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Musique de chambre à Giverny : la Révolution d'octobre

Aylen PritchiAylen Pritchin. Photographie © musicologie.org.

Tous les ans, à l'initiative et sous la direction du violoncelliste Michel Strauss, musique de chambre à Giverny réunit en résidence une trentaine de musiciens, des juniors parmi les plus prometteurs de leur génération et quelques séniors blanchis sous le pupitre, dans un répertoire exigeant, avec une bonne dizaine de concerts. Cette 14e session 2017 s'est tenue du 17 au 27 août. Les thèmes en étaient « La route de la soie et les Mille et une nuits», « Musique en révolution ». Franghiz Ali-Zadeh, compositrice azerbaïdjanaise en était l'invitée.

Concert du 24 août 2017, église de Saint-Pierre-d'Autils ——

Dmitri Chostakovitch, Quatuor à cordes no 13, en si bémol mineur, opus 138, dédicacé à Vadim Borissovski, composé en été 1970, créé par le quatuor Beethoven, 13 décembre 1970.

Aylen Pritchin (violon 1), Fedor Rudin (violon), Vladimir Percevic (alto), Won-Hae Lee (violoncelle).

Connu internationalement dès sa première symphonie en 1925, il a 19 ans, Chostakovitch développe jusqu'à sa mort, dix lustres plus tard, au long de cent cinquante œuvres d'une virtuosité hors du commun, un art qui semble inspiré des musiques pour films muets, lequel rapporté aux images monde tonnant et trébuchant acquiert une intense humanité, du burlesque des agitations humaines aux longues élégies, de la discorde du monde à ses tragédies. Couvert d'honneurs, mis à part des démêlés en 1936 et 1948 avec les idéologues du pouvoir, il va pourtant développer une véritable esthétique tragique dans ses dernières œuvres, noirceur peut-être relative à son état de santé dégradé.

Fedor Rudin Fedor Rudin. Photographie © musicologie.org.

Ce trio funèbre, de la fin des temps ou de la fin d'une vie,  est en un seul mouvement, mais on peut y percevoir une forme en arc : lente « montée » au climax, puis « descente » à la conclusion. L'alto, instrument central de la pièce (le dédicataire était altiste), lance le thème en notes longues de plain-chant qui s'organise en une polyphonie discordante. Un motif de trois notes brèves et sèches s'invite, comme un fragment de comptine enfantine. Depuis Moussorgski, la musique russophile montre de l'intérêt pour l'évocation des comptines enfantines. Peut-être est-ce plutôt toc-toc-toc ! La mort qui vient pour l'apéro. Enfin ce sont trois croches, c'est sûr. Les coups sur le bois des instruments, ceux du destin ? L'alto chante, c'est clairement un chant, mais le regain de vie attendue ne s'allume pas, le trio se conclut par une stridence blanche. Fin de l'émission, pas même besoin de tourner le bouton.

Une semaine après la Création à Leningrad, le trio est joué à Moscou. Sous le choc, Chostakovitch est sorti silencieux de la répétition générale. Après le concert, le public est resté debout jusqu'à ce que l'œuvre soit redonnée dans son intégralité.

Pour les accrocs de l'analyse musicale « le total chromatique » (ou série dodécaphonique), y est plusieurs fois exposé.

Solenne PaïdassiSolenne Païdassi. Photographie © musicologie.org.

Mieczysław Weinberg, Quatuor à cordes  no 13, opus 118, en un mouvement, dédicacé au quatuor Borodine, composé en 1979.

Solenne Païdassi (violon 1), Elina Buksha (violon 2), Xavier Jeannequin (alto), Zlatomir Fung (violoncelle).

Mieczysław Weinberg  ou Moishei Vainberg, lui, vient de Pologne. Il est né à Varsovie en 1919. À dix ans, il joue du piano dans le théâtre où son père musicien travaille, intègre le conservatoire en 1931. Ses capacités pianistiques gagnant en renommée, Josef Hofmann, pianiste polonais adulé, installé aux États-Unis depuis 1914, prévoit de le faire venir auprès de lui, mais le projet est rattrapé par les pogromes et la guerre. Weinberg fuit en URSS, sa famille sera assassinée au camp de Trawniki. Il entame de sérieuses études de composition au conservatoire de Minsk, où il est diplômé en 1941. Il gagne Tachkent, y épouse Nathalie, fille du directeur d'un théâtre yiddish, Solomon Mikhoels, et rencontre Chostakovitch. Rencontre qui fut selon ses propres termes, comme une nouvelle naissance. Chostakovitch devint « la première personne à laquelle il désirait montrer ses nouvelles œuvres », leur amitié dura jusqu'à la disparition de Chostakovitch en 1975.

Zlatomir Fung Zlatomir Fung. Photographie © musicologie.org.

Weinberg est au sommet de sa notoriété dans les années 1960. Même s'il n'a pas jouit de la même renommée que Sergueï Prokofiev ou que Dmitri Chostakovitch il est par l'ampleur de son œuvre leur égal.

Son catalogue est monumental (plus de 500 compositions). Son esthétique doit beaucoup à Chostakovitch. Moins fondamentalement polyphonique, on y entend des effets de motricité rythmique évoquant Igor Stravinski ou Béla Bartók. Il admirait également les œuvres de Sergueï Prokofiev et de Gustav Mahler.

Elina Buksha et michel straussElina Buksha et Michel Strauss. Photographie © musicologie.org.

Ludwig van Beethoven, Trio à cordes n° 1, opus 3, en mi bémol majeur, 1. Allegro con brio, 2. Andante, 3. Menuetto : allegro, 4. Adagio, 5. Menuetto : moderato, 6. Finale : allegro, composé en 1790-1796.

Elina Buksha (Violon), Kei Tojo (alto), Michel Strauss (violoncelle).

Il n'est pas prouvé que Beethoven ait pris des bains de pieds sur les bords de la Caspienne, mais à Karlsbad, célèbre pour ses bains, il aurait publiquement fustigé Wolfgang Goethe, devant une assemblée d'aristocrates ébahis, pour sa servilité devant le Tsar de Russie.

C'est que la devise républicaine, Liberté Égalité, Fraternité, enthousiasme Beethoven, elle lui inspire des œuvres comme la symphonie « Eroïca », l'ouverture Egmont (d'ailleurs pour une pièce de Goethe), le condamné pour s'être opposé à l'arbitraire, l'ouverture  Coriolan (un révolté), L'Ode à la joie de Schiller, utilisée dans un chœur avec piano avant d'intégrer le finale de la 9e symphonie, Fidélio, opéra féministe, avec le célèbre chœur des prisonniers. En 1790, il est l'un des souscripteurs du recueil de poésies révolutionnaires, publié par Euloge Schneider. Certes, il y a du rétropédalage quand trahissant les aspirations républicaines (un art politique bien connu), le général Bonaparte devient l'empereur Napoléon. La symphonie « Eroïca » qui lui est dans un premier temps dédicacée ne lui est plus dans le second, sans aucun troisième temps de valse-hésitation.

Kei TojoKei Tojo. Photographie © musicologie.org.

Comme ses collègues soviétiques à venir du fin fond de l'avenir, que les oracles n'ont pas encore détectés, il ne rechigne pas aux pièces de circonstance, La victoire de Wellington ou La bataille de Vitoria, appel de l'oreille pour George IV, le prince régent d'Angleterre, aussi les variations pour  piano sur God save the King : l'Angleterre offre de bons débouchés pour les musiciens. Haydn, autorisé à voyager depuis 1790 ne s'en prive pas. Politiquement plutôt mozartien selon La flûte enchantée, la lumière triomphant de l'ombre (évident dans Fidelio, où les prisonniers sortent de leurs geôles souterraines), l'aristocratie éclairée est du bon côté du manche du sceptre, ainsi compose-t-il une cantate sur la mort de Joseph II, une autre pour le couronnement de Leopold II, des commandes qui ne seront jamais exécutées.

Beethoven est à Vienne début novembre 1792, pour étudier avec Joseph Haydn, Mozart ayant pris la navette pour l'éternité. Peu après son père décède. Selon de mauvaises langues, ce fut une très mauvaise nouvelle pour l'impôt sur les alcools. Le compositeur ne quittera plus la ville. Aux premiers temps viennois, le rythme compositionnel de Beethoven ralentit. Il  doit se faire du réseau, envoyer  textos et courriels à droite et à gauche, jouer, faire jouer ses œuvres, arranger ses compositions rhénanes pour le goût viennois. Ce trio a  été composé à Bonn. La première version est de 1790-1792, la définitive de 1796.

Il est inspiré du divertimento K 563 de Mozart (un trio), la sophistication et la diversité des valeurs de durées des notes et silences des lignes mélodiques (quadruple croche à blanche pointée) et leur assise rythmique est typique de Haydn. On entend bien, comment, entre polyphonie et mélodie accompagnée, les classiques viennois ont réglé la question de la concertation, dans une espèce de contrepoint d'éléments des voix principales qui servent à l'accompagnement. Tout cela est bien guilleret, dansant même dans l'accentuation des contretemps du premier mouvement. Un peu de baume après le rouleau compresse-cœur chostakovien.

 

plume 4Jean-Marc Warszawski
4 août 2017*

Les concerts de la session 2017

1. Ode à la joie ; 2. Sur les routes de la soie ; 3. Le mythe et la musique ; 4. Au cœur des Mille et une nuits ; 5. Au bord de la Caspienne ; 6. Soirée Franco-Russe ; 7. La Révolution d'octobre ; 8. La poédsie et la musique ; 9. La révolution de l'art en musique ; 10. Deux géants de la révolution en musique ; 11. Prends garde à toi !


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