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Monaco, 4 février 2019 —— Jean-Luc Vannier.

L’Oiseau d’Igor Stravinsky tout feu tout flamme à l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo

Kazuki Yamada. Photographie © Jean-Charles Vinaj - OMPC.

Mis à part le titre, « Immortel », ce concert « Grande Saison » dimanche 3 février de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo à l’Auditorium Rainier III soulevait l’énigme d’avoir rassemblé dans un même programme dirigé par Kazuki Yamada, le Concerto pour piano et orchestre en la mineur, opus 16 d’Edvard Grieg interprété par Jean-Yves Thibaudet, puis, en deuxième partie, Jeux, poème dansé, version Boulez de Claude Debussy pour se terminer avec L’Oiseau de Feu, suite d’orchestre (version 1919) d’Igor Stravinsky.

Énigmatique, sauf pour la rencontre en 1911 entre Debussy et Stravinsky : laquelle se prolongea par des échanges de partitions, voire peut-être, selon d’autres spécialistes, par le ballet pour enfants La boîte à joujoux orchestré après la disparition du compositeur français par André Caplet et qui pourrait puiser quelques-unes de ses racines dans  Petrouchka.

Sans doute l’influence de Debussy, combinée avec celle de son maître Rimsky-Korsakov dont la ville de Saint-Pétersbourg célébrera en mars prochain les 175 ans de la naissance, se fait-elle bien mieux sentir dans les œuvres de l’auteur du « scandaleux » Sacre du Printemps, créé pour la petite et la grande histoire, au même Théâtre des Champs-Élysées quelques jours après Jeux.  

En première partie donc, ce concerto d’Edvard Grieg dont il faut bien reconnaître que sans l’interprétation pianistique du soliste, l’œuvre composée en 1868 ne mérite de retenir qu’une attention modeste. Certes, nous apprécions l’irruption soudaine et vigoureuse du piano au tout début qui contraste avec la douceur orchestrale, la mélodie du violoncelle (Thierry Amadi) qui fait penser à l’un des thèmes d’Eugène Onéguine créé dix années plus tard, les superbes nuances pianissimi de Jean-Yves Thibaudet, notamment dans le deuxième mouvement Adagio et qui précèdent souvent — comme une marque personnelle du compositeur — de brusques et vives accélérations requérant cette impressionnante virtuosité de la main droite dans les notes les plus hautes du clavier. Ou bien encore l’Allegro moderato molto e marcato ponctuant des allures plus martiales du final. Mais comment comprendre ce subit et large accord à l’harmonie aussi étirée qu’artificielle du deuxième mouvement ?

L’orchestre philharmonique de Monte-Carlo retrouve d’éclatantes couleurs avec l’interprétation de Jeux, la dernière œuvre du compositeur commandée par Serge de Diaghilev sur un argument léger — deux jeunes filles et un homme flirtant sur un court de tennis — dans cette version de Pierre Boulez et commentée par lui : « l’avènement d’une forme musicale qui, se renouvelant instantanément, implique un mode d’audition non moins instantané ».  Sous la direction de Kazuki Yamada qui, rendu invisible par le couvercle du piano en première partie, réapparaît dans la seconde pour montrer toute l’étendue de sa gymnique corporelle, les notes sautillent et virevoltent de pupitres en pupitres dans une sorte d’allégresse joyeuse et insouciante, accentuant cette impression de dispersion et d’éclatement sonores. Des houles facétieuses, vagues mélodiques accentuées par un phrasé cossu, subissent un balancement rendu asymétrique par la légèreté toute aérienne de ces sortes de syncopes : autant de qualités qui rendent cette interprétation à la fois lumineuse, charmante et non dénuée d’une chaude sensualité. Dans ce qui semble un océan orchestral agité, nous relèverons toutefois un curieux parallélisme des formes qui borne finalement ce morceau : dès l’introduction et dans les toutes dernières mesures, comment ne pas reconnaître un des thèmes de L’apprenti sorcier de Paul Dukas ?

L’exécution de L’Oiseau de Feu consacre le bonheur de ce concert : la direction électrique d’un maestro survolté et inventif dans sa gestuelle ainsi que l’interprétation enflammée de la phalange monégasque accentuent les brusques tutti qui densifient les lignes de cette suite d’orchestre par des peintures chatoyantes tout en respectant son insatiable liberté instrumentale. Équilibre dans le contraste maintenu en outre pour cette transition sans ménagement entre la « Ronde des Princesses » et les rythmes puissants de la « Danse infernale du roi Katchei », assortie là encore de l’ineffable douceur de la célèbre « Berceuse » confiée aux bassons. Ovation garantie et légitime du public à l’issue.

Monaco, le 4 février 2019
Jean-Luc Vannier

 

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bouquetin

Vendredi 15 Février, 2019 1:41