« Il diluvio universale » de Falvetti à Versailles. Photographie © D. R.
Comme le disait au public Leonardo García Alarcón à l'issue du concert, la chapelle royale de Versailles — joyau de l'architecture classique française — parait un cadre inattendu, voire paradoxal, pour une œuvre du second baroque italien, pour le moins exubérante et aux résonances profanes caractérisées. Créée vers 1682 à Messine où Michelangelo Falvetti était maître de chapelle de la cathédrale, après l'avoir été de celle de Palerme au moins jusqu'en 1679, ce Diluvio universale nous renvoie souvent en effet autant à l'opéra vénitien qu'au style sacré, fût-il celui de l'oratorio.
Du compositeur, on ne connait guère que deux dialoghi sacrés, Il Nabucco et ce Diluvio universale, tous deux recréés à partir d'éditions récentes par Leonardo García Alarcón et disponibles au disque1. Le Déluge est une œuvre éclectique et contrastée, qui laisse entrevoir chez le compositeur un sens théâtral incontestable bien mis en valeur dans cette version de concert qui ménage des entrées pour les protagonistes et met en scène de façon très suggestive les trois épisodes — « In cielo », « In terra », « Il Diluvio » — du fameux cataclysme raconté dans la Genèse.
Tous les styles sont mis à contribution, du concitato au madrigal en passant par des chœurs d'inspiration liturgique, le chant monodique, le lamento, le duo d'opéra et même la danse populaire. La joyeuse tarentelle qui vient caractériser le triomphe de la mort, sort en effet tout du folklore napolitain tandis que le personnage incarné par un contre-ténor (Fabian Schofrin) et ses accents jubilatoires ne sont pas sans évoquer la vieille Arnalta, nourrice de Poppée, tout comme les deux duos de Rad et de Noé, le premier en forme de berceuse, rappellent par leur sensualité ceux de Néron et de Poppée dans l'opéra de Monteverdi.
Instrumentée de façon brillante, jusqu'à l'intervention « musicologiquement » contestable mais si réussie des percussions persanes de Keyvan Chemirami dans le premier duo des époux, la partition séduit, surprend, enchante, ne laissant dans son invention sans cesse renouvelée, aucun temps mort dans le récit.
La brochette de solistes est à la hauteur de l'enjeu et fait vivre les personnages avec beaucoup de conviction. On citera bien sûr Mariana Flores et Fernando Guimaraes, tous deux bien connus, mais aussi la belle basse chantante de Matteo Bellotto (Dio), le contre-ténor superbement timbré de Christopher Lowrey en Giustizia Divina et la suave Natura humana de Caroline Weynants. Le quatre solistes incarnant les Éléments, issus du chœur de Namur et le chœur lui-même sont au diapason d'un concert brillant et raffiné.
En bis, le chef reprend le merveilleux trio « Ecco l'iride pacera » pour trois voix de soprano sur une basse obstinée, célébrant avec l'apparition de l'arc-en-ciel la réconciliation de l'homme avec le créateur. Plus surprenant et inattendu sera le second bis, dédié en hommage à Philippe Beaussant, puisqu'il s'agira de rien moins que la fugue finale du Falstaff de Verdi « Tutto nel mondo è burla » où le contre-ténor Fabian Schofrin (La Morte) chante la partie de Mrs Quickly, Matteo Bellotto celle de Falstaff et Mariana Flores, celle d'Alice Ford, le tout accompagné bien sûr par les instruments baroques ! Un tel tour de force ne peut avoir été improvisé et l'on en vient à se demander si, après avoir abordé Donizetti, le chef argentin n'aurait pas quelques envies d'aller voir un peu plus loin dans le XIXe siècle lyrique…
1. Tous deux parus sous le label du festival d'Ambronay où ils ont été recréés en 2010
Frédéric Norac
Versaille, 29 juin 2016
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Lundi 24 Juin, 2024