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Par Jean-Luc Vannier

Les Ballets de Monte-Carlo et le Ballet Nice Méditerranée ouvrent brillamment leur saison chorégraphique

Cette semaine, il fallait en quelque sorte choisir son camp : mercredi 19 octobre et vendredi 21 octobre s'ouvraient respectivement la saison chorégraphique du Ballet Nice Méditerranée et celle des Ballets de Monte Carlo. La compagnie dirigée en Principauté par Jean-Christophe Maillot proposait en première partie de redécouvrir une création réalisée en avril dernier Opus 50 dont Musicologie avait alors rendu compte dans ses colonnes. Deux autres œuvres figuraient également au programme : The death and the maiden, chorégraphie du tchèque Petr Zuska doublement inspirée du « Quatuor à cordes en ré mineur » achevé en mars 1824 par Franz Schubert et de la musique du compositeur Leoš Janáček, auquel l'actuel Directeur artistique du Ballet du Théâtre National de Prague rendait ainsi hommage. Et Dearest earthly friend pièce chorégraphiée et mise en scène par l'allemand Marko Goecke.

Alexis Oliveira et Frances Murphy dans The death and the maiden.  photo © Alice Blangero Alexis Oliveira et Frances Murphy dans The death and the maiden.
photo © Alice Blangero.

La jeune fille et la mort se veut une initiation progressive mais inexorable au « signifiant ultime » : si la mort, magnifiquement incarnée par Alexis Oliveira, joue du piano pour mieux attendrir la jeune fille — Frances Murphy —, l'inventive scénographie de Jan Dusek consiste à retirer peu à peu le mobilier du plateau comme pour habituer le public et la belle au néant et à la finitude. Malgré la visite des parents — Jérôme Marchand, April Ball — et l'apparition agitée de l'amoureux — Raphaël Bouchard — qui semble un court instant faire douter de l'issue fatale, l'invitation à rejoindre l'éternité l'emporte dans une étreinte finale du duo à la fois sensuelle et morbide. Dearest earthly friend prend quant à lui le pari musical — très réussi — d'opposer Ella Fitzgerald et György Ligeti. Complètement soumis au rythme saccadé des « scats », ces improvisations vocales nourries d'onomatopées de la première, les danseurs — April Ball, Anjara Ballesteros, Raphaël Bouchard, Asier Edeso, Alexis Oliveira, Stefan Stewart et Jeroen Verbruggen — laissent leurs corps résonner en toute liberté et multiplient mouvements gymniques à la fois intenses et inattendus, un peu à l'image des déhanchements chaotiques du Batsheva Ensemble d'Ohad Naharim. Dans cet appel frénétique à la vie, l'époustouflante performance de l'un des danseurs, Jeroen Verbruggen, a valu à ce dernier un petit triomphe auprès du public.

Jeroen Verbruggen dans Dearest earthly friend photo © Alice Blangero Jeroen Verbruggen dans Dearest earthly friend. photo © Alice Blangero

À l'Opéra de Nice, le Directeur artistique du Ballet Nice Méditerranée présentait, dans la soirée du samedi 22 octobre, le programme Chorus In spiritus, lui aussi composé d'une création de l'année passée Cantate 51 signée à l'origine par Maurice Béjart sur fond de la célèbre partition de Jean-Sébastien Bach : une œuvre qui formait avec la Cantate 106 un diptyque d'inspiration chrétienne rassemblé dans un seul ballet intitulé Actus Tragicus. Très épurée mais ne négligeant nullement la pleine exploitation gestuelle du volume scénique par des mouvements amples et onduleux qui suggèrent une infinie douceur, la chorégraphie remontée par Eric Vu-An insuffle à l'Archange et à la Vierge — le soliste César Rubio Sancho, Céline Marcinno — une grâce intimiste où les corps, surtout dans les deuxième et troisième mouvements plus lents, entretiennent un contact aérien, sinon fragile. Dans l'« Alleluia » final, les deux anges — les solistes Sophie Benoit et Paula Acosta Carli- et les quatre filles et garçons —Christine Nonelli, Flavia Abbadessa, Veronica Colombo, Julie Loria et Guido Sarno, Andres Heras Frutos, Giacomo Auletta, Xavier Juyon — confirment cette profonde inspiration dans une belle harmonie d'ensemble.

Céline Marcinno et le soliste César Rubio Sancho dans Cantate 51 photo © D. JausseinCéline Marcinno et le soliste César Rubio Sancho dans Cantate 51. photo © D. Jaussein.

En création mondiale qu'elle offrait au Ballet Nice Méditerranée, la chorégraphe américaine Lucinda Childs proposait devant un écran d'images marines réalisé par Frédéric Maurel et Dominique Drillot et sur la musique du compositeur argentin Osvaldo Golijov Oceana, pièce où la danse recrée les mouvements incertains, hésitants mais perpétuels de la mer. Mouvements agrémentés des nombreux accents culturels en provenance des terres riveraines. Malgré quelques déplacements scéniques volontairement répétitifs, les danseurs — Renata Commisso, la soliste Aldriana Vargas, Christine Nonelli, Julie Loria, Veronica Colombo, Marie Riquet, la soliste Paula Acosta Carli, Anastassiya Jastrebova et Guido Sarno, le soliste Alessio Passaquindici, Nicolas Rombaut, Victor Escoffier, Andres Heras Frutos, Giacomo Auletta, Xavier Juyon, le soliste César Rubio Sancho — parviennent à transmettre cette impression d'éternel recommencement.

Oceana de Lucinda Childs.photo © D. JausseinOceana de Lucinda Childs.photo © D. Jaussein.

En troisième partie, Por vos muero, œuvre du chorégraphe espagnol Nacho Duato remontée à cette occasion par Tony Fabre et Thomas Klein, plonge le public dans l'Espagne des xve et xvie siècles. Âge d'or dont la musique a accompagné l'expression d'une multitude de formes de danse : célébration ludique des joies de la vie, imprégnation sensuelle des transports amoureux, résignation face aux derniers instants, autant de circonstances qui rappellent, sur la grave déclamation d'un poème de Garcilaso de la Vega, la relation inaliénable de la musique et de la danse au corps en mouvement.

Por vos muero, œuvre du chorégraphe espagnol Nacho Duato.Por vos muero, œuvre du chorégraphe espagnol Nacho Duato. photo © D. Jaussein.

Mêlant évolutions scéniques et corporelles modernistes et attachement intérieur aux traditions — notamment dans la superbe danse des masques ou celle tout aussi envoûtante des encensoirs peut-être inspirée de la cérémonie annuelle dans la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle —  les danseurs — la soliste Aldriana Vargas, Anastassiya Jastrebova, Marie Riquet, la soliste Sophie Benoit, Céline Marcinno, Veronica Colombo et Mikael Champs, Xavier Juyon, Guido Sarno, Andres Heras Frutos, Victor Escoffier et le soliste Alessio Passaquindici — entraînent la salle dans une ambiance tantôt festive et enjouée, tantôt respectueuse et sévère. Finalement, deux magnifiques soirées chorégraphiques imprégnées de cette oscillation immémoriale et inhérente à l'être humain dont l'existence se partage entre joie et désespoir. La danse, c'est aussi bien la vie du corps que la manifestation de l'âme.

Nice, le 23 octobre 2011
Jean-Luc Vannier

La soliste Aldriana Vargas et Guido Sarno dans Por vos muero. La soliste Aldriana Vargas et Guido Sarno dans Por vos muero.
photo © D. Jaussein.


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