De gauche à droite : Ahmad le pâtissier (Luc Bertin-Hugault), Mârouf (Jean-Sébastien Bou), Fattoumah (Doris Lamprecht), Le Kâdi (Olivier Déjean). Photographie © Pierre Grosbois.
À un an près, c'est à un quasi centenaire que l'Opéra-Comique convie le public parisien pour sa fin de saison, avec cette nouvelle production de Maroûf, savetier du Caire, opéra-comique en cinq actes, créé in loco en mai 1914.
Célèbre et finalement méconnue, l'œuvre a fait les beaux jours des scènes lyriques parisiennes pendant un demi-siècle, passant de Favart à Garnier en 1930 pour disparaître progressivement de l'affiche après la Deuxième Guerre mondiale.
Chœur des hommes. Photographie © Pierre Grosbois.
S'agit-il d'un chef-d'œuvre ignoré ou d'une simple curiosité ? D'évidence, Henri Rabaud était un compositeur de bonne école, orchestrateur raffiné, mélodiste agréable, d'une modernité tempérée, un rien éclectique, ayant écouté et entendu ses aînés et ses contemporains, Debussy et Ravel, notamment, et sachant utiliser les traditions pour donner un support à une certaine liberté harmonique. Reste que son opéra ne parvient que par intermittence à captiver l'auditeur et ne convainc pas totalement.
Il faut sans doute incriminer partiellement un livret un peu mince, sans véritable ressort dramatique, n'offrant qu'un canevas relâché pour construire une œuvre de théâtre, et induisant une certaine monotonie par le retour de situations attendues.
De gauche à droite : Le Sultan (Nicolas Courjal), Le Vizir (Franck Leguérinel), Mârouf (Jean-Sébastien Bou), Ali (Frédéric Goncalvès). Photographie © Pierre Grosbois.
Le texte de Lucien Népoty, dans son amusant démarquage de la poésie arabe des Mille et Une Nuits dont il s'inspire, offre au compositeur l'occasion de quelques très beaux airs, notamment ceux du rôle-titre — sa plainte d'entrée, le célèbre air de la caravane, son ode à la beauté de Saamcheddine, son épouse — ou la sublime scène du dévoilement à l'acte III, sans doute un des sommets de la partition, où l'influence de Pelléas est particulièrement sensible. Le sens du climat d'Henry Rabaud se révèle dans de beaux préludes et la couleur locale ne manque pas dans la suite de ballet qui célèbre la mariage du héros à l'acte II ou dans la scène du fellah à l'acte V. Mais si le lyrisme pur semble particulièrement stimuler le compositeur, les limites se font sentir dès qu'il s'agit de construire une véritable action et les quelques ensembles — singulièrement le finale de l'opéra — restent très artificiels et courts d'inspiration.
Princesse Saamcheddine (Nathalie Manfrino), Mârouf (Jean-Sébastien Bou). Photographie © Pierre Grosbois.
Le registre décalé, à l'humour bon enfant, dans lequel Jérôme Deschamps a choisi de mettre en scène cette ultime perle de l'orientalisme français, est assez loin de celui imaginé par ses créateurs. Il tire souvent vers le burlesque ce qui avait été pensé dans une tonalité plus ambigüe mais ménage tout de même quelques moments à l'ambiance irréelle et poétique bienvenus, comme celle du harem à l'acte III ou la rencontre des époux déjà évoquée. Une fois acceptée l'esthétique farfelue des costumes et des coiffes délirantes, tout droit sortie d'un livre de contes, très contemporaine dans ses outrances colorées et dans ses mélanges d'étoffes, il faut avouer que de nombreuses scènes arrivent à faire mouche, surtout dans la deuxième partie, mais l'on garde souvent le sentiment de rester à la marge du propos dans un travail plus illustratif que réellement dramatique. La contribution de la compagnie de ballet Peeping Tom va bien au-delà des passages chorégraphiques et joue un rôle essentiel dans l'animation du plateau. Il faut aussi saluer les belles lumières de Marie-Christine Soma et le décor à transformation très efficace de Vanessa Sannino qui contribuent à un spectacle agréable.
Mârouf (Jean-Sébastien Bou), Ahmad le pâtissier (Luc Bertin-Hugault).
Photographie © Pierre Grosbois.
Dans la pleine maturité de ses moyens, Jean Sébastien Bou se révèle absolument idéal dans le rôle-titre, conçu pour le célèbre Jean Périer, créateur de Pelléas en 1902, un rôle qu'il a lui-même abondamment fréquenté. Avec sa petite quarantaine séduisante — l'âge même du créateur— il s'affirme comme le meilleur baryton Martin de sa génération avec une articulation impeccable, une ligne de chant élégante et un sens des demies teintes particulièrement évident dans les grands mélismes arabisants dont ses airs abondent. Il habite son rôle avec une énergie inépuisable et une finesse digne des meilleurs comédiens. Nathalie Manfrino paraît plus ordinaire en Saamcheddine. Certes la couleur de la voix est juste mais l'aigu souvent instable et la prononciation peu claire. De la riche galerie de seconds rôles, on distinguera la généreuse basse de Nicolas Courjal en Sultan auquel fait un excellent pendant le Vizir fourbe à souhait de Franck Leguérinel. Frédéric Goncalvès compose un Ali qui est comme une version réduite de l'Ahmad de Luc Berin-Hugault — ce qui est logique puisqu'il en est le fils dans l'histoire et que l'on passe de basse à baryton — et Le Fellah de Christophe Mortagne se distingue particulièrement dans sa chanson de l'Acte V mais convainc un peu moins dans son apparition successive en genni. Doris Lamprecht en rajoute peut-être un peu dans les stridences de son rôle de virago à l'acte I. Les personnalités de jeunes chanteurs l'académie lyrique sont à peine décelables dans les quelques silhouettes qui leur sont confiées mais ils forment une bonne troupe de base à un opéra riche en seconds plans.
Mârouf (Jean-Sébastien Bou), Le Sultan (Nicolas Courjal), danseuses.
Photographie © Pierre Grosbois.
Alain Altinoglu, à la tête du Philharmonique de Radio-France, est en tous points l'homme de la situation, faisant briller les nombreuses beautés de la partition et sertissant cette perle orientale dans un écrin chatoyant tout à fait digne d'elle.
Prochaines représentations le 29, 31 mai, 3 juin à 20h - le 2 juin à 15h.
Diffusion sur France Musique le 22 juin à 19h .
Tutti. Photographie © Pierre Grosbois.
Frédéric Norac
27 mai 2019
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Samedi 23 Mars, 2024