I. E. W. Saïd, écrits variés sur Johann Sebastian Bach. Présentation.
II. Ouverture sur les Pleins-Jeux : Bach à l'orgue (Bach for the Masses.
III. Interlude : variations sur Bach et les motifs de l'Invention de Laurence Dreyfus.
IV. Finale : le démiurge ou l'ambition cosmique (Cosmic Ambition).
Edward Saïd parle avec chaleur dans ses articles1 de l'ouvrage Bach et les motifs de l'Invention de Laurence Dreyfus.
Du coup je suis allé voir de quoi il s'agissait. Le livre n'est pas traduit, et il sera difficile à traduire si j'en juge par ma tentative sur un ou ceux paragraphes, mais il a l'air passionnant au vu des recensions consultées. Les voici en traduction, pour vous mettre l'eau à la bouche. On en trouvera la version originale à la fin de cette plaquette, car certains passages me sont restés opaques. La traduction est réalisée sans volonté de soigner le style. Après tout, ce ne sont que des articles de revue.
Voici d'abord la Table des matières de Bach and the Patterns of Invention :
Frontmatter
1. What Is an Invention?
2. Composing against the Grain
3. The Ideal Ritornello
4. The Status of a Genre
5. Matters of Kind
6. Figments of the Organicist Imagination
7. On Bach's Style
8. Bach as Critic of Enlightenment
Notes - Index of Works by Bach - General Index
Voici ensuite les quatre « variations » :
Dans cette nouvelle interprétation majeure de la musique de J.S. Bach, nous obtenons une image saisissante du compositeur en critique unique de son temps. En lisant la musique de Bach "à rebours" de ses contemporains tels que Vivaldi et Telemann, Laurence Dreyfus explique comment l'approche de Bach à l'invention musicale dans une variété de genres a posé un défi fondamental à l'esthétique baroque. « Invention » — le mot que Bach et ses contemporains utilisaient pour l'idée musicale qui se trouve en arrière-plan ou qui génère une composition — apparaît comme une clé précieuse dans l'analyse de Dreyfus.
En regardant des pièces importantes dans un grand nombre de genres, concertos, sonates, fugues, et œuvres vocales, il se concentre sur la construction fascinante de l'invention, la matière de base musicale, puis montre comment Bach la dispose, l'élabore, et l'orne en structurant sa composition. Bach et les motifs de l'Invention nous apporte une nouvelle compréhension des méthodes de travail de Bach, et comment elles diffèrent de celles des autres compositeurs de premier plan de son époque. Nous apprenons aussi ici sur l'appropriation exceptionnelle par Bach des styles français et italien — et sur l'élévation de divers genres bien au-dessus de leur statut traditionnel.
Repoussant les œillères communément rencontrées dans la musicologie historique et l'analyse théorique, Dreyfus suggère une approche stimulante de Bach qu'il conçoit comme un penseur du dix-huitième siècle et en même temps comme un compositeur dont la musique continue à nous parler aujourd'hui.
Source : https://www.hup.harvard.edu/catalog
En 1812, 62 années après la mort de Johann Sebastian Bach, E.T.A. Hoffmann a écrit :
Il ya des moments — par-dessus tout, lorsque je lis les œuvres du grand Sébastien Bach — où les relations mathématiques de la musique, les règles mystiques du contrepoint, en fait, éveillent en moi une terreur intérieure. (« Kreisleriana »,dans Pièces de fantaisie dans le style de Callot)
Cette affirmation pittoresque est moins extravagante, moins romantique qu'il n'y paraît. Pour la plupart des amateurs de musique qui ont une expérience intime des œuvres de Bach — et surtout pour ceux qui les jouent — sa musique semble révéler, avec un impact physique direct, les aspects les plus profondément cachés du langage tonal.
Il est généralement sans intérêt d'essayer de distinguer l'imagination de Bach de ses connaissances ou de sa technique, son pouvoir expressif de sa manipulation des « règles mystiques du contrepoint », mais son art a toujours été reconnu comme redoutable, même par ceux qui n'appréciaient pas son style. Plusieurs de ses contemporains ont témoigné de sa capacité, dès lors qu'on lui a donné deux thèmes différents, à voir à la fois toutes les différentes façons dont ils peuvent être joués ensemble, avec toutes les combinaisons possibles contrapuntiques.
Il savait immédiatement ce qui pourrait être fait avec un thème unique : son fils, Carl Phillip Emmanuel, lui montra une fugue qu'il avait écrite et lui demanda si d'autre variations étaient possibles, après avoir jeté un coup d'oeil attentif, il répondit fermement : « Aucune ».
Le pouvoir expressif de la musique de Bach a plusieurs sources. La première est sa capacité à maintenir la tension d'une ligne ornementale ou arabesque plus longuement que tout autre compositeur antérieur à Chopin. Plus importante encore est son exploitation de la dissonance de l'harmonie chromatique : aucun compositeur de son temps ne peut se comparer à lui dans l'audace et l'originalité. Le plus important peut-être, c'est sa compréhension des possibilités émotionnelles inhérentes au contrepoint, c'est-à dire la façon dont une voix peut en imiter une autre, dans les effets dramatiques que l'on peut tirer d'une mélodie inversée ou jouée contre elle-même (canon à l'écrevisse, rétrograde), et aussi la manière subtile dont les implications harmoniques d'un motif peuvent être radicalement modifiées quand celui-ci est joué avec un autre motif de caractère différent.
Un nouveau livre de Laurence Dreyfus, Bach et les modes de l'Invention, s'attaque au processus créatif de Bach. Il s'agit de la première étude depuis un certain temps à traiter avant tout des raisons pour lesquelles les amateurs de musique veulent écouter Bach ou le jouer. La plupart des études récentes sur Bach se sont intéressées aux questions d'authenticité et de chronologie, avec des questions précises de représentation, — de quelle taille était l'orchestre de Bach, son chœur, comment exécutait-il les trilles, attendait-il de l'interprète d'ajouter à l'ornementation — avec le symbolisme religieux de la musique, ou l'influence des traités de rhétorique sur son point de vue esthétique. Il ya eu des études de la numérologie sur sa musique, la plupart d'entre elles très suspectes comme le sont toutes ces études, mais nous pouvons nous réjouir que celles-ci sont maintenant tombées [dans l'oubli ?].. ... (la suite réservée aux abonnés de la NYRB).
Parue dans The Times Higher Education Supplement, No 1316.
Laurence Dreyfus est Professeur de Musique à l'Université d'Oxford et Fellow du Magdalen College. Harvard University Press 270pp, ISBN 0-674-06005-9
Les étudiants en musique baroque auront probablement rencontré les mots inventio, elaboratio et executio sans y avoir fait autrement attention.
Ils sont dérivés de la rhétorique de Cicéron et pourraient être rejetés comme des tentatives de donner à des processus simples des noms à consonance fantaisiste.
Laurence Dreyfus prend ces termes au sérieux et croit qu'ils peuvent constituer la base d'une approche analytique capable de faire la lumière sur le fonctionnement de l'esprit de Bach. Cela ne semble pas être une prémisse très prometteuse mais Dreyfus s'en sert comme d'un tremplin pour une évaluation originale et détaillée de la réussite de Bach.
Il commence par montrer comment « l'invention », la « disposition » et l'« élaboration » sont des concepts significatifs pour les musiciens du 18e siècle. Deux faux-fuyants sont immédiatement éliminés.
Le premier d'entre eux est la scolastique aride de Mattheson avec les prétentieux noms latins qu'il donne à des procédures musicalement vides de sens, le second conçoit Bach comme un humaniste érudit tous azimuts qui imite consciemment dans sa musique les catégories de la rhétorique classique.
Nous nous retrouvons avec un Bach principalement concerné par l'invention, la disposition et l'élaboration en tant que cadre conceptuel pour son approche très spécifique de l'écriture de la musique. Une grande partie du livre est consacrée à une analyse détaillée qui tente d'éclairer, voire dans une certaine mesure de recréer les processus de composition de Bach.
Le résultat est une mise en évidence convaincante de processus qui paraissent désordonnés mais réalistes. Il s'agit d'une approche fondamentalement imaginative de l'analyse, qui met en jeu des hypothèses sur l'ordre dans lequel les inventions de la pièce ont été composées et le rôle des procédures qui ont été lancées par le compositeur, mais voués à un succès resté partiel en raison de la grammaire de la musique tonale.
Tout cela fait que la composition apparait comme l'œuvre d'un artisan hautement qualifié et persévérant plutôt que comme l'ouvrage d'un créateur divin. Il s'agit d'un thème qui réapparaît à plusieurs reprises au cours de l'ouvrage : Dreyfus a la ferme conviction que les intentions de Bach sont accessibles et peuvent jouer un rôle dans notre interprétation de sa musique. Le Bach de Dreyfus invente —, il ne découvre ni n'obéit à des lois inviolables. Cela conduit à Dreyfus à être en désaccord avec certaines des idées reçues des musicologues du 19e et du 20e siècle. Au premier rang de rejets de Dreyfus, c'est la volonté de voir un morceau de musique comme un organisme, croissant à partir d'une cellule initiale jusqu'à une forme complexe.
En comparant la lecture de Schenker à sa propre analyse de la fugue de Bach en ut mineur du Clavier bien tempéré (Livre 1), Dreyfus affirme qu'une approche de la pièce reposant sur des concepts que Bach aurait compris a plus de sens que les théories organicistes sur Bach. L'un des aspects les plus intéressants de ce livre est de savoir comment Dreyfus développe l'idée de l'invention pour englober le traitement par Bach de genres différents, tels la Sonate auf Concertenart et le concerto. Son interprétation de la Sonate pour viole de gambe et clavecin, BWV 1029, est ingénieuse et convaincante ; Dreyfus lit le mouvement lent comme une combinaison contrapuntique des styles français et italien, chaque style étant dans une large mesure étouffé par l'autre.
Dreyfus montre constamment comment les méthodes intellectuellement plus rigoureuses de Bach émergent lorsque son travail est comparé aux tenants « progressistes » du style galant et à la musique de compositeurs comme Vivaldi. Il condense beaucoup de raisonnement et d'analyse dans un livre assez court.
L'analyse technique profonde et détaillée justifiera une étude intensive. Les œuvres discutées sont soit citées intégralement soit en larges extraits et une grande partie de l'analyse est présentée sous forme de tableaux. Compte tenu de la densité de l'argumentation, on voit que le livre a été écrit sur une période considérable et dans des styles différents.
Parfois Dreyfus semble utiliser un type particulièrement obscur d'écriture qui utilise des analogies entre la musique et la théorie linguistique. Cependant, dans la plus grande partie du livre, il écrit dans un style scientifique et lucide. Ce livre est sans doute destiné à des chercheurs professionnels et à des étudiants sérieux.
Toutefois, les idées de Dreyfus sont dignes d'intérêt pour toute personne intéressée à explorer de nouvelles voies de compréhension de la musique du 18e siècle.
Barry Mitchell The Times Higher Education Supplement, No 1316.
Reviewed by Bernard D. Sherman. Bernard D. Sherman is the author of Inside Early Music, and writes articles for The New York Times, Early Music, and many other publications.
Il y a un siècle, explique Laurence Dreyfus, les biographes de Bach le dépeignent comme « un créateur divin » dont « les œuvres miraculeuses résonnent dans une harmonie béatifique .... imprégné d'un air de mystère ».
Aujourd'hui, dit-il, les commentateurs ont tendance à décrire la musique de Bach avec « le langage de la chimie », affichant « un penchant pour les propriétés, l'analyse, la synthèse et l'équilibre ». Dreyfus reconnaît les défauts de l'ancienne image religieuse, mais il pense que la récente image chimique a elle aussi ses faiblesses. Elle ne parvient pas à faire passer l'idée d'un Bach figure énergique, de sa musique comme « l'œuvre d'un esprit extraordinaire concevant des inventions extraordinaires ».
Ce sentiment est ce que Dreyfus explore dans son extraordinaire Bach et les modes de l'Invention. Si certains musicologues hésitent encore à faire appel aux intentions de l'auteur, ce sont les intentions de Bach que Dreyfus recherche. Il veut comprendre ce que Bach a essayé de faire quand il a composé, et comment Bach a procédé.
La plupart d'entre nous ont grandi avec l'idée que la grande musique découle du génie créatif. Mais cette idée n'est venue à la mode qu'après l'époque de Bach. Bach lui-même décrit ses réalisations en termes prosaïques comme : « J'ai dû travailler dur ; toute personne qui travaille aussi dur ira aussi loin ».
Bach n'a probablement pas dû le croire littéralement — il se rend compte que quelques compositeurs ont du talent et d'autres pas, et peut-être qu'il est juste modeste — mais la phrase rend compte de son attitude d'artisan pré-romantique. Dreyfus nous donne un nouvel éclairage sur l'une des questions que soulève cette attitude : quand Bach travaillait dur, sur quoi travaillait-il, et avec quels outils ?
Bach faisait travailler ses propres étudiants sur le développement de ce qu'il appelle « de bonnes inventions ». De nombreux auteurs ont supposé que par invention Bach voulait dire le thème au début d'un morceau — un sujet de fugue, par exemple, ou la première ritournelle dans un concerto. Dreyfus montre qu'il ya plus que cela. Une invention de Bach est une sorte de « mécanisme » musical qui « assure sa propre transformation ».
Il comprend, en d'autres termes, non seulement les thèmes (plus précisément, « des complexes thématiques »), mais aussi leurs implications pour le développement et l'élaboration. Dans un sujet de fugue, par exemple, les implications typiques peuvent comprendre ce qui se passe lorsque le sujet est mis à l'envers ou en association avec lui-même.
Dans un thème de concerto, elles peuvent comprendre ce qui arrive aux éléments constitutifs du thème lorsqu'il est transposé au relatif mineur. Réfléchir à de telles conséquences faisait partie de ce que faisait Bach quand il traitait2 une invention. Ces conséquences faisaient elles-mêmes partie de l'invention.
Dreyfus examine ensuite le processus réflexif de Bach face à ces implications musicales. Contrairement à des théoriciens influents comme Heinrich Schenker (dont il met à mal les analyses des fugues de Bach), Dreyfus met l'accent non pas tant sur la pièce musicale finie que sur la manière dont Bach en a fait ce qu'elle est.
L'approche de Dreyfus ouvre un certain nombre d'idées sur le processus inventif de Bach. À quoi servent les voix libres dans une fugue ? Quelle est la différence entre un genre et un style ? Quels rôles harmoniques jouent les sections d'une ritournelle ?
Les réponses de Dreyfus à ces questions font la lumière sur de nombreux chefs-d'œuvre de Bach. Il parvient avec des mots à rendre compte de quelque chose de ce qui se passe dans une expérience musicale et à enrichir cette expérience avec ses commentaires. On pourra discuter spécifiquement l'une ou l'autre de ses analyses, mais on lui sera reconnaissant de poser les bonnes questions et de définir son sujet avec une parfaite clarté.
La tentative de Dreyfus de scruter l'atelier de Bach apporte un autre bénéfice. Elle aide à expliquer pourquoi, comme le dit Dreyfus, « ce que Bach réalise diffère en degré comme en nature de ce que font ses contemporains ». Les commentateurs musicaux qui préconisent l'approche par le « langage de la chimie » obscurcissent souvent le caractère unique de Bach.
Si vous centrez votre analyse sur la forme globale ou sur les styles baroque, Bach semble assez représentatif de son époque. Mais Dreyfus montre qu'une partie de ce qui rend Bach unique c'est sa rigueur dans l'élaboration de ses inventions. « chez aucun autre compositeur de l'époque », dit-il, « peut-on trouver un tel zèle fanatique axé si souvent sur ce que les autres estiment être les parties les moins intéressantes de la composition ».
Vivaldi3 ou Telemann, par exemple, ont souvent utilisé des clichés pour les passages transitoires, mais Bach a pris la peine de faire en sorte que même ces mesures soient en phase avec l'invention de base de la pièce.
Alors que l'approche du « créateur divin » se trompe en traitant le compositeur comme s'il était « divorcé de son temps », Dreyfus se plaint que l'approche par l'« analyse chimique » fasse l'erreur inverse : elle réduit Bach « à un faisceau d'influences ». Pourtant, Dreyfus montre que l'intérêt de Bach dans les styles et les genres de son époque était bien plus complexe et subversif [contrary] que les chercheurs ne s'en sont rendu compte. Le Bach de Dreyfus était un chercheur curieux et actif et, plus que cela, un critique énergique de son époque.
Il a « composé à rebours », sapant régulièrement les attentes des conventions baroques, en combinant des styles qu'un véritable encyclopédiste aurait dissociés. À l'époque les critiques musicaux à la mode ont critiqué Bach pour ces combinaisons qui leur semblaient de mauvais goût.
Dreyfus a de nouvelles idées sur la relation de Bach aux contemporains à la mode. Compte tenu de la tendance de Bach à aller à contre-courant, affirme Dreyfus, le vieux débat de savoir si Bach était conservateur ou progressiste n'est pas pertinent. Bach avait une connaissance approfondie à la fois des traditions baroques et des tendances des Lumières qui étaient en passe de les supplanter — mais sur des points cruciaux, il se tenait en dehors des deux.
Où donc était-il ? Dreyfus note que l'approche de Bach contraste avec l'idée, dominante au XVIIIe siècle, de l'art comme d'un miroir tendu à la nature4. L'Art, selon cet idéal « mimétique », devrait attirer l'attention non pas sur lui-même mais sur tout ce qu'il reflète, et pourtant la musique de Bach attirait sans honte l'attention sur l'art lui-même. De cette façon, Bach fait preuve d'une approche plus « herméneutique », qui voit l'art comme la façon dont un individu va faire sens de lui-même et du monde.
Nous pourrions envisager Bach comme prémonitoire sous cet aspect — ou, comme le soutient Charles Rosen, déterminant [influential] — car l'approche herméneutique a triomphé au XIXe siècle. Le XIXe siècle a été en mesure d'apprécier Bach d'une manière dont ses contemporains étaient souvent dépourvus, en partie parce que Bach est plus en phase avec la vision du XIXe de l'art (ou le XIXe plus en phase avec Bach). Mais l'approche de Bach à l'herméneutique était fondée sur une base bien différente de celle des romantiques expressifs surtout d'eux-mêmes.
Comme Dreyfus la voit, l'approche de Bach à la musique ressemblait à « la théorie luthérienne de l'interprétation biblique ». Dreyfus explique que « non seulement le chrétien devait commenter un texte sacré avec une interprétation, de façon à réaffirmer sa conviction ...il se devait d'en rechercher une « application » conforme à la position de l'interprète »5. Dans le cas de Bach le texte sacré était la musique elle-même.
L'approche de Bach n'était guère celle de la norme luthérienne, cependant, car il ne voyait pas la musique comme un simple accessoire au texte qu'il mettait en musique. Pour Bach, « penser en musique était une conséquence nécessaire de la croyance en ses origines divines. » Le souci du sacré tient dès lors une place centrale dans l'art de Bach telle qu'elle est comprise par Dreyfus comme dans les études de Schweitzer, de Philip Spitta, et autres au siècle dernier, mais son rôle est plus complexe.
Il n'y a qu'un seul aspect propres à l'ouvrage dont on aurait pu se passer : la terminologie quasi-chomskienne6 de Dreyfus pour définir les façons de transformer les inventions (par exemple, MODESWITCH pour un mouvement du majeur au mineur, ou vice-versa). Une petite critique face à ce qui est l'un des meilleurs et des plus importants ouvrages jamais écrits sur la musique de Bach.
Un lecteur de la revue « Fanfare » a écrit un commentaire sur l'article de de Bernard D. Sherman. Ce commentaire m'a paru suffisamment intéressant pour le joindre. Voici donc une variation sur la variation.
On trouve une approche similaire de la compréhension du rôle du sacré dans deux essais récents de John Butt, l'un et l'autre inclus dans The Cambridge Companion to Bach, un livre qu'il a dirigé.
Ce qui peut avoir rendu la musique de Bach unique, explique John Butt, ce n'est pas la théologie luthérienne orthodoxe de Bach (qu'il illustre en utilisant les moyens de la peinture textuelle baroque), mais sa métaphysique peu orthodoxe.
Butt trouve dans les écrits de Bach une métaphysique implicite — l'idée que « la substance même de la musique à la fois reflète et incarne la réalité ultime de Dieu et de l'Univers ». C'est cette métaphysique, suggère Butt, qui a incité Bach à poursuivre sans fin les connexions entre les parties musicales et le tout.
Un tel perfectionnisme, comme nous l'avons vu plus haut, était inhabituel pour l'époque, et a influencé des musiciens dans les siècles suivants. Mais la métaphysique complique notre compréhension de la façon dont la théologie de Bach influence sa musique. Butt suggère que cette métaphysique (qui pourrait être inconsciente) transgresse la théologie luthérienne orthodoxe. Elle met la musique sur un pied d'égalité avec les Écritures, qui sont, souligne Butt, « officiellement la seule révélation de la divinité transcendante ».
Elle pourrait même avoir rendu Bach « sujet à une accusation de panthéisme ». La force de Bach comme défenseur de la foi luthérienne pourrait être liée à une métaphysique non-luthérienne. En effet, Butt compare la métaphysique de Bach à celle de Spinoza, oui, le Juif hérétique hollandais, dont Bach ignorait presque certainement les écrits. (Butt pense que leur similitude reflète les grandes tendances de la pensée de l'époque).
J.S. Ba[ru]ch — Spinoza ? Diable ! (si je puis me permettre) décidément ces musicologues justifient l'approximatif In coda venenum… [Jean Granoux].
1. Outre Bach for the masses, traduit ici, E. W. Said évoque et cite abondamment L. Dreyfus dans Glenn Gould, the virtuoso as Intellectual (Raritan Review, V 20 n°1, 2000) repris dans Music at the limits Bloomsbury 2009 et traduit en français dans E.W. Said, Du Style Tardif, actes Sud 2012.
2. coming up with.
3. On trouve dans le programme du festival de Pordic (concert Vivaldi Haydn du 29 août 2013) un court extrait du livre de Dreyfus consacré à la réception de Vivaldi en Europe.
4. Kunst ist nicht ein Spiegel, den man der Wirklichkeit vorhält, sondern ein Hammer, mit dem man sie gestaltet. L'art n‘est pas un miroir que l'homme tend à la Nature, mais un marteau avec lequel il lui donne forme, dira au siècle suivant Karl Marx, le romantique bien connu, à mi-chemin entre Florestan (1814) et Siegfried (1876). Je n'ai pu trouver la source de cette citation archi-connue en Allemagne : au fond, il serait beau qu'elle soit apocryphe. « Play it again, Sam ! ».
5. Traduction incertaine de he was to search for an 'Application' relevant to the position of the interpreter.
6. Renvoie à Noam Chomsky (né en 1928), linguiste, cogniticien, militant d'extrême gauche, connu pour son langage souvent abscons.
Voir : https://www.chomsky.info.
In this major new interpretation of the music of J.S. Bach, we gain a striking picture of the composer as a unique critic of his age. By reading Bach's music “against the grain” of contemporaries such as Vivaldi and Telemann, Laurence Dreyfus explains how Bach's approach to musical invention in a variety of genres posed a fundamental challenge to Baroque aesthetics. “Invention”— the word Bach and his contemporaries used for the musical idea that is behind or that generates a composition — emerges as an invaluable key in Dreyfus's analysis. Looking at important pieces in a range of genres, including concertos, sonatas, fugues, and vocal works, he focuses on the fascinating construction of the invention, the core musical subject, and then shows how Bach disposes, elaborates, and decorates it in structuring his composition. Bach and the Patterns of Invention brings us fresh understanding of Bach's working methods, and how they differed from those of the other leading composers of his day. We also learn here about Bach's unusual appropriations of French and Italian styles — and about the elevation of various genres far above their conventional status. Challenging the restrictive lenses commonly encountered in both historical musicology and theoretical analysis, Dreyfus provocatively suggests an approach to Bach that understands him as an eighteenth-century thinker and at the same time as a composer whose music continues to speak to us today.
In 1812, sixty-two years after the death of Johann Sebastian Bach, E.T.A. Hoffmann wrote:
There are moments — above all, when I have been reading in the works of the great Sebastian Bach — in which the mathematical relationships of music, the mystical rules of counterpoint, in fact, awaken in me an inner terror. (“Kreisleriana,” in Fantasy Pieces in Callot's Style)
This picturesque assertion is less extravagant, less romantic than it may appear. To most lovers of music who have an intimate experience of the works of Bach — most of all, those who play them — his music seems to reveal, with a direct physical impact, the most profound hidden aspects of the language of tonality. It is generally beside the point to try to distinguish Bach's imagination from his knowledge or craft, his powers of expression from his manipulation of “the mystical rules of counterpoint,” but his craft was always acknowledged as formidable, even by those who did not appreciate his style. Several of his contemporaries testified to his ability, when given two different themes, to see at once all the different ways that they could be played together, with all the possible contrapuntal combinations. He knew immediately what could be done with a single theme: his son, Carl Phillip Emmanuel, showed him a fugue he had been writing and asked if any other variations were possible; after a moment's glance, he replied firmly, “None.”
The expressive power of Bach's music has several sources. One is his ability to sustain the tension of an ornamental line or arabesque at greater length than any other composer before Chopin. Even more important is his exploitation of the dissonance of chromatic harmony: no composer of his time came near him in daring and originality. Most important of all, perhaps, is his understanding of the emotional possibilities inherent in counterpoint — that is, in the way one voice can imitate another, in the dramatic effects that can be drawn from a melody inverted or played against itself, and also from the subtle way the harmonic implications of a motif can be radically altered when it is played with another motif of different character.
A new book by Laurence Dreyfus, Bach and the Patterns of Invention, takes up Bach's creative process. It is the first study in some time to deal above all with the reasons that music lovers might want to listen to Bach or play him. Most of the recent studies of Bach have concerned themselves with matters of authenticity and chronology, with detailed questions of performance — how large was Bach's orchestra and his chorus, how did he execute the trills, did he expect the performer to add to the decoration — with the religious symbolism of the music, or with the influence of rhetorical treatises on his aesthetic outlook. There have been studies of numerology in his music, most of them very dubious as are all such studies, but we may rejoice that these have now fallen out… la suite (accès payant).
Students of baroque music will probably have come across the terms inventio, elaboratio and executio and not have given them a second thought. Ther are derived from Ciceronian rhetoric and could be dismissed as attempts to give straightforward processes fancy-sounding names. Laurence Dreyfus takes these terms seriously and believes they can form the basis of an analytical approach capable of shedding light on the workings of Bach's mind. This does not appear to be a very promising premise, but Dreyfus uses it as a springboard for an original and detailed appraisal of Bach's achievement. He begins by showing how “invention”, “disposition” and “elaboration” were meaningful concepts for 18th-century musicians. Two red herrings are immediately disposed of. The first of these is the arid scholasticism of Mattheson with its pretentious Latin labels for musically empty-headed procedures; the second is the idea of Bach as an all-round learned humanist who consciously imitates in his music the categories of classical rhetoric. What we are left with is a Bach primarily concerned with invention, disposition and elaboration as a conceptual framework for his highly idiosyncratic approach to writing music. Much of this book is concerned with detailed analysis that tries to illuminate, and at least to some extent to recreate, Bach's processes of composition. The result is the uncovering of processes that appear messy but are convincingly real. This is a fundamentally imaginative approach to analysis, involving as it does speculations about the order in which the inventions of the piece were composed and the role of procedures that were started by the composer but destined for only partial success due to the grammar of tonal music. All this makes composition appear as the work of a highly skilled and persevering craftsman rather than the work of a god-like creator. This is a theme that re-appears many times during the book: Dreyfus has a firm belief that Bach's intentions are recoverable and can play a part in our interpretation of his music. Dreyfus's Bach invents – he neither discovers nor obeys inviolable laws. This leads Dreyfus to take issue with some of the received wisdom of 19th-and 20th-century musicology. Chief among Dreyfus's dislikes is the desire to see a piece of music as a organism, growing from an initial cell to a complex form. Comparing Schenker's reading to his own analysis of Bach's C minor fugue from the Well-Tempered Clavier, Book 1, Dreyfus argues that an approach to the piece based on concepts that Bach would have understood makes more sense than Bach's organicist theories. One of the most interesting aspects of this book is how Dreyfus develops the idea of invention to encompass Bach's treatment of different genres such the Sonate auf Concertenart and the concerto. His interpretation of the Sonata for viola da gamba and harpsichord, BWV 1029, is ingenious and convincing; Dreyfus reads the slow movement as a contrapuntal combination of French and Italian styles with each style to a large extent being stifled by the other. Dreyfus constantly brings out how Bach's more intellectually rigorous methods emerge when his work is compared to the “progressive” exponents of the style galant and the music of composers like Vivaldi. He packs a lot of argument and analysis into a fairly short book. The technical analysis is deep and detailed and will repay intensive study. The works discussed are either quoted in full or in large extracts and much of the analysis is presented in tabular form. Given the density of the argument, the book bears the hallmark of having been written over a considerable period and in various styles. At times Dreyfus seems to be experimenting with a particularly obscure type of writing that uses analogies between music and linguistic theory. However, in most of the book he writes in a scholarly and lucid style. This book is probably intended for professional scholars and serious students.
However, Dreyfus's ideas should be of interest to anyone interested in exploring new ways of understanding 18th-century music. (The Times Higher Education Supplement, No 1316, 2007.).
A century ago, says Laurence Dreyfus, biographers portrayed Bach as "a godlike creator" whose "miraculous works resound in a beatific harmony... suffused with an air of mystery." Today, he says, commentators tend to describe Bach's music with "the language of chemistry," displaying "a penchant for properties, analysis, synthesis, and balance." Dreyfus acknowledges the flaws of the older religious image, but he thinks that the newer chemical one has its own weaknesses. It fails to convey a sense of Bach as an active figure, or of his music as "the work of an extraordinary mind devising extraordinary inventions."
That sense is what Dreyfus explores in his extraordinary Bach and the Patterns of Invention. Some musicologists still shy away from appealing to an author's intentions, but Bach's intentions are what Dreyfus is after. He wants to understand what Bach was trying to do when he composed, and how Bach went about the process.
Most of us grew up with the idea that great music flows from creative genius. But this idea came into fashion only after Bach's time. Bach himself described his achievement in prosaic terms like, "I have had to work hard; anyone who works just as hard will go just as far." Bach presumably didn't believe this literally - he did realize that some composers have talent and some don't, and perhaps he was just being tactful about his achievement - but the sentence does capture his pre-Romantic, craftsmanlike attitude. Dreyfus gives us new insight into one of the questions this attitude raises: when Bach worked hard, what was he working on, and with what tools?
Bach had his own students work on developing what he called "good inventions." Many writers have assumed that by an invention Bach meant the theme at the beginning of a piece - a fugue subject, say, or the opening ritornello in a concerto. Dreyfus shows that there's more to it. A Bach invention is a sort of musical "mechanism" that "ensures its own transformation." It includes, in other words, not only themes (more accurately, "thematic complexes") but also their implications for development and elaboration. In a fugue subject, for example, typical implications might include what happens when the subject is turned upside down or combined with itself. In a concerto theme, they might include what happens to the theme's constituent parts when transposed to the relative-minor key. Thinking through such implications was part of what Bach did when coming up with an invention. These implications were themselves part of the invention.
Dreyfus then examines Bach's process of thinking through such musical implications. In contrast to such influential theorists as Heinrich Schenker (whose analyses of Bach fugues he debunks), Dreyfus focuses not so much on the finished musical piece as on how Bach made it into what it is. Dreyfus's approach yields a number of insights into Bach's inventive process. What purpose did free voices serve in a fugue? What's the difference between a genre and a style? What harmonic roles did the sections of a ritornello play? Dreyfus's answers to such questions shed light on many Bach masterpieces. He manages to capture in words something of what happens in a musical experience, and to enrich that experience with his commentaries. You may question a specific reading, but you'll be grateful for it, because it raises the right questions and defines the topic with probing clarity.
Dreyfus's attempt to peer into Bach's workshop yields another dividend. It helps explain why, as Dreyfus puts it, "Bach's achievement differs both in quality and kind from that of his contemporaries." Musical commentators who favor the "language of chemistry" approach often obscure Bach's uniqueness. If you focus your analysis mainly on overall form or on Baroque styles, Bach seems fairly typical of his day. But Dreyfus shows that part of what made Bach unique was his thoroughness in elaborating his inventions. "In no other composer of the period," he says, "does one find such fanatical zeal directed so often toward what others considered the least interesting parts of a composition." Vivaldi or Telemann, for example, often used formulaic material to get through transitional passages, but Bach took pains to see that even these bars engaged with the basic invention of the piece.
While the "godlike creator" approach errs by treating the composer as if he were "divorced from his time," Dreyfus complains that the "chemical analysis" approach makes the opposite mistake: it reduces Bach "to a bundle of influences." Yet, Dreyfus shows, Bach's interest in the styles and genres of his day was complex and contrary, far more than scholars have realized. Dreyfus's Bach was an active investigator and, more than that, a powerful critic of his age. He "composed against the grain," regularly subverting the expectations of Baroque conventions, and combining styles that a true encyclopedist would have kept separate. Modish contemporaries criticized Bach for such combinations, which seemed to them in bad taste.
Dreyfus has new ideas about Bach's relationship to those modish contemporaries. Given Bach's tendency to go against the grain, Dreyfus argues, the old argument over whether Bach was conservative or progressive misses the point. Bach had a thorough knowledge both of Baroque traditions and of the Enlightenment trends that were supplanting them - but in crucial ways he stood outside of both.
Where, then, did he stand? Dreyfus notes that Bach's approach contrasts with the dominant 18th-century idea of art as a mirror held up to nature. Art, according to this "mimetic" ideal, should draw attention not to itself but to whatever it was mirroring; yet Bach's music drew unabashed attention to art itself. In this way, Bach demonstrated a more "hermeneutic" approach, which sees art as an individual's making sense of himself and the world. We might consider Bach prescient in this repect - or, as Charles Rosen argues, influential - since the hermeneutic approach triumphed in the 19th century. The 19th century was able to appreciate Bach in a way his contemporaries often did not, partly because he was more aligned with its view of art (or it with his). But Bach's approach to hermeneutics had a different basis from that of the self-expressive Romantics. As Dreyfus sees it, Bach's approach to music resembled "the Lutheran theory of biblical interpretation." Dreyfus explains, "not only was the Christian supposed to gloss a sacred text with an interpretation so as to reaffirm his belief... he was to search for an 'Application' relevant to the position of the interpreter." In Bach's case the sacred text was the music itself.
Bach's approach was hardly normal Lutheranism, however, because he did not see music as merely ancillary to the text it was setting. To Bach, "thinking in music was a necessary consequence of a belief in its divine origins." A concern with the sacred, then, holds as central a place in Bach's art as understood by Dreyfus as it did in the scholarship of Schweitzer, Philip Spitta, and others from a century ago; but its role is more complex.
Only one of the book's original touches might have been abandoned: Dreyfus's quasi-Chomskian terminology for ways of transforming inventions (e.g., MODESWITCH for a move from major to minor or vice versa). A small criticism for what is one of the best and most important books yet written on Bach's music.
A similar new approach to understanding the role of the sacred is found in two recent essays by John Butt, both in The Cambridge Companion to Bach, a book he edited. What may have made Bach's music unique, says Butt, was not Bach's orthodox Lutheran theology (which he illustrated using standard Baroque means of text painting) but his unorthodox metaphysics. Butt finds in Bach's writings an implicit metaphysics - a sense that "the very substance of music both reflects and embodies the ultimate reality of God and the Universe." It was these metaphysics, Butt suggests, that spurred Bach to his endless pursuit of connections between musical parts and wholes. Such perfectionism, as we've seen above, was unusual for his time, and influenced musicians in later centuries.
But the metaphysics complicate our understanding of how Bach's theology influenced his music. Butt suggests that these (quite possibly unconscious) metaphysics transgressed orthodox Lutheran theology. They put music on a footing with Scripture, which Butt point out was "officially the only true revelation of the transcendent godhead." They might even have made Bach "open to the charge of pantheism." Bach's power as an exponent of Lutheran belief, then, may have depended on un-Lutheran metaphysics. Indeed, Butt compares Bach's metaphysics to those of Spinoza-yes, the Dutch Jewish heretic, whose writing Bach almost certainly did not know. (Butt thinks their similarity reflects broad trends of thought of the era.)
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2012
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Samedi 17 Février, 2024