Chefs-d'œuvre de l'art / Grands musiciens (31) : Rimski-Korsakov (1), Hachette-Fabri, Paris 7 juin 1968.
Nicolaï Rimski-Korsakov, Antar, suite symphonique, opus 9, i. Largo, Allegretto vivace, ii. Allegro, Molto allegro, iii. Allegro risoluto alla Marcia, IV. Allegretto vivace, Amiante amoroso, Orchestre symphonique « Pro Musica » de Hambourg, sous la direction d’Albert Bittner (Enregistrement FFE - AFI, Hambourg).Composé en 1868 comme deuxième symphonie, Antar subit par la suite des révisions et des modifications, en 1875 et en 1897. En 1903, devant sa forme et son style nettement narratifs, Rimski-Korsakov décida de changer le titre de Symphonie en celui plus juste de Suite symphonique : quelque chose d’analogue à un poème symphonique, mais divisé en quatre mouvements bien distincts.
Cette page, pour laquelle le compositeur a toujours nourri une nette prédilection, est dédiée à son ami le musicien César Cui, l’un des premiers animateurs du « groupe des Cinq » ; elle fut pendant longtemps une véritable référence dans les discussions des jeunes musiciens russes. Antar s’inspire du principe du poème symphonique de Liszt, avec des réminiscences certaines de la musique à programme de Berlioz, comme la Symphonie fantastique, ou Harold en Italie. Il y a, en effet, dans Antar le retour périodique d’un motif, le même dans tous les mouvements, qui, rappelle l’idée fixe de la Symphonie fantastique du compositeur français. D’autre part, le monde fabuleux du musicien russe est totalement orienté vers un langage fortement inspiré de littérature, dont il recueille les éléments à travers toute la tradition romantique allemande. Il est fort instructif de lire à ce sujet le programme d’un concert auquel, tout jeune, Rimski s’était rendu, à Saint-Pétersbourg, et qui devait rester gravé dans sa mémoire jusqu’à la fin de sa vie. Ce concert comprenait la Symphonie pastorale de Beethoven, la musique du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, la Jota aragonaise de Glinka, le prélude de Lohengrin de Wagner, enfin Prométhée, poème symphonique de Liszt. Autant de pages qui, d’une façon ou d’une autre, se rapportent à un programme, à un milieu suggestif, à une atmosphère particulière : autant de styles musicaux qui, tous, participeront intimement à la formation du musicien russe.
Antar s’inspire d’une vieille légende arabe, suggérée au musicien par Balakirev et Moussorgski. Antar est une sorte de poète et de philosophe qui s’est réfugié derrière les murs de Palmyre, l’antique cité dont les ruines se dressent au milieu d’un désert lointain. Il est en train de poursuivre une gazelle lorsque, tout à coup, un oiseau immense obscurcit le soleil : Antar laisse alors la gazelle courir librement et lutte contre le monstre. Lorsque l’oiseau s’enfuit, Antar fatigué s’endort. Il rêve qu’il est dans un palais merveilleux où habite la fée Gul-Nazar, qu’il a vue à la chasse sous l’apparence d’une gazelle et qu’il vient de sauver. Reconnaissante, elle lui donne tous les bijoux et toute la puissance du monde, mais Antar s’en lasse rapidement. Seul l’amour de Gul-Nazar éclairera d’un rayon de bonheur — mais si fugitif — la fin de sa vie.
Rimski tomba sous le charme de ce conte qui allait lui permettre de composer une œuvre de caractère oriental. Le musicien russe, en effet, a puisé abondamment dans un recueil de chants algériens publié en France, et que lui avait prêté son ami Borodine. Ces éléments ne constituent cependant pas l’essentiel de la composition. Bien au contraire. Rimski s’en sert comme d’une toile de fond sur laquelle le discours musical évolue, libre et autonome. Celui-ci est confié surtout à un thème large et puissant, énoncé pour la première fois par les altos. Ce thème représente Antar lui-même, dans sa solitude pesante ; il revient sans cesse dans la Suite en subissant d’innombrables transfigurations.
La vitalité d’Antar réside justement dans cette mobilité et cette souplesse d’ornementation héritée de Liszt, avec un usage attentif et une grande économie de moyens dans le coloris orchestral.
Antar, présenté ici dans sa rédaction de 1897 fut exécuté pour la première fois en 1869 au cours d’un concert organisé à Saint-Pétersbourg par la « Société impériale pour la Musique russe ». L’orchestre est ainsi composé : piccolo, trois flûtes, deux hautbois, cor anglais, deux clarinettes, deux bassons, timbales, triangle, tambourin, caisse, grosse caisse, cymbales, tam-tam, harpe, archets.
Cet orchestre imposant et massif est néanmoins traité avec une légèreté de nuances et de demi-teintes d’une extrême virtuosité. Le finale, évocateur, est confié à la délicate sonorité des bois et des halos mystérieux de la harpe.
Le Vol du bourdon, extrait de l’opéra « Tsar Saltan ». Orchestre Symphonique du Festival de Londres, sous la direction de Thomas Greene (Enregistrement ODEGE).Cette page, sans doute l’une des plus populaires du grand musicien russe, est extraite d’un opéra très intéressant, Tsar Saltan, sorte de ballet populaire qui comporte également un certain nombre de motifs comiques. L’imitation, en onomatopée, naît d’une suggestion précise de l’action : le prince Gvidon, transformé par magie en bourdon, pourra surprendre et punir les ennemis qui l’ont chassé du royaume de son père, Saltan.
L’imagination fertile et vivante du compositeur joue un rôle très important dans cette œuvre. Avec ses effets d’un comique irrésistible et son rythme original, c’est une des trouvailles les plus brillantes du maître.
Sans signature
Les années 1880-1890 constituent, dans la carrière artistique de Rimski-Korsakov, une des périodes les plus intenses et les plus fécondes. De la Nuit de mai, représentée au théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg en janvier 1880, à la Grande Pâque russe de 1888, il s’adonne avec passion à une série de travaux concernant surtout l’orchestre, et dont chacun suffît à inscrire son nom parmi les plus grands de la musique russe. C’est à ce moment, particulièrement heureux du point de vue artistique et spirituel, que naissent Snégourotchka, le Concerto pour piano, le Capriccio espagnol, Schéhérazade.
Balakirev avait annoncé que Rimski n’écrirait plus d’œuvres lyriques après la Pskovitaine, mais cette prédiction se révèle bien étrange et paradoxale. En tous cas, Rimski ne s’en soucie pas le moins du monde : il sent au contraire que ses aspirations les plus intimes le poussent justement vers le théâtre lyrique. À peine a-t-il terminé la Pskovitaine qu’il cherche déjà fébrilement un sujet pour une seconde œuvre. Il le trouve par hasard en lisant et relisant dans le train les Veillées du village de Nicolas Gogol. « J’adorais depuis l’enfance les Veillées du village, et je peux dire que la Nuit de mai était le conte qui me plaisait le plus dans cet ensemble. » C’est le récit d’un amour contrarié qui, par l’intervention de forces surnaturelles, trouve néanmoins une heureuse conclusion. Rimski est fasciné par l’atmosphère enchantée qui baigne tout l’épisode, et que Gogol décrit en termes admirables : « Connaissez-vous le sortilège d’une nuit d’Ukraine ? Oh non, certes, vous ne pouvez le connaître ! Regardez : la lune brille au zénith, la voûte immense du ciel s’est ouverte, infinie; elle luit et respire. La terre est inondée de lumière argentée; l’air est à la fois frais et étouffant, lourd, voluptueux, son balancement agite l’océan des effluves embaumés. Divine nuit ! Nuit des sortilèges ! Les grands arbres se dressent immobiles, inspirés, silencieux. Les étangs sont calmes et reposants. L’obscurité froide de leurs eaux est enfermée dans les barrières vert sombre des jardins. Les cerisiers sauvages plongent timidement leurs racines dans l’eau glacée des sources, et, parfois, bruissent doucement, comme pour protester contre les baisers de la brise nocturne qui s’est approchée à la dérobée et les étreint. La terre entière est assoupie. Mais, là-haut tout respire, tout est merveilleux
et solennel. L’âme ravie découvre des espaces sans fin, et des visions poudrées d’argent surgissent des profondeurs. Divine nuit ! Nuit de sortilèges ! Et soudain tout s’éveille : les bois, les étangs et la steppe. Le rossignol d’Ukraine lance ses trilles sonores, et la lune elle-même paraît les écouter dans son isolement céleste1 ».
Ce monde de magie et de légende, dans lequel la nature est divinisée, où fées, elfes et naïades se mêlent à la vie des humains, a toujours été dans les œuvres de Rimski-Korsakov, un rêve, une source d’inspiration, un puissant ressort de l’imagination.
Portrait de Rimski-Korsakov (dessin de I. Repin, 1844-1930). Milan, Collection de gravures Bertarelli.
Le musicien retrouve beaucoup de légendes fantastiques dans les chansons populaires de son terroir.
Une idée peu à peu fait en lui son chemin : pourquoi ne pas réunir tous ces chants merveilleux, texte et musique, en une seule collection, pour les sauver de, l’oubli et les offrir à l’admiration du monde entier ? L’idée se dessine, devient projet, puis réellement prend corps. Nicolas se met avant tout en rapport avec, un grand chanteur : Filippov, désormais retiré, mais grand connaisseur et amateur éclairé de tous ces chants. Ce dernier lui révèle quarante chansons que Rimski se met en devoir d’harmoniser, à deux reprises au moins, car la première réalisation ne convient pas à Filippov : il la juge insuffisamment russe et sans cohérence.
La collection sera plus tard éditée par Jurgensen, avec une préface de Filippov.
Mais Rimski-Korsakov ne se déclare pas satisfait de ce premier recueil. Les chants ont bien un caractère lyrique — ce qui lui convient plus que tout —, mais il les estime trop marqués par l’empreinte « soldatesque » et « taverne », qui en altère la simplicité originelle. Et surtout, ils manquent du caractère « rituel » des antiques coutumes païennes, garant de leur ancienneté.
Ces chants l’intéressent tout particulièrement, et il songe à un second recueil.
Il explore d’abord sa mémoire, cherchant les comptines et autres chansons qu’il a entendu fredonner tout enfant par sa mère ou sa nourrice venue des confins de la Russie. Il se rend ensuite chez ses amis et les oblige tous à s’improviser chanteurs. Il travaille avec un soin, une minutie de greffier, écartant impitoyablement tout ce qui lui semble de mauvais goût ou d’une authenticité douteuse. Il est capable d’étudier des heures durant pour rendre un rythme particulièrement capricieux. Un jour, chez Borodine, il oblige la servante de son ami à rester debout toute la nuit, pour lui répéter un nombre incalculable de fois une chanson difficile à transcrire.
Ce travail absorbant dure deux ans pour Rimski-Korsakov.
Les chants ainsi recueillis sont alors classés en séries successives : d’abord les chansons épiques, puis les chants de métiers, les chansons sentimentales et les airs de danse, enfin les refrains de jeux, suivis des chants rituels, s’inspirant du cycle païen du soleil et des fêtes correspondantes encore célébrées dans quelques coins perdus de Russie. « Bien que le culte du soleil ait complètement disparu à la lumière du christianisme, commente Rimski-Korsakov, tout le cycle des chansons rituelles et de jeux est basé sur ce vieux culte païen qui subsiste dans le peuple à l’état inconscient. De nos jours, on assiste à la disparition des derniers vestiges des vieilles chansons et de tous les signes du panthéisme de l’Antiquité... » « Je m’enthousiasmais, écrit encore le musicien, pour le caractère poétique du culte du soleil et j’en cherchais les vestiges et les échos dans les mélodies et dans les paroles des chansons. Les images de l’antique époque païenne passaient devant mes yeux avec une clarté éblouissante (tout au moins c’est ce qu’il me semblait) et j’étais attiré par leur charme ancien. Ces recherches eurent ensuite une influence considérable sur mon activité de compositeur. »
Effectivement, le sujet des dieux solaires apparaîtra souvent dans les œuvres de théâtre de Rimski-Korsakov, à partir de la Nuit de mai et de Snégourotchka, soit dans le déroulement de la pièce elle-même, soit sous forme d’évocation. Le charme des antiques légendes russes trouve son expression dans l’élaboration de thèmes musicaux pris dans les chansons elles-mêmes. C’est ainsi que tous les chœurs de la Nuit de mai — Rimski l’attestera — sont construits sur des mélodies populaires. Ce retour au folklore est précisément ce qui rend si évocatrices et si spontanées tant de pages du musicien, surtout la Grande Pdque russe.
La Nuit de mai est dédiée à Nadia, sa femme et précieuse collaboratrice. Elle transposait souvent elle-même pour chant et piano les partitions de son mari; parfois elle l’aidait même dans l’instrumentation. Une telle œuvre ne pouvait, du reste, être dédiée qu’à celle qui aimait tant ces sujets, comme le rappelle Rimski dans ses mémoires, et qui désirait tant les voir mis en musique. Il est surprenant de lire dans l’autobiographie de Rimski, froide et impersonnelle, comme un rapport d’administration, une confession comme celle-ci : « ... nous lisions ensemble ce conte (de Gogol) le jour où je demandai sa main. »
Ce sont des années de romantisme. À la Nuit de mai succède Snégourotchka, opéra que Rimski compose dans le calme idyllique de Stélevo. Ce petit village isolé, loin de Saint-Pétersbourg, est pour lui une révélation.
Le Coq d’or : maquette définitive du décor de la scène du campement (dessin de A. Benois. Paris, Collection Anna Tcherkessov.
Costume pour le Coq d’or (dessin de A. Benois). Paris, Bibliothèque de l’Opéra.
Le Coq d’or, projet de décor pour la scène du campement (dessin de A. Benois, 1927). Paris, Collection Anna Tcherkessov.*
Rimski-Korsakov tira le sujet de son opéra le Coq d’or d’une fable de Pouchkine <1799-1837/ L’œuvre de l’écrivain est caractérisée par des fables puisées à la tradition spontanée de son peuple, au folklore de sa terre, au monde mélancolique et rêveur de l’âme russe.
D’abord officier de marine, parcourant le monde, puis professeur au Conservatoire, et très absorbé, le musicien russe n’avait jamais vraiment connu et aimé sa terre, l’étendue infinie des champs, la végétation riante, les lacs enchantés. Stélevo laissera sur lui une empreinte ineffaçable : « Pour la première fois de ma vie, j’avais l’occasion de passer l’été dans un vrai village russe. Là, tout me ravissait : le site magnifique, les bois, les champs de seigle, de sarrasin, d’avoine, de lin et même de blé, les arbres, la petite rivière dans laquelle nous nous baignions, le voisinage du grand lac Bvreo, l’absence de routes, la solitude, les vieux noms russes des villages... tout me transportait d’enthousiasme. Le jardin si beau, avec sa multitude de cerisiers et de pommiers, de groseilliers, de fraisiers, ses lilas, les fleurs sauvages, le chant ininterrompu des oiseaux, tout S'harmonisait, pourrais-je dire, avec mes propres dispositions au panthéisme et mon amour pour le sujet de Snégourotchka. Une souche quelconque, une grosse branche tordue, couverte de mousse, me semblaient un génie des bois ou son antre...; le triple écho que nous entendions de notre balcon était pour nous les voix des génies du bois ou d’autres êtres mystérieux. »
Les émotions ne manquaient pas à Stélevo : « L’été s’annonçait chaud et orageux. De la mi-juin à la mi-août, il y eut presque tous les jours des orages et des éclairs de chaleur. Le 23 juin la foudre tomba tout près de la maison, et la secousse fit tomber ma femme, qui était assise près de la fenêtre. Elle ne fut pas blessée, mais tellement effrayée que, pendant longtemps elle garda une peur terrible des orages. En dépit de cet incident, elle aimait beaucoup Stélevo, qui, du reste, plaisait aussi beaucoup aux enfants. Nous étions les seuls maîtres, sans aucun voisin. Nous avions à notre disposition chevaux, carrosses, vaches. Le moujik Ossip et toute sa famille veillaient sur notre propriété.
Je commençai Snégourotchka dès le jour de notre arrivée à Stélevo. Je composais chaque jour, et je parvenais même à faire de nombreuses promenades avec ma femme. Je l’aidais à faire des confitures, à chercher des champignons. Les idées de musique bourdonnaient inlassablement dans ma tête. Il y avait un vieux piano brisé, désaccordé, à un ton quasiment au-dessous de la normale. Je l’appelais le « piano en si ». Malgré tout, je trouvais le moyen d’exécuter des fantaisies et d’essayer ce que j’étais en train de composer. »
Snégourotchka, représentée en 1882, rencontre un vif succès auprès du public. À la fin du spectacle, on offre une couronne de lauriers à l’auteur. Beaucoup de morceaux, bissés, sont exécutés une seconde fois. Mais bientôt la critique se montre hostile : non sans pédanterie, elle lui reproche un manque de sens dramatique, la pauvreté de l’invention mélodique, entre autres. « On voit ainsi fonctionner, commente RimskiKor-sakow avec ironie, cette critique aux yeux de laquelle une œuvre est toujours dépréciée par rapport aux précédentes qui, de leur temps, avaient été tout autant dénigrées que celle-ci aujourd’hui. »
Mais Rimski, austère et réservé, n’est pas homme à se laisser influencer et désarçonner par l’opinion des critiques. L’état idéal auquel il aspire est celui de l’indifférence aux émotions, de la tranquillité d’existence. C’est un être serein, profondément modeste, aimable et souriant avec tout le monde. Y. Petrovsky, futur librettiste de Kachtchéi l’immortel, le décrivait ainsi : « ...Ce qui échappe le plus à toute description, c’est la barbe, ou plutôt la vie secrète de sa barbe, dont chaque poil semble vivre et penser indépendamment des autres. Une barbe douce, caressante, une barbe de veillée de Noël... Quant aux choses plus sérieuses, ce qui m’a frappé le plus en lui, c’est sa façon de mettre le visiteur à l’aise : je le rencontrais pour la première fois et je croyais avoir affaire à un ami d’enfance. Venant d’un homme gâté par le succès, encensé par tout son entourage, d’un maître reconnu, indiscutable, cela constitue la plus belle des leçons. Pas la moindre pose, pas la moindre recherche de l’effet, une modestie sincère, une modestie géniale. De quoi avons-nous parlé ? Il m’a dit des choses passionnantes à propos de Wagner (j’ai d’ailleurs remarqué le grand portrait au-dessus de son bureaunbsp!). Ensuite, il a été question de mon livret. Et j’ai compris que j’avais affaire, j’entends sur le plan musical, à un matérialiste total, absolu : pas l’ombre d’un doute, d’une inquiétude spirituelle — un parfait byzantin...
Toutes les modifications qu’il me suggérait confirmaient cette première impression : il souhaitait un argument banal, conventionnel. Tout ce qui sortait de l’ordinaire, tout ce qui pouvait passer pour original et moderne le choquait au plus haut point2. »
Cela peut sembler paradoxal : l’auteur de tant de fables musicales, où le fantastique se mêle au normal, cherche des sujets conventionnels, ordinairesnbsp! C’est que le caractère de Rimski-Korsakov est bien éloigné de ce que pourrait faire croire une observation superficielle de son œuvre. En l’approfondissant, on s’aperçoit que les fables et les sortilèges, les paysages exotiques ou surhumains de sa musique ne constituent pas un prétexte naïf pour s’évader des thèmes habituels et des sentiers battus de la vie quotidienne. Au contraire, cette musique, qu’il construit toujours autour d’une architecture savamment édifiée, précise, évoque justement une personnalité solidement liée à la vie concrète et à la réalité.
Page autographe du Coq d’or, Air de la princesse Chemakhâa. Moscou, Musée Glinka.
Frontispice gravé du Coq d'Or. Paris Bibliothèque du Conservatoire.
Nouvelle du Coq et du Renard flatteur (gravure du XVIIIe siècle). Rome, Novosti..
Dès lors, on ne s’étonne plus de cette existence linéaire, sans écarts, dépourvue de toute émotion romantique et si diamétralement opposée à celle de ses amis de la « bande invincible ». Existence bourgeoise s’il en fut, et presque aride : le musicien russe vit paisiblement pour sa famille et son métier. Les premières exigences de ce métier se nomment scrupule, sérieux, gravité. Lorsqu’on 1833 Rimski-Korsakov est chargé, avec Balakirev, de réorganiser la chapelle de la cour, il se préoccupe avant tout de l’éducation des garçons. Lui-même le raconte : « Dans les classes instrumentales, l’éducation des garçons et leur formation scientifique étaient au-dessous de tout. Les chanteurs adultes, qui se voyaient allouer un certain salaire et un logement en tant que fonctionnaires, étaient assez à leur aise, mais les enfants illettrés, exploités, privés de toute instruction, apprenant vaille que vaille à jouer du violon, du violoncelle ou du piano, étaient voués à un triste sort à partir du moment où' ils avaient perdu leur voix. Ils étaient chassés de la chapelle avec une petite somme en poche, et se retrouvaient lâchés dans le vaste monde, sans éducation, et n’ayant pas l’habitude de travailler. Ils devenaient copistes, domestiques, chantres en province et, dans l’hypothèse la plus favorable, petits fonctionnaires. Beaucoup se mettaient à boire. La première idée qui nous vint fut, bien entendu, de mettre un peu d’ordre dans leur éducation et dans leur instruction, d’essayer d’en faire des musiciens d’orchestre ou des maîtres de chapelle plus capables... »
Sadko : projet pour la scène du royaume sous-marin (dessin de A. Benoi), Paris, Collection Anna Tchernessov.
La « Princesse de la mer » s'adresse à Sadko : « ... je suis la dernière née de l'Océan terrible et fracassant et de l'ondine qui se nomme sage. J'ai pour frères tous ces fleuves qui débouchent dans l'azur fantastique où frémissante la mer les accueille. Le royaume de mon père est loin, si loin... Son palais se cache dans les gorges profondes, demeure céruléenne qui semble de cristal.
Là, les nageoires dorées des poissons tracent des sillons étincelants, et les grandes baleines montent la garde. Là-bas règne mon père, sur le fond marin... » (Sadkv, acte I, 2e tableau).
Les Ouvrages de Rimski-Korsakov, comme ceux de ses amis du « groupe des Cinq », ne furent guère joués à Paris avant l’Exposition universelle de 1889. Deux concerts seulement, en 1880 et en 1884, avaient fait entendre Sadko (Rimski-Korsakov) et Dans /es steppes de l'Asie centrale (Borodine), À l’occasion de cette importante manifestation que devait être l’Expo sition universelle, l’éditeur Belaïev organisa deux grands concerts de musique russe, les samedis 22 et 29 juin, dans la salle du Trocadéro. Au programme figuraient des œuvres des cinq musiciens du groupe ainsi que quelques pages de Dargomijsky et de Glazou- nov. Antar était inscrit au second concert. Rimski- Korsakov lui-même dirigea l’orchestre des Concerts Colonne et se montra très satisfait de la qualité de l’exécution. Mises à part quelques erreurs (dans Antar en particulier), il trouva que les répétitions s’étaient déroulées dans une ambiance sympathique et que l’orchestre s’était montré « assez aimable et travailleur ».
Cette remarque figure dans Journal de ma vie musicale, où Rimski-Korsakov a noté avec beaucoup de scrupule et assez de lucidité tout ce qui intéresse son activité et celle de ses amis. A propos de ces concerts parisiens, il regrette seulement que le public n’ait pas été plus nombreux et en rend responsable Belaïev lui- même, qui ne fit pas suffisamment de « réclame » : « L’Europe aime la publicité et en a besoin, or Belaïev était ennemi de toute publicité. Alors que les réclames d’établissements de toute espèce s’étalaient dans tous les coins, étaient partout criées, portées à dos d’homme, s’imprimaient en gros caractères dans les journaux, Belaïev se borna à de modestes annonces... » L’actuel conditionnement par la publicité ne serait donc pas si nouveau ?
Mais, si Rimski-Korsakov se plaint d’une salle insuffisamment remplie, nous savons de source française qu’il eut en revanche un public de qualité, capable d’apprécier à sa juste valeur cette musique nouvelle, encore mal connue chez nous. Paul Dukas en donne un témoignage profond, dont nous citons volontiers quelques phrases : « La jeune école russe n’est d’ailleurs pas totalement ignorée de nous, et les amateurs de musique qui ont bonne mémoire se souviennent sans doute des concerts qu’elle organisa, pendant l’Exposition universelle de 1889, dans la salle du Trocadéro. Nous nous rappelons l’impression que produisit alors sur nous cette musique d’une expression si concentrée, d’une couleur harmonique et instrumentale si riche et parfois si neuve. Nous déplorâmes alors que des œuvres si vivaces et si captivantes nous fussent demeurées si longtemps inconnues, comme nous regrettâmes depuis que l’exil où l’on s’obstinait à les tenir ne nous permît pas de nous familiariser davantage avec elles, sinon par la lecture. »
De son côté, Claude Debussy, qui visita souvent l’Exposition avec ses amis Paul Dukas, Raymond Bonheur et Robert Godet, connaissait déjà les aspects nouveaux de la musique russe, puisqu’il avait eu quelques années auparavant l’occasion d’aller l’écouter sur place. Il ne cache pas son admiration pour cette source d’inspiration si riche et déclare que « Mous- sorgsky lui apparaît comme une sorte de dieu de la Musique. Par son indépendance et sa sincérité, par sa profondeur et sa vérité « à bout portant », l’auteur de Boris est unique ».
Quant à Ravel, qui entrait au Conservatoire en 1889, nous ne savons si, à quatorze ans, il put assister à ces séances de l’Exposition, mais il est évident, à travers certaines de ses œuvres, qu’il fut marqué par les harmonies fluides et les pages descriptives de l’auteur d'Antar.
Dominique Machuel.
Frontispice gravé de l’opéra Sadko. Milan, Bibliothèque du conservatoire Giuseppe-Verdi.
Les rapports de Rimski-Korsakov avec Balakirev se poursuivirent pendant quelque temps puis cessèrent presque brusquement, du jour au lendemain. Balakirev n’est plus le chef de la « bande invincible ». La « bande » elle-même s’est dissoute, elle n’existe plus. Mous- sorgsky est mort en 1881, Borodine l’a rejoint dans la tombe six ans plus tard. Rimski, quant à lui, a repris les rênes de la vie musicale à Saint-Pétersbourg. Le salon de Ludmilla Chestakova, celui des « Cinq », vient de fermer; un autre s’ouvre aussitôt, tout à fait différent, où Rimski fait figure de leader musical : le salon de Belaïev.
Ce personnage étrange, amateur fervent de musique russe jusqu’au fanatisme, occupe dans la vie artistique de ces années-là un poste de tout premier plan. Les « vendredis de Belaïev » dépassent de loin la simple chronique; ils constituent un chapitre fondamental de la musique et de la culture russes.
Sadko : le diable marin (dessin de Leon Bakst, 1917). Milan, Bibliothèque d'Art du château.
Belaïev forme un quatuor d’amateurs — dans lequel il joue lui-même du violon — et qui se réunit tous les vendredis chez lui. Bientôt on y rencontre toute l’élite musicale de Saint-Pétersbourg : Borodine, Glazounov, Liadov, Deutsch, Rimski-Korsakov et d’autres. Les réunions sont empreintes de la plus vive cordialité. Belaïev est riche et généreux avec ses amis. « Après la musique, raconte Rimski, on se mettait à table vers une heure du matin. Le repas était abondant et copieusement arrosé. Souvent, après le souper, Glazounov ou un autre jouait au piano une de ses dernières compositions ou un nouvel arrangement à quatre mains. Pendant l’exécution on voyait apparaître sur la table une ou deux bouteilles de champagne destinées à baptiser l’œuvre. On se quittait vers trois heures. Certains, n’ayant pas assez bu pendant le dîner, saluaient le maître de maison et s’en allaient au restaurant : là ils « continuaient ». Pouvait-on considérer le cercle de Belaïev comme un prolongement de celui de Balakirev ? Quels étaient leurs points communs et leurs différences, autres que l’époque de leur fondation ?
L’un des points communs était le suivant : les deux cénacles étaient d’avant-garde, et favorables au progrès; seulement, tandis que l’équipe de Balakirev datait de la période du Sturm und Drang de la musique russe, celle de Bélaïev allait de l’avant sans heurt, dans le calme (...).
Les « disciples » de Balakirev avaient une très faible formation technique et ne réussissaient que grâce à leur talent; le cercle de Belaïev groupait, au contraire, des musiciens d’une technique très sûre (...). Chez Balakirev, on était exclusif, intolérant; chez Belaïev, on se montrait éclectique » (i).
Inutile de dire que presque tous les jeunes qui peu à peu hantent les salons de Belaïev sont des élèves de Rimski. Comme maître et chef d’école, Rimski se sent très différent de Balakirev. Il est plus indulgent avec les jeunes. « En m’efforçant de ne pas être intolérant et despotique, comme Balakirev, ou même peut-être en étant simplement « omnivore », j’essayais, pour leur permettre d’acquérir de l’indépendance dans leurs créations, d’exercer sur eux une influence de plus en plus discrète, et j’aimais beaucoup voir s’affirmer la personnalité de mes ex-élèves. »
Mais le travail, la chapelle, le conservatoire, les concerts épuisent Rimski; il commence à sentir en lui un grand vide intérieur : « Je m’occupe de la chapelle et je ne compose plus, écrit-il à son ami Crouglikov, et du reste je n’éprouve pas le moindre besoin de composer. Snégourotchka sera mon point final. En ce moment, ma tête est pleine du vide cher à Torricelli. » Rimski-Korsakov traverse alors une véritable crise, qui le conduira au bord d’une grave dépression. Il veut écrire un livre sur la musique russe, avec une analyse des œuvres de Borodine, de Moussorgsky et des siennes propres. « Pour étrange que cela paraisse, l’idée d’écrire une critique sur moi-même me poursuivait sans relâche. Mon œuvre devait être précédée d’une introduction considérable dans laquelle seraient exposés les principes généraux d’esthétique sur lesquels je m’appuyais. J’en traçai rapidement les grandes lignes, mais j’en remarquai aussitôt les défauts et les lacunes et je jetai le tout. Je me mis à lire : je lus le Beau dans la musique de Hanslick, les Limites de la musique et de la poésie d’Ambros, et les Biographies des grands compositeurs de La Mara. Je trouvai Hanslick d’une pauvreté d’esprit déplorable et terriblement paradoxal. Cette lecture éveilla en moi le désir d’écrire mon article, et je commençai. Mais je tombai dans l’esthétique générale et me mis à parler de tous les arts. Des arts, je devais passer à la musique, et de la musique en général à celle de la nouvelle école russe en particulier (...). Je réfléchis à ce sujet pendant des jours entiers, retournant en tous sens mes idées fragmentaires. Un matin, fin août ou début septembre, j’éprouvai une fatigue extrême, comme une espèce de congestion cérébrale, et une confusion complète de mes idées. Je pris vraiment peur et perdis tout à fait l’appétit... Je cessai de lire, me promenant des journées entières et m’efforçant de ne jamais rester seul. La solitude faisait monter dans mon esprit des tas d’idées noires. Je pensais à la religion, à la possibilité d’une réconciliation avec MÜy Alexeievitch Balakirev... »
Enfants sur l’aire, gravure de K. Savizky. Lomé, Novosti.
Une crise religieuse vient donc perturber son impassibilité. « Bien que j’eusse été élevé par des parents très pieux, les questions religieuses et la prière m’ont toujours laissé indifférent. Enfant, je récitais mes prières matin et soir; j’allais à l’église comme tout le monde, parce que mes parents m’y conduisaient. Adolescent, tout en récitant quelque prière, il m’arrivait de blasphémer mentalement pour mettre Dieu à l’épreuve, pour voir si je serais châtié. Il ne se passait rien et le doute me prenait alors. Parfois, je me reprochais d’avoir agi sottement, puérilement, mais cela ne durait guère et n’allait pas très loin. A l’école, le dimanche, j’allais à la messe. Je m’y ennuyais mortellement, quoiqu’ayant toujours aimé l’apparat et la beauté musicale de nos cantiques. Je me confessais et communiais tous les ans, selon l’usage. Une fois, une seule, il m’advint d’être ému. Dans l’une des classes supérieures, deux de mes camarades m’expliquèrent que Dieu n’existait pas, que « toutes les bondieuseries étaient des fables sans fondement ». L’un d’eux précisait même qu’il avait lu « la philosophie de Voltaire » : du moins le prétendait-il. J’acquiesçai, pour leur faire plaisir. Au fond, tout cela n’avait pas la moindre importance, et le faible sentiment religieux que j’aurais pu avoir disparu définitivement ».
Maintenant Rimski admet l’existence du problème religieux, mais n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout de la question. Il préfère se distraire. Il s’octroie un temps de repos et ne pense plus ni au livre projeté sur la musique russe ni aux philosophes. Il se persuade qu’il est seulement un musicien. À la place de Dieu il situe ses préoccupations artistiques et cela lui suffit, du moins en apparence, à lui donner une raison d’être. C’est ce qu’il exprime un jour à son ami Stassov, en 1897 : « J’ai acquis la conviction absolue que l’Au-delà n’existe pas. Et, croyez-moi, cela vaut mieux ainsi : c’est une consolation ! ».
Bois de peupliers armure, de I. Siskin. Rome, Novosti.
En revanche, cette crise spirituelle rend Rimski plus sensible aux problèmes politiques et sociaux de son temps. La Russie vit alors la tragique expérience qui la conduira aux terribles journées de 1917.
Le tsar Alexandre II ayant été assassiné en 1881, ses successeurs, Alexandre III et Nicolas II, instaurent un régime de surveillance qui entrave la liberté qu’Alexandre II a concédée à son peuple. La population est en effervescence. Les manifestations d’étudiants et d’ouvriers, réprimées par la police, transforment les villes en foyers de révolte. Rimski-Korsakov ne reste pas indifférent aux événements qui agitent son pays. Il a deux fils à l’Université, qui prennent une part active à la lutte politique. Et surtout, il ne tolère aucune forme de violence légalisée.
Il est toujours le même qui, jeune garçon, a manifesté ouvertement, à l’École navale, son mépris, son dégoût sincère pour la brutalité et l’impolitesse de ses camarades et de ses supérieurs.
La ce nsure tsarist" est l'occasion de ses premiers heurts avec le régime. Seule l’intervention de personnages haut placés rend possible la représentation de la Nuit de Noël (1885) : la censure l’a d’abord refusée à cause de la présence sur scène d’une « reine » qui ne pouvait que rappeler àux spectateurs le règne de la grande Catherine. L’œuvre subit des mutilations pour affronter le public.
Rimski est plein d’amertume. Il cherche à se changer les idées et voyage longuement à travers l’Europe. Mais quand la situation semble s’aggraver, il regagne précipitamment son poste au conservatoire de Saint- Pétersbourg, aux côtés de ses étudiants. Nous sommes en 1905, l’année de la première révolution, l’année du cuirassé Potemkine. Rimski-Korsakov a alors soixante et uh ans; c’est, au conservatoire, un professeur estimé et vénéré; néanmoins il est impliqué dans des questions politiques. Dans l’une des dernières pages de son autobiographie, écrites à la hâte peu avant sa mort, il note que déjà avant les vacances de Noël, on commençait à remarquer une certaine effervescence parmi les élèves, qui parlaient beaucoup des incidents survenus à l’Université. Le 9 janvier, l’agitation politique gagne tout Saint-Pétersbourg : même les élèves du conservatoire interviennent. On cherche des solutions, mais Bernhard, lâche et pusillanime, refuse tout compromis. 11 se met à dos la direction de la Société musicale russe. Rimski est nommé membre du comité de conciliation. On avance les propositions les plus disparates : expulsion des chefs, introduction de la police au conservatoire, fermeture de l’établissement, et ainsi de suite. Mais il faut défendre les droits des élèves. Les discussions et les querelles se font de plus en plus nombreuses. Aux yeux d’une bonne partie des professeurs et (le la direction de Saint-Pétersbourg, Rimski apparaît comme le chef du mouvement révolutionnaire des élèves.
Il fait publier dans le journal R«n une lettre dans laquelle il accuse la direction de ne pas comprendre les élèves...
Pendant une séance du Conseil, Bernhard s’applique à analyser et à critiquer cette lettre, mais on lui répond et il doit lever la séance. Alors plusieurs professeurs, dont notre compositeur, présentent leur démission. Le résultat est le suivant : fermeture du conservatoire, élimination de plus d’une centaine d’élèves, départ de Bernhard et radiation de Rimski-Korsakov du nombre des professeurs.
Ainsi « limogé », il publie une autre lettre dans le journal Russ ; en même temps il refuse d’être membre honoraire de la session de Saint-Pétersbourg de la Société musicale. Alors, de tous les coins de Russie lui parviennent, dit-il, des lettres qui lui sont adressées par des institutions ou des particuliers, musiciens ou non, qui tiennent à exprimer leur sympathie en même temps que leur désapprobation pour la conduite de la Société musicale russe. Dans tous les journaux paraissent des articles qui discutent de son cas. La direction traverse un mauvais moment. Beaucoup de membres, parmi lesquels Persiani et Alexandre Taneiev, présentent leur démission.
Pour couronner le tout, les élèves organisent au théâtre Komissargevskaia une représentation dont le programme comporte Kachtcheï et un concert. Kachtcbeï est exécuté sous la direction de Glazounov. A la fin de cet opéra, on appelle Rimski sur la scène et on lui fait la lecture d’éloges pompeux. On prononce ensuite des discours incendiaires. Il paraît même que quelqu’un aurait crié : « A bas la tyrannie! » Le vacarme, après chaque discours, est inénarrable. La police intervient à ce moment et réussit à grand-peine à faire descendre le rideau de fer, mettant ainsi un terme à ces désordres. Naturellement le concert ne put être exécuté.
Les désordres durent deux mois, pendant lesquels les œuvres de Rimski-Korsakov sont mises à l’index; puis les eaux se calment peu à peu et la situation au conservatoire redevient apparemment normale. Rimski-Korsakow, de son côté, n’abandonne pas la partie. Sa dernière œuvre, le Coq d’or, est contre le régime. On y voit la satire d’un certain Dodon, tsar stupide et vaniteux, qui s’en remet aux conseils d’un astrologue pour gagner la guerre et envoie ainsi à la mort ses fils et toute son armée. Au lieu de combattre, Dodon se perd derrière les fallacieux espoirs que lui laisse entrevoir une belle princesse. Mais il la fait ensuite chasser par son astrologue, qui, à son tour, donne à son coq l’ordre de tuer le pauvre tsar à coups de bec.
Sadko, projet de décor pour la dernière scène (dessin de A. Benois, 1930). Paris, Collection Anne Tcherkessov.
Rimski-Korsakov n’assistera pas aux effets produits par son opéra sur le public russe. Une angine achève son existence le 21 juin 1908. Une de ses dernières pensées est pour l’avenir de sa patrie. Quant à lui, il ne se préoccupe de rien. Il ne demande ni honneurs ni panégyriques. Logique et fidèle à lui-même jusqu’à la fin, il confie son propre souvenir à son message musical : « Je n’aime pas le chagrin, les deuils, les messes in memoriam, dira-t-il à sa fille. Si un jour vous voulez penser à moi, quand je ne serai plus, écoutez simplement ma musique. »
Près du rapide, peinture de J. J. Levitan (1860-1899). Moscou, Galerie Tretjakowsky.
1844, Naissance a tikhvin (Novgorod), le 18 mars.
1845, Festival Glinka organisé à Paris (Cirque olympique) par Berlioz.
— M. I. Glinka, Jota aragonaise.
1847, Voyage de Berlioz en Russie.
1848, M. I. Glinka, Kamarinskaïa.
1853, Naissance de V. S. Soloviev à Moscou.
1855, M. A. Balakirev fait la connaissance de Glinka.
1856, Il entre a l’École navale de Saint-Pétersbourg.
1856, A. S. Dargomïjsky, Russalka.
1857, Mort de M. I. Glinka à Berlin.
— Nouveau voyage d’Hector Berlioz en Russie.
1859, Élève de Feodor Kanille pour le piano.
1861, Il fait la connaissance de Balakirev qui lui révèle la jeune musique russe.
1862-1665, Croisière Autour du monde.
1864, C. A., Cui critique musical à Saint-Pétersbourg.
1865, Symphonie no 1, opus 1.
Rimski-Korsakov intégré parmi les Cinq.
1865, Réunion de musiciens chez Dargomijsky.
1867, Fait la connaissance de Tchaikovski.
1868, Symphonie no 2, Antar, opus 9.
1869, M. A. Balakirev, Islamey, fantaisie orientale. — A. P. Borodine commence le Prince Igor.
— M. P. Moussorgsky, Boris Godounov.
1871, Chaire de composition au conservatoire de Saint-Pétersbourg.
1872, Il épouse Nadezda N. Kolaievna Purcold le i 2 juillet.
1872, M. P. Moussorgsky commence Khovuntchina, Naissance d’Alexandre Scriabine à Moscou, Naissance de Diaghilev àG rutzyno (Novgorod).
1873, « La Pskovitaine» (Saint-Pétersbourg, 13 janvier).
1873, Naissance de Serge Rachmaninov à Oneg (Novgorod).
1875, À. K. Liadov, élève de Rimski-Korsakov. — Voyage de Saint-Saëns en Russie.
1879, A. K. Glazounov, élève de Rimski-Korsakov.
1880, A. P. Borodine compose Dans les steppes de l’Asie centrale.
1880, La Nuit de mai (Saint-Pétersbourg, le 21 janvier 1880).
1881, Mort de M. P. Moussorgsky.
— Voyage de Debussy à Moscou, et séjour, chez. Mme von Meck.
Les corbeaux sont arrivés (tableau de A. K. Savrasov, 1830-1897) - Moscou, Galerie Tretjakovsky.
Rimski-Korsakov (photo datant de 1900 environ) - Moscou, Musée Glinka.
1882, M. A. Balakirev, Thamar, poème symphonique.
— Naissance d’Igor Stravinsky à Oranienbaum (Saint-Pétersbourg).
1883, Cénacle de Belaiev (jusqu’en 1886).
1884, Traité d’harmonie.
1885, Concerts symphoniques russes donnés à Saint- Pétersbourg.
— M. P. Belaïev fonde une maison d’édition musicale à Leipzig.
1887, « Capriccio espagnol », opus 34.
1887, Mort d’A. P. Borodine à Saint-Pétersbourg.
— Nouveau voyage de Saint-Saëns en Russie.
1888, « Schéhérazade », opus 35 - « La grande Paque russe », opus 36.
1889, Dirige deux concerts de musique russe a Paris.
1891, Naissance de Serge Prokofiev à Soutsovska (Ukraine).
1893, Mort de P. I. Tchaïkovski à Saint-Pétersbourg.
1898, « Sadko » (Moscou, 7 janvier).
1898, S. Diaghilev fonde la revue le Monde de l’art.
1899, La Tétralogie de Richard Wagner, exécutée à Saint-Pétersbourg.
1900, « Tsar Saltan » (Moscou, 3 novembre).
1900, O. Respighi, élève de Rimski-Korsakov.
1902, Traité d’instrumentation.
1903, Igor Stravinsky, élève de Rimski-Korsakov.
1905, Appuie les revendications des étudiants du Conservatoire.
1906, Voyage en Italie.
1906, Naissance de Dimitri Chostakovitch à Saint- Pétersbourg.
1907, « La Légende de la ville invisible de Kitèje » (Saint-Pétersbourg, 20 février).
1907, Serge de Diaghilev organise à Paris les Concerts russes.
1908, Snégourotchka a Paris, a l’Opéra-Comique.
Mort a Liubensk (Saint-Pétersbourg, le 21 juin).
Le Voyageur (peinture de M. V. Vasne^ov, 1862-1942) - Moscou, Galerie Tretjakovsky.
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Jeudi 5 Juin, 2025