaire. Au 74e régiment d'infanterie à Rouen, en contacte avec le chef de musique, il n'abandonne pas toute activité musicale.

Après son service et avoir repris brièvement ses études musicales, il commence une double carrière de critique musical et de compositeur.

En 1891 il compose l'ouverture de concert de Polyeucte, qui est créée en janvier 1992, est sa première création parisienne. La première publication d'une de ses critiques sur le Ring de Wagner donné à Londres est de la même année, pour la « Revue hebdomadaire ». Jusqu'en 1901, il écrit pour «La Gazette des Beaux- arts».

Paul Dukas, ouverture de Polyeucte, Les siècles, sous la direction de François-Xavier Roth.

Il tente, toujours en 1892, la composition d'un opéra sur son propre livret, Horn et Riemenhild, mais ne compose que le premier acte. La même année, il se rend à Londres, pour entendre le Ring de Wagner. En 1895, il orchestre le premier acte de Frédégonde, un opéra de son ancien professeur Ernest Guiraud, Saint-Saëns orchestre les deux actes suivants.

En 1897, il compose la symphonie en do majeur, créée aux Concerts de l'Opéra le 3 janvier 1897 sous la direction de Paul Vidal, le dédicataire et son œuvre la plus célèbre, d'après Der Zauberlehrling, une ballade de Goethe, L'apprenti sorcier. Il en dirige la première le 18 mai 1897 à la Société Nationale des Concerts. Il acquiert dès lors une reconnaissance internationale.

Paul Dukas, symphonie en do majeur, I. Allegro non troppo vivace, ma con fuoco, II. Andante espressivo e sostenuto, III. Allegro spiritoso, enregistrement public par le Radio Philharmonisch Orkest, sous la direction de Jean Fournet, Utrecht, 16 février 1992.

Il tente une nouvelle fois la composition d'un opéra, écriture du livret compris, L'arbre de science, d'après une légende hindoue, mais abandonne le projet au profit de Ariane et Barbe bleue que Maurice Maeterlinck lui propose, fin 1899, après avoir pensé à Edvard Grieg. Dukas y consacre la plus grande partie de son temps, mais compose la sonate en mi♭ mineur, créée le 10 mai 1901 par Édouard Rissler Salle Pleyel, qui crée également les Variations, interlude et finale sur un thème de Rameau, le 23 mars 1903 a Société Nationale des Concerts.

DukasPaul Dukas à son harmonium à Eragny.

Le 6 octobre, il est en mesure de faire entendre des parties du premier acte au librettiste. La création à l'Opéra-Comique, le 10 mai 1907, avec Georgette Leblanc, la maîtresse de Maeterlinck, dans le rôle d'Ariane, fit grand bruit. On jugea l'œuvre moderne et classique, dans l'héritage de Debussy, son originalité. Dans les années immédiates, l'opéra est joué à Vienne, Francfort, Milan et New York.

En, 1910-1913, il enseigne l'orchestration au Conservatoire. Dans les années 1920, il est inspecteur de l'enseignement musical.

En 1916, il épouse Suzanne Pereyra. Leur fille Adrienne-Thérèse naît en décembre 1919.

Il ne composera plus qu'une œuvre de grande forme, La Péri « poème dansé , dédicacé à la danseuse Natalia Trouhanova, créé au Châtelet le 22 avril 1922.

De plus en plus critique sur ses productions, il n'achèvera aucun de ses grands projets, dont nous avons connaissance par sa correspondance. Il a détruit tous ces projets inachevés, à l'exception des quelques petites pièces et esquisses.

DukasPaul Dukas, dans La Revue musicale (1926).

En 1928, il reprend la classe de composition de Charles Widor au Conservatoire. Il a entre autres élèves Duruflé, Jehan Alain, Jean Langlais, Claude Arrieu, Jean Hubeau, Yvonne Lefebure, Elsa Barraine.

Entre 1892 et 1932, il a publié plus de 400 articles, pour la Revue hebdomadaire, la Chronique des Arts et de la Curiosité, La Gazette des Beaux-Arts, Le Figaro, la Revue Musicale, Le Quotidien.

Il a été membre du Conseil supérieur du Conservatoire, du Conseil des émissions radiophoniques, président de l'Union syndicale des compositeurs, officiers de la Légion d'honneur.

En décembre 1934, il reprend le fauteuil d'Alfred Bruneau à L'Académie des Beaux-Arts.

Notice Autobiographique

Cette notice autobiographique de Paul Dukas a été envoyée à Georges Humbert le 9 avril 1899 pour com pléter le « Dictionnaire de musique » de Hugo Riemann. Elle a été publiée dans l « Revue Musicale de Lyon » dirigée par Léon Vallas, dans son n° 25 (7e année) du 27 mars 1910, aux pages 746-749.

Je suis Né à Paris le 1er octobre 1865. Naturellement, je n'étais pas destiNé à faire de la musique et c'est seulement vers ma quatorzième année que je commençais à manifester quelques dispositions sérieuses : j'avais appris à pianoter comme tout le monde, et c'est spotanément que, pendant une maladie que je fis à cette époque, je mis en musique une strophe d'un choeur d'Esther de Racine. Je ne savais rien et comme je ne montrais de goût pour rien en dehors de la musique, on résolut de me la faire apprendre. J'appris seul le solfège, tout en continuant à composer en cachette, car on me l'avait défendu (!) et en 1882 je crois, ou fin 1881, Th. Dubois m'admit comme auditeur libre dans la classe d'harmonie.

Je fus un assez mauvais élève, ayant l'esprit porté à prendre le contre-pied d'un enseignement qui me semblait tout empirique. Dubois en conclut qu'il s'était trompé sur mon compte et je crois qu'il me considéra toujours comme comme un garçon subversif. Toujours est-il que, ne mettant jamais la «quarte et sixte» à l'endroit voulu, je pris part à deux concours sans résultat.

Pendant ce temps, j'étais entré, pour satisfaire mon père, dans la classe de piano de Mathias : bien qu'au bout d'un an on m'eût pris come élève, je profitai aussi mal de son enseignement que celui de Dubois. Je ne fus jamais admis à coucourir.

Toutes mes idées, à ce moment, étaient tournées vers la composition et j'écrivis entre autres une ouverture du Roi Lear que j'allai bravement porter à Pasdeloup. A ma grande joie, il m'en complimanta et me promit de l'essayer. Mais l'expérience n'eut pas lieu, grâce à mon... inexpérience : à dix-sept ans, j'ignorais encore qu'il y eût encore des copistesv et j'avais trouvé trop long le travail de récrire cet interminable morceau à tant d'exemplaires.

L'année suivante, mieux instruit, je pus m'entendre à l'orchestre, grâce à un excellent homme que vous avez sans doute connu : Hugo de Senger. Un de mes amis lui avait présenté une ouverture que j'avais écrite pour Goetz der Berlichingen et quelques mélodies. Il en fut enchanté et poussa la bonté jusqu'à rassembler son orchestre, bien qu'on ne fût pas encore dans la saison, afin de me faire entendre ma musique. Ceci se passait à Genève en septembre 1884. Je quittai la Suisse enchanté de la façon dont mon orchestre «sonnait». Néanmoins je ne fus pas joué encore cette année là.

J'entrai, à la rentrée des cours, dans la classe de Guiraud, qui m'apprit le contrepoint et la fugue. En 1886 je pris part au concours du Prix de Rome sans être admis à concourir d'essai non plus qu'en 1887, bien que j'eusse obtenu le premier prix de fugue un mois après le premier de ces concours d'essai. J'attribue le second de mes échecs auprès de l'Institut au voyage de Bayreuth que je fis en 1886. C'était alors très mal porté.

En 1888, admis enfin à concourir , j'obtins le second Grand Prix à l'unanimité avec une cantate intitulée Velléda. C'est Erlanger qui eut le premier à une vois de majorité, après plusieurs tours de scrutin où nous eûmes le même nombre de suffrages.

L'année suivante, pour me dédommager de mes déboires, on ne me donna pas de prix du tout : Gounod se mit en quatre pour m'empêcher de l'obtenir et me prodigua en revanche tous les conseile et les meilleures consolations. Saint-Saëns, au contraire, prit partie pour moi et m'engagea à persister. Il s'agissait cette année là d'une Semelée.

Ne me sentant pas d'humeur à concourir plus longtermps, je tirai ma révérence à l'Institut et partis pour le régiment où je me livrai à des occupations très antimusicales de 1889 à la fin de 90.

Je me remis au travail en 1891 et, en janvier 1892, Lamoureux acceptait et faisait entendre une ouverture de Polyeucte qui fut depuis rejouée pas Ysaÿe à Bruxelles et Sylvain Dupuis à Liège.

La même année, je terminai le poème d'un drame lyrique en trois actes Horn et Rimenbild, mais je n'en poussai pas la musique plus loin que le premier acte, m'apercevant trop tard que les développements de l'oeuvre étaient plus littéraires que musicaux.

En 1895, Saint-Saëns me choisit pour mettre au point les esquisses de la Frénégonde de Guiraud dont il écrivit les 5e et 4e actes. J'orchestrai les trois premiers. L'ouvrage eut huit ou neuf représentations.

En 1897 je donnai à l'Opéra une symphonie en trois parties qui fut fortement discutée.

La même année (en mai), j'ai conduit à la Société Nationale la première exécution d'un poème symphonique : l' Apprenti Sorcier, d'après Goethe, que les concerts Lamoureux ont joué cette année même ainsi que les concerts Ysaÿe à Bruxelles. Je travaille présentement à une sonate de piano qui sera certainement finie au moment où paraîtra le supplément que vous préparez pour le dictionnaire de Riemann, et a un drame lyrique en quatre actes L'Arbre de Science.

J'ai écrit également, en assez grand nombre, des mélodies et des choeurs, mais tout cela est et doit rester inédit.

Je suis critique musical à la Gazette des Beaux Arts et à la Revue hebdomadaire. J'ai fait partie à deux reprises du comité de la Société Nationale. Je prends part au travail de révision des œuvres de Rameau pour la grande édition de Durand : c'est moi qui suis chargé des Indes Galantes.

Pour clore des notes trop longues, mais dont vous aurez extrait l'essentiel, je tiens à vous faire part de l'admiration que j'éprouve pour H. Riemann. Ses ouvrages théoriques me sont familiers et je tiens sa découverte de la réduction de toutes harmonie à l'une des trois fonctions T, S, D, pour franchement géniale. C'est en théorie, à mon sens, le fait le plus important qui se soit produit depuis Rameau.

Croyez Monsieur, à mes sentiments de bonne confraternité artistique.

Paul Dukas


rectangle biorectangle actu rectangle texterectangle encyclo


Catalogue des œuvres

écrits

Chroniques et critiques musicales

1892-1901, La Revue Hebdomadaire
1894-1902, La Gazette des Beaux-Arts
1894-1905, La Chronique des Arts et de la Curiosité
1923-1924, Le Quotidien
1923-1932, La Revue Musicale

Bibliographie

Documents

VUILLERMOZ éMILE, Histoire de la musique, Fayard, Paris 1949 (8e éd.), p. 262-263

PAUL DUKAS (1865-1935), musicien d'élite, qui, dans notre époque friande de querelles esthétiques, de polémique: et de controverses, aura joui du privilège unique de n'être discuté par personne. En pleine mêlée, les combat tants de tous les partis ont déposé les armes pour salue sa maîtrise souveraine. Il fut l'élève de Théodore Dubois et de Guiraud, mais par l'esprit et le caractère, Pau Dukas se rattache à la lignée franckiste des grands mora. lisateurs de notre art. Il y a en lui des attitudes qui évoquent le souvenir de Franck, de Magnard et de d'Indy et pourtant sa musique échappe à toute influence directe des maîtres qui furent ses meilleurs amis. TravailIant dans un volontaire isolement, jaloux de sa liberté, plus sauvage encore que Debussy, il a ciselé dans la solitude et le silence des chefs-d'oeuvre dans lesquels un souci de la forme impeccable, le choix d'une matière sonore somptueuse et le sang-froid d'une volonté réfléchie composent une synthèse que l'on pourrait qualifier de parnassienne. La richesse verbale, la couleur éclatante, le purisme et la impassibilité de Hérédia, de Leconte de l'Isle et de Villiers de l'Isle-Adam, ce Parnassien d'avant le Parnasse, se retrouvent dans les partitions de Paul Dukas qui réussissent à provoquer l'émotion dans le domaine de l'intelligence et de la perfection réalisée.

Elles sont peu nombreuses parce qu'elles sont toutes les fruits d'une méditation prolongée. Une auto-censure impitoyable en a encore réduit le nombre. C'est ainsi qu'il ne laissa publier ni son Ouverture du Roi Lear ni celle de Goetz von Berlichingen. Toute sa gloire s'est établie sur ces piliers de marbre que sont sa S onate en mi bémol mineur pour piano, ses Variations interlude et final sur un thème de Rameau, sa Symphonie en ut majeur, son Ouverture de Polyeucte, son Apprenti Sorcier, son éblouissante Péri et son unique drame lyrique Ariane et Barbe-Bleue. La clarté, la solidité, la logique et la virtuosité supérieure qui caractérisent chacun de ces ouvrages semblent bien devoir en faire des monuments impérissables du génie français dans ce qu'il a de plus lucidement cartésien.

 

PAUL LANDORMY, La musique française après Debussy. Gallimard, Paris 1943, p. 29-34

Des rois amis, qui furent trois grands maîtres, et qui disparurent tous trois après 1918, Gabriel Fauré, Vincent d'Indy et PAUL DUKAS, le troisième est celui dont nous avons le moins à dire, d'abord parce que c'était un homme secret et qui ne se laissait pas facilement pénétrer. Même avec l'aide de son grand admirateur et fervent biographe, Gustave Samazeuilh, nous ne savons pas grand'chose de sa vie.

Nous pourrions faire l'histoire de ses travaux et de ses œuvres. Mais ils ne sont point nombreux. Paul Dukas a fort peu produit.

Il ne se croyait jamais suffisamment préparé à ses tâches par ses études et ses réflexions antérieures. Il passait de longues périodes de sa vie dans un silence d'ailleurs fécond et un fructueux recueillement. Mais le fruit en était long à mûrir. L'oeuvre restait longtemps sur le métier. Extraordinairement soucieux de, perfection, Dukas ne se jugeait jamais satisfait de lui-même et de ce qu'il avait produit. Le compte est vite fait de ce qu'il consentit à faire connaître au public : l'Ouverture pour le roi Lear (1888), la Symphonie en ut majeur (1896), l'Apprenti sorcier (1897), d'après la ballade de Goethe, qui par son étourdissant succès, le fit connaître dans le monde entier, la Sonate de piano (1900), les Variations, également pour piano, sur un thème de Rameau (1903), une des plus hautes manifestations de la pensée du compositeur, où se révèle le plus évidemment la parenté de son art avec celui de Beethoven, du Beethoven des dernières sonates et des derniers quatuors : même solidité et même hardiesse dans l'architecture, même sereine poésie du détachement et de la résignation, — de la tendresse aussi, de la tendresse très pure, exempte de sensualité, — sombres angoisses parfois suivies d'allégresse éclatante. Mais ne nous arrêterons-nous pas quelques instants à ce chef-d'oeuvre, Ariane et Barbe-Bleue (Opéra-comique, 10 mai 1907) qui, passé au répertoire de l'Opéra, demeure un des ouvrages les plus marquants de notre théâtre musical ?

Barbe-Bleue n'a pas fait périr ses femmes successives, comme on le croit. Il les a enfermées dans un souterrain sans lumière et sans liberté. Et il a épousé Ariane, qui arrive dans le château tristement fameux pleine de curiosité, comme celles qui l'y ont précédée. Elle veut savoir le secret du maître. Elle aussi, elle ouvrira la porte défendue avec la petite clef d'or tentatrice. Mais c'est dans une intention différente : « D'abord, dit-elle, il faut désobéir. C'est le premier devoir quand l'ordre est menaçant et qu'il ne s'explique pas. » Elle ne juge pas commettre une faute et ne redoute point les conséquences de son audace. Elle ne craint pas Barbe-Bleue. Elle le brave. Les paysans du voisinage le lui livrent garotté, le livrent à la vengeance de ses victimes. Mais Ariane défait les liens de Barbe-Bleue et demeure à sa merci, sûre de sa beauté et du triomphant effet de sa calme volonté. Barbe-Bleue reste interdit. Ariane alors prononce ce simple mot : «Adieu ! » et dépose un baiser sur le front de celui qu'elle va quitter pour toujours. Barbe-Bleue fait un mouvement pour la retenir. C'est en vain. Suivie de sa nourrice, Ariane se dirige vers de nouveaux destins,tandis que les autres femmes, délivrées par Ariane, qui leur a montré la beauté de la vie libre dans la lumière, entourent le maître blessé qu'elles ne veulent point abandonner, non plus que leur monotone servitude.

Mæterlinck offrait à Paul Dukas un beau poème, le poème de la délivrance, un poème plein de pensée, plein de sous-entendus symboliques, de fécondes réticences, à dessein un peu vague dans quelques-unes de ses indications, pour mieux laisser sa part à la méditation, — riche d'humanité dans son fond un peu obscur.

L'essentiel n'est pas dit.
A nous de le deviner.
A la musique de l'exprimer, pour nous y aider.

En 1910, Paul Dukas écrivit quelques pages pour servir de commentaire à la signification poétique et musicale du personnage d'Ariane. Il débutait ainsi : « Personne ne veut être délivré. La délivrance coûte cher parce qu'elle est l'inconnu et que l'homme (et la femme) préférera toujours un esclavage « familier » à cette incertitude redoutable qui fait tout le poids du « fardeau de la liberté ». Et puis, la vérité est qu'on-ne peut délivrer personne : il vaut mieux se délivrer soi-même. Non seulement cela vaut mieux, mais il n'y a que cela de possible. » Et tout le drame d'Ariane est là : elle délivre des femmes qui ne veulent pas être délivrées. Elle s'aperçoit enfin de son erreur, elle comprend qu'elle est seule à mettre sa liberté au-dessus de son amour. Cas exceptionnel, cas unique qui rend justement impraticable l'amour, la plus étroite des servitudes. Vivre libre, idéal qui met l'homme en dehors de la société, en dehors de ses semblables, en dehors de son propre bonheur. Mais où va donc Ariane après son inutile effort ?...

Après Ariane, Paul Dukas a encore composé une très belle oeuvre, la Péri, ballet créé en avril 1912 au Châtelet aux Concerts de danse de la Trouhanowa.

Mais depuis la « grande guerre » jusqu'à sa mort survenue presque subitement en 1935, on regrette qu'il n'ait plus rien donné au public, — ou si peu : une seule pièce pour piano, l'émouvante Plainte au loin du Faune, composée pour la Revue musicale, en hommage à la mémoire de Claude Debussy.

Son art est d'un savant architecte dont les procédés de construction ressemblent parfois, nous l'avons dit, à ceux du Beethoven

de la dernière manière. Ajoutons que cet art est d'une richesse somptueuse. Il emplit nos oreilles de savoureuses satisfactions que n'a jamais recherchées l'auteur de la Messe en ré et de la IXe Symphonie, et c'est en quoi il en diffère bien plus qu'il ne lui ressemble par certains côtés. La sensualité (harmonique et orchestrale) est une des plus saillantes caractéristiques du tempérament de Paul Dukas. Et cette sensualité s'allie en un singulier mélange à la haute intellectualité de ses ambitions architecturales et à son penchant si curieusement méditatif.

On a reproché à Paul Dukas de manquer d'abandon, de tendresse. Reproche très exagéré et qui n'atteint pas en particulier certaines pages si touchantes des Variations sur le thème de Rameau, auxquelles nous avons déjà fait allusion.

En tout cas, Paul Dukas possède, comme aucun autre, la force, l'éclat qui va souvent jusqu'à la splendeur éblouissante.

Il excelle à exprimer la noblesse de l'effort, la beauté morale de l'audace réfléchie, de la témérité victorieuse, de l'héroïsme. Il traduit avec autant de bonheur « la beauté physique de la lumière » et, par opposition, le «mystère tragique des ombres».

Ses dons expressifs ont d'autant plus de valeur qu'ils se révèlent dans une forme absolument parfaite.

Entre le romantisme de Vincent d'Indy et l'impressionnisme de Claude Debussy, — ses deux amis très chers, — Paul Dukas représente la tradition classique dans ce qu'elle a de plus noble, de plus fier et en même temps de plus vivant et de plus ouvert à tous les enrichissements progressifs du devenir musical.

Paul Dukas ne « s'abandonnait » pas souvent dans sa musique. Mais l'homme s'abandonnait volontiers dans l'amitié : il fut le plus sûr, le plus délicat, le plus affectueux des amis. Robert Brussel nous l'affirma, lui qui fut son ami pendant quarante années.

Cette sensibilité, elle se manifeste dans des œuvres où il faut la chercher sous une enveloppe parfois brillante, parfois sévère; mais elle n'échappe pas à qui est vraiment sensible lui-même.

Cette sensibilité, c'est ce qui lui inspire ses plus belles pages, et lui-même était le premier à s'en rendre compte. Il le disait bien : « Il faut savoi& beaucoup et faire de la musique avec ce qu'on ne sait pas. » C'est l'inconscient qui dicte les chefs-d'oeuvre.

Il était extrêmement difficile pour lui-même. Il avait un senscritique impitoyable qui s'exerçait plus sévèrement sur ses propres ouvrages que sur ceux des autres. C'est ainsi qu'il fut ameNé à mettre de côté, à renoncer à publier, à brûler des œuvres dont il a fait entendre à ses amis des fragments que ceux-ci avaient trouvés très beaux. Une 2e Symphonie, une Sonate piano et violon, une partition pour accompagner la traduction de la Tempête de Shakespeare, un drame musical, le Nouveau Monde, un poème chorégraphique, le Sang de Méduse, un morceau d'orchestre destiNé à Konssewitzky, un ballet pour l'Opéra, un poème symphonique, le Fils de la Parque, ont ainsi disparu.

Paul Dukas n'était pas seulement un grand musicien. C'était aussi un esprit très cultivé et d'une érudition extrêmement étendue. Sa bibliothèque témoignait de la variété de ses goûts. On y trouvait Dominique à côté des Balzac et des Flaubert, quelques Russes, peu d'historiens, sauf Michelet, mais des poètes en renom et des philosophes, des contes et des légendes de tous les pays. On y trouvait, Villon, Charles d'Orléans, Ronsard, du Bellay, Verlaine, Rimbaud, à côté de Goethe et de Dante. Spinoza voisinait avec Nietzsche. On y trouvait Heine, Keats, Shelley, Rémy de Gourmont, Kipling, Conrad, Sainte-Beuve, Rabelais, Chateaubriand, Epictète, Pascal, Marc-Aurèle, Renan, Emerson, Hugo, Mallarmé, Jules Laforgue, M eterlinck et bien d'autres.

Telle fut la diversité de ses goûts. Il lui répugnait d'enchaîner sa pensée à un aspect limité de la réalité, de l'univers. Telle fut la mobilité de son esprit et de ses plaisirs intellectuels ou esthétiques.

Il aimait autant Mozart que Wagner.

Pour Mozart notamment il avait une admiration sans bornes. Ses grands finals lui paraissaient être « le sommet de la musique dramatique ». Mais il savait combien Mozart échappe à la foule et ce que la musique « a perdu à cesser de s'adresser à une élite » pour parler à la masse, « incapable de se complaire à l'émotion uniquement musicale ». Et maintenant il nous est difficile d'avoir pour Mozart l'oreille de ses contemporains. « Nous pouvons nous réfugier dans son oeuvre comme dans un Eden oublié. Il ne semble pas que nous puissions nous y établir à demeure;.., le refuge est pourtant délicieux. On conçoit que, lassés des outrances et des excès de l'art d'à présent, choqués de ses éclats souvent cruels, de son apparat parfois grossier et de cette atmosphère de tremble-ment de terre qu'il fait flotter autour de lui, d'aucuns viennent y rêver et regretter... Mais que sert le regret ? Rien n'y fera : la musique ne saurait plus être un langage en soi. Nous traduisons,

sans doute parce que nous ne sommes plus assez musiciens et peut-être aussi parce que Wagner et d'autres ont passé. »

Il y a quarante-deux ans que Paul Dukas écrivait ces lignes. Il ne les aurait peut-être plus écrites aujourd'hui. Car il aurait dû tenir compte du « retour à Mozart » et de cette tendance que témoignent, depuis environ 1918, nos jeunes musiciens, et sous l'influence peut-être de Strawinsky, deuxième manière, d'écrire de la « musique pure ». Paul Dukas a trop vécu dans l'atmosphère des musiques franckiste et wagnérienne pour s'imaginer qu'on renoncerait jamais à faire de l'expression le but principal de l'art. Il songeait à tant d'inutiles « wagnéries » qu'on écrivait encore en France, au début du xxe siècle, et il avait bien raison de s'écrier alors : « La composition d'un trio comme celui du balcon, si justement admiré dans Don Juan, exige une souplesse de facture et un art des nuances, infiniment plus difficiles à rencontrer que l'habileté de combinaisons basées sur des leitmotive conventionnels. » (Ceci pour les « imitateurs » de Wagner.)

En même temps qu'un musicien Paul Dukas était un philosophe, un penseur. Autant que la richesse et la variété de ses facultés il faut en admirer le bel équilibre (1).

Notes

(1) A une matinée organisée au Châtelet par les Concerts Colonne à l'occasion du 8oe anniversaire de Vincent d'Indy, je me souviens n'avoir rencontré, de tous ses confrères les compositeurs français, outre Gustave Samazeuilh, que Paul Dukas. Aucun critique non plus n'y parut. Il n'y avait pas de Ire audition. Et quel intérêt pouvions-nous trouver à considérer le Maître conduisant lui-même (magnifiquement !) son Wallenstein dont tous les mouvements sont aujourd'hui perdus, pris de travers, indignement bousculés ?

Dukas Claude Debussy
La Boîte à Joujoux

Pauk Dukas
L'Apprenti sorcier
La Péri
)

Orchestre de le Suisse romande
Ernest Ansermet, dir.

Paul Dukas (1865-1935) : 01. l'apprenti sorcierLa Péri : 02. Fanfare ; 03 - La Périe, poème dansé
Claude Debussy : La boîte à joujoux : 04. Le Magasin des jouets ; 05. Le Champ de bataille ; 06. La Bergerie à vendre ; 07. Après fortune faite

Dukas Paul Dukas
 l'Oeuvre pour piano

Jean-François Heisser, piano

Enregistré à Orléans, salle de l'Institut, 6-8 avril 1988

HARMONIC 8824, 1988

01. Prélude élégiaque sur le thème proposé HADYN (1909) — 02. La plainte, au loin, du Faune (1920) pièce écrite pour le Tombeau de Claude DebussyVariations, Interlude et Finale sur un thème de Jean-Philippe Rameau (1902) : 03. Menuet, variations ; 04. Interlude ;  05. Finale — Sonate en mi bémol mineur (1899-1900) à Monsieur Camille Daint-Saens : 06. Modérément vite ; 07. Calme  - un peu lent - très soutenu ; 08. Vivement avec légèreté ; 09. Très lent - librement - animé

Dukas Paul Dukas
Ariane et Barbe-bleue
Conte en trois actes de Maurice Maeterlinck

Ariane, Katherine Ciesinski • Barbe-Bleue, Gabriel Bacquier • La Nourrice, Mariana Paunova • Sélysette, Hanna Schaer • Ygraine, Anne-Marie Blanzat • Mélisande, Jocelyne Chamonin • Bellangère, Michele Command • Alladine, rôle mimé • Un vieux paysan, Chris de Moor • Second paysan, André Meurant • Troisième paysan, Gilbert Chrétien
Choeur et Orchestre philharmonique de Radio France
dir. Armin Jordan
Enregistré au Studio 103, Radio-France, 1983
2 CD Erato 2292 45663 2 (1991)
Le livret sur le site Karadar

Dukas Paul Dukas
L'Œuvre pour piano

Jean Hubeau, piano

Enregistré à Paris, salle Adyar, 1987

ERATO 2292 45421
1990

Sonate en mi bémol mineur
Variations, interlude et finale

Dukas Paul Dukas
La Péri
Symphonie en ut majeur
L'Apprenti sorcier

Orchestre symphonique de Ljubljana
Laurent Petitgirard, dir.

01. Fanfare pour précéder La Péri ; 02. La Péri, poème dansé — Symphonie en ut majeur : 03. Allegro non troppio vivace, ma con fuoco ; 04. Andante espressivo e sostenuto ; 05. Allegro spiritoso ; 06. L'Apprenti sorcier (scherzo) 

Dukas Paul Dukas
La Péri
L'Apprenti sorcier
Polyeucte

Orchestre de Bordeaux-Aquitaine
Roberto Benzi, dir
Enregistré en 1985

Forlane, 1987
UCD 16545
01. Fanfare — 02. La Péri — 03. L'Apprenti sorcier — 04. Polyeucte (ouverture pour la tragédie de Corneille)

 Jean-Marc Warszawski
Page révisée le 18 janvier 2004
Révision 28 mars 2118
© Musicologie.org


logo grisÀ propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

Mercredi 7 Août, 2024

cul_2004