musicologie
Toulouse, 25 juin 2017, par Frédéric Norac ——

Meyerbeer : le retour ? Le Prophète au Capitole de Toulouse

Le ProphèteLe Prophète, Capitole de Toulouse, Thomas Dear (Mathisen), John Osborn (Jean de Leyde), Mikeldi Atxalandabaso (Jonas), Dimitry Ivashchenko (Zacharie). Photographie © Patrice Nin.

Chez Meyerbeer la musique est spectacle, le chant performance. Toute production d'un de ses opéras est un défi, tant la réussite exige d'investissement au niveau de la mise en scène comme des interprètes.

Inspiré de l'histoire des Anabaptistes de Munster et de leur Roi-Prophète, Jan Bockelson dit Jean de Leyde, Le Prophète, opéra de 1849, avait disparu des scènes françaises depuis 1912. Le Capitole prenait un gros risque en le remontant et, de fait, à l'issue des deux premiers actes, on en vient à se demander si le jeu valait vraiment la chandelle et pourquoi cet opéra avait tant impressionné les contemporains, de Berlioz à Théophile Gautier, et tenu l'affiche sans discontinuer pendant trois quarts de siècle à l'Opéra de Paris.

La mise en scène minimaliste et banalement illustrative de Stefano Vizioli, le plateau certes de bon niveau, mais jamais transcendant, à l'exception du remarquable trio des Anabaptistes mené par la puissante basse de Dimitry Ivashschenko, rien ne semblait à la hauteur de la légende d'une œuvre aussi célèbre que méconnue. L'impression dominante était celle d'un livret laborieux aux situations invraisemblables et d'une musique assez conventionnelle.

Le ProphèteLe Prophète, Capitole de Toulouse, Dimitry Ivashchenko (Zacharie), Mikeldi Atxalandabaso (Jonas), Thomas Dear (Mathisen), Leonardo Estévez (Le Comte d'Oberthal). Photographie © Patrice Nin.

Ce n'est qu'à partir du troisième acte que le spectacle trouve enfin son rythme et, une fois lancé, ne faiblit plus jamais. Le metteur en scène transpose alors l'action à l'époque de la création, évoquant les guerres civiles de 1848, à travers une forêt de pendus tombant des cintres et des bourgeois en haut de forme que bouscule la populace déchaînée dans la scène d'ouverture du camp des Anabaptistes en Westphalie. Si le fameux ballet des patineurs ne sort guère du classicisme en tutu et semble parfaitement étranger à cet univers sinistre, au moins à défaut de s'intégrer dans une véritable approche dramaturgique apporte-t-il une touche colorée et brillante. Le trio « bouffe » remet sur le devant les excellents anabaptistes (le puissant Zacharie et le Jonas finement insinuant de Mikeldi Atxalandabaso) et donne l'occasion au baryton Leonardo Estevez de racheter sa contre-performance du premier acte où il parait en Comte d'Oberthal perché sur un cheval de bois dans un costume d'apparat parfaitement ridicule.

Le Prophète Le Prophète, Capitole de Toulouse. © Patrice Nin.

Mais c'est surtout la grande harangue de Jean suivie de la célèbre Prière avec chœurs,  « Roi des cieux, roi des anges », qui conclut l'acte et fait monter la température de la représentation de quelques bons degrés. John Osborn, jusque-là un peu sur la réserve, y donne enfin toute la mesure d'une voix aux aigus exceptionnels et à la vaillance et à la projection impressionnante. Son incarnation magistrale s'appuie sur une articulation française impeccable et une compréhension intime du personnage qu'il a déjà incarné à Essen en avril dernier.

La montée en puissance du spectacle — et de l'œuvre elle-même — se confirme avec la fameuse scène du couronnement où, très habilement et avec des moyens finalement plutôt limités, la scénographie d'Alessandro Ciammarughi évoque les fastes d'une cathédrale illuminée, dans une ambiance à la Gustave Moreau où l'apparition dans le cortège du sacre de quelques « girls » dénudées et parées laisse présager les excès de la bacchanale du dernier tableau.

Kate Aldrich qui jusque là avait paru un peu en retrait trouve des ressources insoupçonnées pour assumer l'incroyable tessiture de mezzo dramatique de Fidès, pensée pour Pauline Viardot, et s'impose pleinement dans la véhémence survoltée de son personnage de mère bafouée. Les deux derniers tableaux se révèlent également d'une intensité superlative. Dans celui de la prison, Sofia Fomina — soprano lyrique à la vocalisation impeccable, mais au français très approximatif — donne un relief inattendu au personnage de Berthe et à son suicide en scène que précède le magnifique trio des protagonistes, quasiment a capella, si caractéristique du style de Meyerbeer. L'ensemble culmine dans une scène finale digne d'un grand film hollywoodien avec la destruction par le feu du palais où s'abiment le fils et la mère réconciliés dans la foi, tandis qu'apparait à l'avant-scène une théorie d'évêques et de dignitaires.

Le ProphèteLe Prophète, Capitole de Toulouse, Kate Aldrich (Fidès), John Osborn (Jean de Leyde). Photographie © Patrice Nin.

La direction de Claus Peter Flor, toujours attentive aux chanteurs se révèle efficace et porte sans excès le dramatisme de la partition. Un coup de chapeau aux chœurs magistraux du Capitole époustouflants de cohésion et de puissance avec une petite réserve sur la maîtrise et sa gaucherie scénique qui dépare son apparition dans la scène du couronnement.

Au final, on l'aura compris, le pari est gagné, et le compositeur comme les interprètes triomphent de toutes les réserves. On se demande tout de même si ce Prophète annonce un retour possible des grandes œuvres françaises de Meyerbeer sur nos scènes nationales. Les Huguenots, promis depuis longtemps par l'Opéra de Paris, n'ont toujours pas été programmés. La production d'Olivier Py à Bruxelles en 2011 et reprise à Strasbourg l'année suivante, en avait pourtant prouvé la validité scénique. La France  brûle souvent ses idoles comme l'a prouvé la production, désormais mythique, mais boudée par la critique parisienne en 1985, de Robert le Diable. Sans doute le public se sentirait-il offensé qu'on ose lui proposer cette musique désormais considérée par beaucoup à la suite de Wagner comme décadente et cosmopolite. En France comme ailleurs, on le sait, nul n'est prophète en son pays, fut-il son pays d'adoption.

Prochaines représentations le 27, 30 juin et 2 juillet

Frédéric Norac
25 juin 2017
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