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Un week-end americain et français au festival de « Musique de Chambre à Giverny »
Giverny, 30 août-1er septembre 2013, par Alain Lambert ——
Après le festival des Traversées Tatihou, insulaire, world et randonneur, un autre festival étonnant nous attendait à l'autre bout de la Normandie, à Giverny, là où Monet nous a légué son magnifique jardin, de Babel, avec ses milliers de visiteurs du monde entier. Cosmopolite aussi la belle équipe de musiciens réunis dans la Villa Rose du Centre culturel américain par le violoncelliste Michel Strauss et la pianiste Macha Belooussova. Les plus anciens, une demi douzaine (sans compter les compositeurs et les arrangeurs invités), venant partager leur expérience avec une petite vingtaine de plus jeunes, mais déjà bien impliqués, en jouant avec eux presque une cinquantaine de pièces de musique de chambre, sur quinze jours et onze concerts, de tous styles, de Bach à aujourd'hui, sans oublier le tango ni le jazz, pour une dixième édition toute en patchwork.
Le jazz justement était à l'honneur du dernier intitulé « American dreams », ce dimanche 1er septembre. Avec d'abord un trio très contemporain de Nikolaï Kapustin, pianiste de jazz et compositeur classique ukrainien, qui a tout compris de ce que voulait faire le compositeur, violoniste et musicologue français André Hodeir dans le courant des années cinquante et soixante, avec son Jazz Group de Paris, ou le Kenny Clarke Sextet. C'est à dire écrire le jazz et les improvisations « simulées », en mêlant l'écriture classique et le swing dans une sorte de défi permanent : donner au compositeur et à son écriture la qualité d'improvisation appartenant au meilleur d'un soliste, par définition hors de toute écriture, et renouveler ainsi cette écriture, en ouvrant une autre voie possible à la musique contemporaine. Ce que Kapustin a parfaitement réussi, ainsi que ses trois interprètes. Il en allait de même pour West Side Story arrangé pour deux pianos ou Porgy and Bess arrangé pour sextuor avec clarinette (voir plus bas la liste des pièces évoquées, et les noms des interprètes et des arrangeurs).
Et sans qu'il y ait pour autant « parodie » comme l'a affirmé un peu vite le compositeur invité du festival, Bruno Mantovani, dans le petit discours introduisant sa propre pièce, Blue girl with red wagon, dont la recherche sonore, très intéressante aussi, penchait plus du côté de Varèse que du jazz, malgré quelques accords échappés d'un piano bar de Chicago.
À signaler sur West Side Story le superbe duo de pianistes constitué par Macha Belooussova et Raphaël Drouin, duo qui nous a aussi ébloui, deux soirs plus tôt, avec une Rhapsodie Espagnole de Ravel de toute beauté, avec un moment très bluesy au milieu de la feria, comme Ravel savait les écrire, pour ajouter d'autres couleurs à ses œuvres. On aimerait réentendre un jour ce duo dans un programme complet, et dans cette atmosphère musicale qui leur convient parfaitement. Raphaël a d'ailleurs aussi animé les nuits de vendredi et de samedi à la Villa Rose, en ajoutant parfois au piano son clavier Roland, et en improvisant des variations aussi bien sur l'Internationale (avec Michel Strauss) ou sur My Way (avec deux musiciennes chantant en russe et en portugais) pour donner une idée de l'ambiance à laquelle la bonne humeur, et volonté, des bénévoles contribuaient beaucoup pour l'intendance. Un autre magnifique duo, Macha Belooussova avec le baryton Wolfgang Holzmair, pendant les deux concerts consacrés à la musique française, et aux chansons de Ravel, Ibert (une mort de Don Quichotte proche de Brel, au début du moins) ou Duparc (une magnifique Invitation au voyage de Baudelaire, plus symboliste que romantique dans sa sobre retenue).
Musique française d'hier, avec le très acrobatique trio méconnu de Alkan, et son feu roulant de piano dans le dernier mouvement. Ou son troisième mouvement plus calme, quand le piano solo dialogue avec le duo de cordes. Et le flamboyant quatuor de Saint-Saëns, à la limite du concerto pour violon, avec une reprise finale presque tzigane. Musique française d'aujourd'hui avec Mantovani, et le duo de piano Icare, un passionnant dédale sonore, où plus d'un aurait perdu pied, mais pas Macha Beloussova, ni Esther Assuied, la très jeune benjamine du groupe (après Violette, 9 mois, la mascotte des musiciens). Un paysage sonore presque infini, comme l'espace parcouru par une sonde au sonar solitaire, juste avant la chute finale.
Car la musique contemporaine peut exprimer quelque chose, quoiqu'en ait dit Igor, comme l'a montré aussi Philippe Hersant, dont Dreaming Tracks a été créé et dévoilé de belle façon, vendredi soir, par les deux dédicataires et organisateurs du festival, Macha et Michel. L'auteur nous avait donné quelques éléments, en particulier les références aux mythes des aborigènes australiens. Effectivement, on entendait presque la lourde tortue, au violoncelle, rêver de danser et sautiller, au piano. Ou le sinueux serpent, au piano, rêver de marcher pizzicato, au violoncelle. Avant que l'oiseau de nuit ne rêve de l'étoile du premier matin.
Je ne m'étendrai pas sur les « Aurores boréales » de la musique nordique européenne, sinon pour mettre en avant la magnifique construction de la danse populaire, la première des deux mélodies nordiques de Grieg.
Il faut redire encore que tous les interprètes, jeunes ou moins jeunes, étaient excellents et bourrés d'une énergie communicative. Sans oublier le maître des pianos, sans qui l'harmonie et l'accord seraient impossibles, Pierre-Étienne Berlioz.
Un bien beau festival, donc, dans l'esprit et la musique ! Avec une acoustique excellente, et confortable, ce qui ne gâche rien, que ce soit au musée des impressionnismes, ou à l'église de Giverny.
Le site de musique de chambre à Giverny
Dimanche 1er septembre, 15h30, Musée des impressionnismes, Giverny : « American dreams ».Nikolaï Kapustin, Trio pour piano, flûte et violoncelle opus 86, Adriana Ferreira (flûte),Raphaël Drouin (piano), Sietse-Jan Weijenberg (violoncelle) Bruno Mantovani, Blue girl with red wagon, pour piano et quatuor à cordes, Clara Lyon (violon), Nikita Boriso-Glebskiy (violon),Megan Griffin (alto), Hannah Collins (violoncelle), Jean-Claude Vanden Eynden (piano). Leonard Bernstein, Danses symphoniques de West Side Story, arrangement pour 2 pianos par John Musto, Raphaël Drouin et Macha Belooussova. George Gershwin, Suite de Porgy and Bess, arrangement de Thierry Pélicant pour sextuor et contrebasse. Gordan Nikolic (violon),Rosanne Philippens (violon), Jean-Claude Vanden Eynden (pian),Mark Holloway (alto), Ulysse Vigreux (contrebasse), Jean-François Bescond (clarinette). Vendredi 30 août, 20h00, Musée des impressionnismes, Giverny : « Musique française d'hier et d'aujourd'hui »Philippe Hersant, Dreatime (À Michel Strauss et Macha Beloossova), pour violoncelle et piano,commande de Musique de chambre à Giverny. Michel Strauss (violoncelle), Macha Belooussova (piano). Mélodies de Jacques Ibert et Maurice Ravel,pour baryton et piano. Wolfgang Holzmair (baryton), Macha Belooussova (piano). Bruno Mantovani, Icare, pour deux pianos. Macha Belooussova et Esther Assuied. Maurice Ravel « Rhapsodie espagnole » pour deux pianos. Raphaël Drouin et Macha Belooussova. Emmanuel Chabrier, España, arrangement de Thierry Pélicant pour piano, contrebasse et quatuor à cordes. Esther Assuied (piano), Ulysse Vigreux (contrebasse), Eléonore Darmon (violo),Rosanne Philippens (violon),Megan Griffin (alto), Sietse-Jan Weijenberg (violoncelle). Samedi 31 août, 15h30, église de Giverny : « Le romantisme à la française » Charles Valentin Alkan, Trio avec piano opus 30 en sol mineur. Irène Duval (violon),Noëlle Weidmann (cello), Jean Claude Vanden Eynden (piano) Henri Duparc, Mélodies. Wolfgang Holzmair (baryton), Macha Belooussova (piano) Camille Saint-Saëns, Quatuor à cordes opus 112. Gordan Nikolic (violon),Éléonore Darmon (violon), Megan Griffin (alto),Sietse-Jan Weijenberg (violoncelle). Samedi 31 août, 20h00, Musée des impressionnismes, Giverny : « Aurores boréales » Edvard Grieg, Deux mélodies nordiques pour les cordes opus 63. Nikita Boriso-Glebskiy (violon), Éléonore Darmon (violon),Rosanne Philippens (violon), Clara Lyon (violon),Yeo-Jin Hwang (alto),Mark Holloway (alto), Maja Bogdanovic (violoncelle),Hannah Collins (violoncelle). Edvars Grieg, Quatuor no 2 (inachevé) en fa majeur. Irène Duval (violon), Gordan Nikolic (violon), Emlyn Stam (alto), Noëlle Weidmann (violoncelle). Jean Sibelius, Trio à cordes en sol mineur. Gordan Nikolic (violon),Emlyn Stam (alto),Noëlle Weidmann (violoncelle). Niels Gade, Octuor opus 17. Éléonore Darmon (violon), Clara Lyon (violon), Nikita Boriso-Glebskiy (violon), Rosanne Philippens (violon), Yeo-Jin Hwang (alto), Mark Holloway (alto),Maja Bogdanovic (violoncelle), Hannah Collins (violoncelle). |
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