musicologie
Paris, 28 avril 2017, par Frédéric Norac ——

L'envol des alcyons : Alcione de Marin Marais à l'Opéra-Comique

Apollon (Sebastian Monti), Alba Faivre, Maud Payen. Photographie © Vincent Pontet.

On attendait Louise Moaty au tournant de cette production à grande échelle, coproduite par Barcelone, Versailles et Caen, et quelques autres partenaires, ce qui évidemment renforce les moyens mis à sa disposition. Jusqu'ici, la metteuse en scène s'était essentiellement illustrée dans des productions plus modestes et des œuvres de plus petit format. Sa Petite renarde rusée en 2016, placée sous le signe de la lanterne magique, et son merveilleux Vénus et Adonis, en 2012, un petit bijou magnifié par la lumière naturelle des bougies, nous avaient enchanté par leur picturalité poétique. Qu'allait-elle faire de cette Alcione, tragédie en musique de quelque trois heures où le « spectaculaire » joue un rôle essentiel ?

À rebours de toute expectative, c'est dans un théâtre quasiment nu ou plutôt mis à nu qu'elle a choisi de traduire cette tragédie lyrique de 1706, déjà largement envahie par la vogue de l'opéra-ballet. Si le plateau n'est pas vide, loin de là, c'est un peu comme s'il montrait son envers. S'appuyant sur la thématique maritime du livret, elle évoque les origines du théâtre à machines avec un impressionnant jeu de câbles et de poulies qu'elle utilise pour animer la scène avec des divertissements aériens aux acrobaties époustouflantes où les contrepoids eux-mêmes se mettent à danser. Des abondantes suites de danses qui caractérisent la tragédie lyrique finissante, elle fait un mixte de pantomime et de danse mêlée d'acrobatie, voire comme dans la chaconne finale un rituel qui réunit toute la troupe, chœurs, danseurs, acrobates et même personnages disparus au cours de l'action.

Alcione (Lea Desandre). Photographie © Vincent Pontet.

Le paradoxe de cette mise en scène tient dans une surabondance qui dément le dépouillement affiché par le plateau nu. Du prologue à la fin du deuxième acte, seule la scène du mariage d'Alcione et Céix offre un moment de repos visuel au spectateur mais elle s'achève dans  la violente déconstruction de ces arches descendues des cintres qui évoquaient l'architecture du temple où elles sont célébrées. Si cet univers à mi-chemin entre cirque et théâtre de tréteaux séduit, il arrive aussi qu'il agace par son naturel de composition, par exemple ces costumes — certains d'une insigne laideur (mais il parait qu'ils ont été conçus pour protéger les chanteurs des risques qu'ils encourent à traverser cet univers acrobatique) — qui cachent leur sophistication sous un style faussement « improvisé » et frôlent souvent le kitsch quand ils ne touchent pas aux limites du ridicule.

Dans les scènes intimes, singulièrement de la deuxième partie où elles sont plus nombreuses, on retrouve bien sûr la délicatesse de touche de sa direction d'acteurs. Le spectaculaire y est plus conventionnel comme dans ce troisième acte où, dans un univers de voiles blanches, se joue en ombres chinoises la grande tempête du naufrage de Ceix qu'Alcione voit en rêve ou cette apparition pleine d'humour du Sommeil suspendu aux cintres dans une sorte de robe-couette.

Alcione (Lea Desandre), Ceix (Cyril Auvity). Photographie © Vincent Pontet.

Peut-être un peu plus de sobriété n'aurait-elle pas nui à la pertinence du spectacle. Il n'en reste pas moins souvent jubilatoire et parfois magique, même si ce n'est que de façon intermittente.

Du côté vocal, le plateau se recommande par son homogénéité et fait honneur à la jeune génération des chanteurs « baroques ». Léa Desandre se révèle une Alcione touchante au timbre séduisant et au chant très expressif. L'élégant Ceix de Cyril Auvity, au médium chaleureux, souffre par intermittences d'un registre aigu un peu étroit qui ne suffit pas aux exigences de ce rôle de pure haute-contre. Le baryton clair de Marc Mauillon et sa diction impeccable, alliés à ses talents d'acteurs, compensent largement ce que l'instrument manque en harmoniques graves, ce qui n'est pas le cas de celui de Lisandro Abadie que sa voix superbement timbrée de baryton-basse rend extrêmement convaincant dans le double rôle de Pan et du méchant Phorbas. Jolie voix chez l'Ismène de Hasnaa Bennani qui manque toutefois un peu de projection pour donner tout le relief voulu à son rôle de sorcière.  Antonio Abete parait plus bouffe que basse, notamment dans le rôle de Neptune où il apparait affublé d'une invraisemblable coiffe. Quelques limites et incertitudes chez des seconds rôles encore en formation — une des confidentes d'Alcione, le Phosphore de Gabriel Jublin ou l'Apollon de Sebastian Monti — n'atténuent pas la réussite musicale d'un ensemble qui doit beaucoup à la direction de Jordi Savall et à la qualité des chœurs et des instrumentistes du Concert des Nations. Au final, quelques réserves sur une production parfois un peu inflationniste n'entachent en rien le plaisir de découvrir une partition somptueuse dont c'était sans doute la première apparition sur une scène depuis 1771 et qui prouve qu'entre les dernières tragédies de Lully et  le règne de l'opéra-ballet, vingt-cinq avant même l'apparition de Rameau, le genre lyrique français avait su se renouveler.

Pélée (Marc Mauillon), Alcione (Lea Desandre). Photographie © Vincent Pontet.

Prochaines représentations les 2, 4, 6 et 7 mai

Diffusion en direct sur Culture Box et Mezzo live HD le 6 mai

Enregistrement diffusé sur France Musique le 21 mai 

Frédéric Norac
28 avril 2017
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