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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : La musique instrumentale de Wolfgang Amadeus Mozart

Les ultimes quatuors de Wolfgand Amadeus Mozart

Mozart

Les premiers Quatuors ; Quatuors dédiés à Haydn ; Ultimes quatuors.

Les quatre derniers quatuors se répartissent en deux lots nettement distincts. On a d'abord, écrit en 1786, juste après la création des Noces de Figaro, au beau milieu d'une période de production radieuse, un quatuor isolé, le K 499 en majeur « Hoffmeister », du nom d'un éditeur envers lequel le musicien semble avoir voulu s'acquitter d'une dette amicale. Puis, en 1789-1790, faisant suite au séjour que Mozart avait fait à Potsdam en avril 1789, ce seront les trois quatuors « prussiens » (K 575, 589 et 590), les trois premiers d'une série de six qui lui avait été commandée par Frédéric-Guillaume II mais qui s'arrêtera à mi-parcours. Les deux derniers seront écrits dans une période de marasme noir, où, semaine après semaine, aux prises avec des usuriers, Mozart revenait pitoyablement à la charge auprès de son ami et bienfaiteur Michael Puchberg. Une situation tellement désespérée qu'il dut se résoudre à céder à vil prix les trois quatuors qu'il avait pu achever.

Œuvre assez étrange par l'ambiguïté de son atmosphère, mais absolument magnifique, le quatuor « Hoffmeister » n'a pas la notoriété qu'il mérite. Au plan de l'écriture comme du sentiment, l'Allegretto initial est une pure merveille. Le bref Menuetto qui suit, avec ses allures de Ländler et les couleurs sombres de son trio, est aussi subtil qu'original. Amplement développé, l'Adagio déploie un cantabile d'une grande plénitude, enchaînant d'étreignants moments de tension et des retombées merveilleusement caressantes. Puis c'est l'éblouissant finale, lui-même d'une atmosphère entre chien et loup, dans lequel on a pu voir « un merveilleux chant d'oiseaux aux voix entremêlées dans un langage d'une science acérée. »52

Quatuor en majeur K 499, I. Allegretto, par le Quatuor Mosaïques.

On a souvent dit que les quatuors « prussiens » marqueraient un recul par rapport aux précédents. On n'y retrouverait pas tout à fait la densité, la sensualité et la richesse du travail thématique de la série dédiée à Haydn. Et on est tenté d'y voir le fait que, s'agissant cette fois de créer sur commande, Mozart n'aurait pas été animé de la même nécessité intérieure, ou, autre version, que, ne s'adressant plus à un éminent confrère, seul capable de le suivre, il se serait senti obligé de cultiver une certaine simplicité. Peut-être faut-il plutôt y voir une manifestation de cette recherche de transparence qui caractérise le dernier Mozart. S'il est en revanche une certitude, c'est que, comme le royal destinataire de ces quatuors était violoncelliste, le compositeur s'est astreint à repenser totalement l'écriture du quatuor, de façon à assigner au violoncelle un rôle plus avantageux qu'à l'habitude. Confronté à un problème de composition particulièrement critique, il a relevé le défi avec une maestria qui continue d'émerveiller les plus grands spécialistes, manifestant en l'occurrence, comme l'a écrit Hans Keller, « une capacité d'adaptation presque incroyable ».

Pour autant, on peut éventuellement émettre de menues réserves à propos du premier des trois, le K 575 en majeur. D'une beauté délicate, avec ses deux premiers mouvements marqués sotto voce, ce quatuor, « le plus insaisissable et le plus secret de tous, le plus lisse en apparence sous son sourire de sphinx »53 exerce certes une réelle séduction par ses vertus mélodiques et son climat de tendresse quelque peu mélancolique, mais il manque à l'évidence d'épaisseur dans ses trois premiers mouvements. Heureusement, il se rattrape par un finale splendide, marqué par un travail contrapontique aussi savant que lisse et naturel., comme si, après avoir trop longtemps freiné ses ardeurs, Mozart lâchait enfin la bride.

Quatuor en majeur K 575, IV. Allegretto, par le Quatuor Mosaïques.

Et les deux derniers, pourtant écrits au moment de la pire dépression, vont conduire à de nouveaux sommets. Le K 589 en si♭majeur, bien qu'il s'autorise encore quelques concessions à la pure mélodicité, par exemple dans les solos de violoncelle « royaux » du Larghetto, sidère d'un bout à l'autre par la façon dont Mozart exprime le désarroi et la désolation dans un langage d'une clarté et d'une pureté absolues. « C'est une œuvre qui allie paradoxalement, avec un bonheur de forme incomparable, des incompatibles : tant de clarté pour une âme plongée dans la nuit noire, tant de beauté pour des accents si acerbes et pénibles à entendre, tant de transparence pour une telle opacité psychique ! Cette oeuvre aride est presque effrayante, elle n'est pas marquée d'un vide d'inspiration, mais d'une inspiration qui donne sur le vide. Le vide dont il parle à plusieurs reprises dans ses lettres à Constance. »54

Quatuor en si♭majeur K 589, IV. Allegro assai, par le Quatuor Mosaïques.

Quant au K 590 en fa majeur, ne devrait-on pas tout simplement l'élire pour l'île déserte ? Étrangement méconnu, sans doute parce qu'il nous emmène dans des contrées bien éloignées de la séduction mozartienne à laquelle nous sommes habitués, c'est une œuvre d'exception, émouvante et tragique, d'une modernité extraordinaire, dont il faudrait — si c'était possible — détailler les richesses de ses quatre mouvements, jusqu'à évoquer cette « évasion par le haut » — non dénuée de signification spirituelle — par laquelle Mozart, à la fin de chacun d'eux, laisse la musique « s'évanouir sur la pointe des pieds, dans l'extrême-aigu. »55 Le quatuor tout entier semble refléter une lutte héroïque et incessante visant à vaincre la dépression, lutte qui devient proprement frénétique dans le prodigieux finale où, comme pour trouver l'élan vital nécessaire, Mozart semble s'engager sur la voie d'un rondo typiquement haydnien. Mais c'est pour nous emporter très vite dans un tourbillon d'une audace folle, avec des moments de furie « balkanique », « des arrêts, des départs soudains, des reprises de souffle avant de nouvelles embardées », et « des alternances continuelles [qui] nous font passer, d'une façon imprévisible, du contrepoint le plus lisse et luisant au thématisme le plus emporté, ces deux langages finissant même par s'imbriquer d'une étrange manière. »56

Quatuor en fa majeur K 590, IV. Allegro.

Adagio et Fugue en ut mineur, K 546

En marge des vingt-trois quatuors, comment ne pas évoquer — même si Mozart la destinait indifféremment au quatuor ou à un orchestre à cordes — cette œuvre isolée à laquelle il mit une dernière main en juin 1788 ? La fugue n'est autre que la transcription de la très belle fugue pour deux pianos K 426 de décembre 1783, transcription qui a pour effet de rendre plus limpide encore la texture contrapontique de l'œuvre. Mais la vraie pièce maîtresse est le prélude (Adagio) que Mozart lui a accolée au moment de cette transcription. D'une exceptionnelle profondeur expressive, il « contient des audaces harmoniques surpassant tout ce que Mozart a écrit par ailleurs. »57

Adagio et fugue en ut mineur K 546, par le Quatuor Debussy.

Notes

52. Hocquard Jean-Victor, Mozart, de l'ombre à la lumière. Jean-Claude Lattès, Paris 1993, p. 182.

Halbreich Harry, dans François-René Tranchefort (dir.), « Guide de la Musique de chambre », Fayard, Paris 1998. p. 644.

54. Hocquard Jean-Victor, op. cit., p. 199.

55. Halbreich Harry, op. cit., p. 647.

56. Hocquard Jean-Victor, op. cit., p .201.

57. Halbreich Harry, op. cit., p. 648.


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