musicologie

6 février 2024 — Jean-Marc Warszawski

Daphnis et Alcimadure de la scène au disque

Mondonville, Daphnis et Alcimadure, « l’opéra occitan », Élodie Fonnard (dessus), François-Nicolas Geslot (haute-contre), Fabien Hyon (taille), Hélène Le Corre (dessus), orchestre Les Passions, ensemble vocal Les Éléments, sous la direction de Jean-Marc Andrieu. Ligia 2023 (LIDI 0302354-23, 2 CD).

Enregistrement public au Théâtre du Capitole de Toulouse, 13-13 octobre 2022.

Nous avons eu le grand plaisir d’assister à la re-première de l’opéra Daphnis et Alcimadure, musique et livret de Mondonville, le 1er octobre 2022 au théâtre Olympe de Gouge de Montauban. Un plaisir doublé d'un privilège, puisque cette première n’a été suivie que de deux représentations au Capitole de Toulouse.

Le livret de cette œuvre a la particularité unique d’être en Occitan. Commis en pleine querelle des bouffons, on tirera tous les plans sur la comète qu’on voudra de la poire coupée en deux entre France et Italie, ou d’un fruit neutre, mais succulent qui n’est ni figue ni raisin. Mais au bout du tout, c’est une pastorale qui va dans le sens des revendications de simplicité esthétique de Jean-Jacques Rousseau, « de bons paysans » sur scène pour oublier les finasseries et préciosités alambiquées du théâtre de la cour. Et cet opéra eut un franc succès, d’abord devant la cour le 29 octobre 1754 (on aurait pu fêter le 270e anniversaire).

De Narbonne, Jean Cassanéa de Mondonville, occupant des postes musicaux essentiels de la couronne, avait sous la main des chanteurs de premier plan, des célébrités, qui venaient également du vaste pays d’oc aux différents patois. Quand ceux-ci se retirèrent de la scène, l’œuvre tomba aux oubliettes, malgré une tentative de traduction en français qui flopa.

Il a fallu deux années à Jean-Marc Andrieu pour reconstituer l’ensemble de la partition, suffisamment conservée pour n’avoir pas à se perdre dans les spéculations trop spéculatives, et ce fut dans le coin, ni du roi ni de la reine, mais de Montauban, prétexte à une intense activité culturelle, notamment en milieu scolaire, avec pour la diction occitane Muriel Batbie-Castell aux commandes vocales.

Le résultat est un très bon moment de charme de bout en bout, un peu conte de fées pour adultes, un amour à la campagne, non sans humour, voire bouffonnerie, solidement appuyé sur une musique alerte d’une centaine de numéros, airs, récitatifs, entrées, danses, l’orchestre les Passions, le chœur Les Éléments (Joël Suhubiette), Élodie Fonnard (Alcimadure), François Nicolas Geslot (Daphnis), Fabien Hyon (Jeannet), Hélène le Corre (Clémence Isaure, prologue), le tout sous la direction de Jean-Marc Andrieu.

C’est maintenant un cédé à la prise de son impeccable.

Au départ, il y a un récit de Jean de La Fontaine. Un récit immoral, d’un maniérisme insupportable, tout en grimaceries de plume, de celles qui un siècle plus tard agacèrent tant Jean-Jacques Rousseau, accusant la cour de dénaturer la langue française. Daphnis est un berger « de noble race » (?), disons qui a du bien et un bas de laine fourni. Alcimadure est bien entendu très belle, mais est une fiérote qui se fiche de l’amour que lui porte Daphnis, compte en banque compris. Elle prend plaisir à courir dans les bois et à sauter dans les prairies. Déprimé Daphnis décide de se suicider de manière ordonnée. Il lègue tout son bien à Alcimadure, prélevant tout de même sur l’héritage de quoi ériger un mausolée agrémenté de sa statue. Alcimadure et ses amies vont danser autour de ce mausolée, la statue se détache et l’écrabouille. Comme tous les morts, elle traverse le Styx, sur la barque de Charon. De l’autre côté qu'on appelle au-delà, elle rencontre Daphnis. Elle va à sa rencontre pour s’excuser, mais celui-ci l’ignore. Injuste retour des choses.

Tout cela est bien entendu immoral pour l’idée qu’on se fait de la femme dont la seule qualité est de plaire aux hommes, d’être belle. Celle-ci est primesautière, imprévoyante, cigale qui chante face à la fourmi qui assure le lendemain. Pire encore, ne répondant pas à l’amour de cet homme dont la fortune a tout pour plaire, elle est qualifiée de cruelle, parce qu’une femme devrait toujours dire oui aux avances. C’est assez proche d’une intrigue classique du cinéma amerlocain, où l’homme doit harceler la femme pour qu’elle réalise qu’elle était en fait amoureuse de lui.

Mondonville a gardé un petit bout de cette histoire et la psychologie des personnages, mais il refuse de suicider Daphnis et pourvoit Alcimadure d’un frère qui a les pieds sur terre et la conscience des avantages qu’il y aurait dans un mariage. Ce qui permet d’étoffer la passionnette de quiproquos et de déguisements nécessaires au divertissement dix-huitiémiste, et d’aboutir à un dénouement heureux. Deux-cent-soixante dix ans plus tard, ça marche encore.

 Jean-Marc Warszawski
6 février 2024
Tous ses articles
facebook


rect_acturect_biorect_texte

À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41

ISNN 2269-9910.

cul de lampe

Jeudi 8 Février, 2024 0:29