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Opéra Comique, 14 mai 2014, par Frédéric Norac ——

Une jolie redécouverte : « Ali Baba » de Charles Lecoq

De Charles Lecoq (1832-1918) et de ses cinquante opérettes et opéras comiques, la postérité n'a guère retenu que La Fille de Madame Angot, un titre qui faisait (et fait encore ?) les beaux jours des scènes amateurs, des matinées d'opérette à l'attention du troisième âge et des théâtres de province de second rang. On aurait tort toutefois d'en déduire que le compositeur ne soit qu'un simple épigone d'Offenbach et un survivant un peu « ringard » de l'opérette « Troisième République ».

Ali baba charles lecocq Philippe Talbot (Zizi), Vianney Guyonnet (Kandgiar), chœur Accentus. Photographie © Pierre Grosbois.

Certes l'influence du maître de l'opéra-bouffe est sensible dans l'invention rythmique, la construction de ses ensembles toujours pleins de vivacité et de surprises  comme le merveilleux quintette de l'acte III mais il y a un ton, une invention mélodique, une  touche de sentimentalisme et une couleur d'orchestration qui lui sont propres et annoncent déjà la comédie lyrique telle que l'inventera la génération des Messager et autres Reynaldo Hahn. Singulièrement, en tous cas, dans cet Ali Baba, opéra comique en 3 actes, créé en 1887 au Théâtre Alhambra de Bruxelles, dans un moment où l'étoile parisienne du compositeur commençait à vaciller sérieusement et qui fut un de ses plus jolis succès.

On le comprend aisément tant la musique possède de charme réel auquel on se laisse volontiers aller : de forts jolis chœurs comme celui des Voleurs à l'acte II qui évoque le Bizet de Carmen, des airs touchants, entre cavatine et romance, comme celui de Morgiane à l'acte II ou du rôle-titre au III, des numéros proprement bouffes où l'on retrouve cette touche de « gauloiserie » propre à l'opérette et qui fait toujours mouche, des préludes orchestraux enfin qui créent avec efficacité le climat de chaque tableau.

ali Baba Christianne Bélanger (Zobéïde), François Rougier (Cassim). Photographie © Pierre Grosbois.

Alors d'où vient cette sensation d'ennui qui peine à se dissiper au premier acte — au moins jusqu'à l'entrée en scène des Voleurs — et qui refait surface dans le troisième dont le dénouement paraît un peu laborieux ?  Sans doute du livret très relâché d'Albert Vanloo et William Busnach dont l'intrigue (ou plutôt son absence) ne suffit pas à porter les trois longues heures — entracte compris tout de même — que dure l'œuvre. L'enjeu dramatique étant quasi inexistant, l'intérêt ne peut-être relancé que par le pittoresque de scènes et la saveur intrinsèque des numéros musicaux qui s'enchaînent les uns aux autres comme autant de réussites individuelles mais ne paraissent  guère reliés entre eux, sinon par quelques moments théâtraux plus ou moins réussis.

La production ne peut rien contre cette sensation de décousu et d'éclectique que renforcent encore des changements de tableaux incessants, toile baissée, rompant encore le peu de continuité que possède l'œuvre. Il faut dire que l'opérette de Lecoq, conçue originellement comme un grand spectacle, est montée ici avec d'assez petits moyens.

Au delà de ses intentions affirmées d'actualiser le propos avec des références socio-économiques contemporaines qui font plutôt long feu et se traduisent surtout dans les décors et les costumes, la mise en scène d'Alain Meunier reste parfaitement classique et on lui en sait gré. Elle possède la juste dose de caricature et d'attendrissement qui convient à ce répertoire.

Ali Baba Judith Fa (Morgiane), Tassis Christoyannis (Ali Baba), chœur Accentus. Photographie © Pierre Grosbois.

L'équipe se prête volontiers aux facéties de cette pochade bon enfant et personne ici ne démérite ni ne détonne. Dans le rôle-titre Tassis Christoyannis par ailleurs bon chanteur manque un peu de clarté dans l'articulation et ne donne qu'un relief limité à son personnage. Les meilleures compositions sont à trouver du côté du Zizi de Philippe Talbot, joli ténor di grazia à la française, et de l'excellent Cassim de François Rougier. Une mention également pour le Kandgiar de Vianney Guyonnet et son étonnant numéro de danse du poignard ainsi que pour le cadi désopilant du comédien Thierry Vu Huu. Du côté féminin, si Sophie Marin-Degor ne possède pas le timbre le plus gracieux que l'on puisse imaginer, elle apporte à son rôle d'amoureuse discrète, un engagement, une sensibilité et une probité qui convainquent. Dans le rôle essentiellement burlesque de Zobéïde, Christianne Bellanger avec une émission curieuse, se révèle très savoureuse encore qu'un peu outrée. D'excellents chœurs, surtout masculins — Accentus associé à celui de l'Opéra de Haute-Normandie —, un orchestre de grande qualité, conduit par un chef — Jean Pierre Haeck — parfaitement en phase avec cette musique, contribuent à ce qui, sans parler de révélation, constitue une bien jolie redécouverte.

Prochaines représentations les 16, 18, 20 et 22 mai

Diffusion sur France-Musique le 3 juin à 20 h

plume Frédéric Norac
14 mai 2014
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