François Chesnel, Kurt Weill Prolect, « Le voyant ». Sans Bruit 2013.
« Le voyant » ? Arthur Rimbaud qui écrivait le 13 mai 1871, une semaine avant l'écrasement de la Commune dans le sang : les colères folles me poussent vers la bataille de Paris — où tant de travailleurs meurent pourtant encore ! Travailler maintenant, jamais, jamais. Je suis en grève. Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et travaille à me rendre voyant : Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Ou Kurt Weil, quand le nazisme s'installait en Allemagne en 1933.
« Le voyant » : longue suite en hommage à ce musicien juif allemand (voir la notice musicologie.org), qui, exilé deux ans en France, y écrivit les Sept péchés capitaux, ballet avec chansons de Bertold Brecht, dont le prologue et l'épilogue sont repris ici, avec quatre autres thèmes, deux Lieder et deux songs pour marquer les deux autres époques du musicien, l'allemande et l'américaine. Cinq compositions du pianiste, François Chesnel, contrairement au précédent Kurt Weill Project (Petit Label kraft 019), s'intercalent avec bonheur dans l'ensemble.
Si Berlin a des accents plus modernes, les autres thèmes sont intemporels, souvent nostalgiques, un tantinet ironiques pour les deux songs avec leurs allures d'orphéon. Pourtant le son d'ensemble est très actuel, soutenu avec intensité par Éric Surménian (Salomon song, Alabama song) à la contrebasse et Ariel Mamane (Berlin, Salomon song) à la batterie, compagnon de François Chesnel dans le quartet Verona (voir notre chronique). Quant au trompettiste, Yoann Loustalot, comme dans son disque « Reflets » (voir notre chronique), il apporte, dès le prologue, toutes ses couleurs, chantantes, vacillantes ou sourdes, à la trompette ou au bugle, selon les morceaux, en chevrotant parfois dans les chansons à boire.
Le pianiste s'y donne lui aussi en peaufinant ses harmonies (Arthur) et ses arrangements (Le voyant), en accompagnant et dissonant ses rythmiques (Nana's lied), en esquissant ses intros et impros (One and only), toujours en laissant des notes en suspend, et pas seulement dans Il pleut, sorte de prélude en trio au Liebeslied, valse triste et chanson d'amour un peu grinçante, où le contrebassiste esquisse quelques pas, avant l'épilogue et les derniers battements du chœur.
Une superbe suite, un bel ensemble, très bien enregistrés. A savourer sans modération.
Voir le site du label « sans bruit ».
J'ai rencontré, par un froid jeudi de février, François dans sa chaude salle de jazz, toute en bois, au Conservatoire de Caen, avec ses élèves, attentifs et passionnés, à la fin de l'atelier de pratique jazz en groupe.
Il m'a confirmé la double identité du voyant, Arthur, le poète illuminé, auquel un autre titre rend hommage, et Kurt Weill lui même, anticipant l'avenir de la musique dans ses écrits, et dont les thèmes, proches des chansons populaires que les jazzmen ont toujours reprises, permettent l'improvisation collective dans un climat contemporain voisin du jazz européen du nord.
Proches aussi de la musique classique du xxe que François aime explorer. En témoigne le trio Bartók, mais dont les adaptations en jazz sont plus compliquées, au contraire des compositions du premier qui s'inscrivent simplement dans les deux univers musicaux, classique et populaire.
Voir sur son site les concerts à venir avec ses différentes formations. On peut y écouter Salomon song.
Alain Lambert
2012
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Mercredi 14 Février, 2024