D'évidence ces Dialogues devraient constituer le retour en grâce à Paris d'Olivier Py après l'anathème que lui a valu son Aïda lourdingue et déplacée à l'Opéra Bastille en octobre et novembre derniers.
Certes le metteur en scène évacue l'arrière-plan historique et transpose l'action dans un univers qui évoque l'immédiat après-guerre où fut écrit le texte de Bernanos, mais du coup il concentre le propos sur le problème de la foi dans une époque de doute où triomphent les valeurs du matérialisme, en même temps qu'il élargit le sens de la persécution en lui donnant des résonances contemporaines et plus universelles. La guillotine finale elle-même a disparu. Les Carmélites, se donnant la main en demi-cercle en chemise blanche à l'avant-scène, meurent métaphoriquement à chaque chute du couperet en quittant la scène par le fond où resplendit un ciel étoilé qui est un peu l'image de leur paradis. Quelques belles idées comme les adieux de Blanche et du Chevalier où le frère abandonne la sœur sans prévenir, la laissant désemparée et en proie aux remords après son discours plein d'orgueil, ou ces scènes sacrées jouées par les sœurs— Annonciation, Adoration, Crucifixion — qui ponctuent le récit, ajoutées à une direction d'acteurs de pur théâtre contribuent à un spectacle très réussi. Loin des pesanteurs de certains de ses décors construits habituels, la scénographie de Pierre André Weitz joue entièrement sur la suggestion créant de magnifiques espaces — salon de l'Hôtel de la Force, nef de l'église, communs du couvent, jardin et forêt prochaine, prison en perspective, avec de beaux panneaux coulissants qui modèlent indéfiniment l'espace de la relative petite scène du Théâtre des Champs Elysées. Cette symphonie mouvante de noirs, de gris, de beiges avec quelques trouées de blanc laiteux et de crème, nous renvoie à ce cinéma en noir et blanc des années 50 et l'on pense bien sûr aux Carmélites d'Agostini et Bruckberger mais aussi à l'univers d'un Bresson si proche du Jansénisme moderne de Bernanos.
S'agissant d'une dernière répétition, nous serons modérés sur les chanteurs. La voix de Patricia Petitbon a singulièrement gagné en largeur sans perdre de sa clarté et sa Blanche se révèle un être palpitant et profondément émouvant. En Sœur Constance, Sandrine Piau, malade, ne chantera pas nous privant d'une des plus belles scènes de la première partie. Véronique Gens s'affirme avec l'autorité d'une très grande tragédienne en Mme Lidoine tandis que Sophie Koch met un peu de temps à contrôler le vibrato de sa grande voix de mezzo dramatique mais finit par s'imposer en Mère Marie de l'Incarnation. La première prieure de Rosalind Plowright meurt à la verticale, dans un lit suspendu — un emprunt à la Rusalka de Robert Carsen ? Son émission forcée, son articulation explosive et incompréhensible du français laissent l'auditeur perplexe. N'y avait-il pas en France un grand soprano dramatique capable d'incarner le personnage ? Passons sur le Chevalier bien peu idiomatique et au timbre souvent ingrat de Topi Lehtipuu pour saluer le remarquable Marquis de Philippe Rouillon, la belle prestation de Matthieu Lécroart en geôlier prononçant la condamnation finale ainsi que le très touchant confesseur de François Piolino.
Le chœur féminin fait merveille dans les pièces sacrées qui émaillent la partition jusqu'au « Salve Regina » final. Dans la fosse, Jérémie Rhorer dirige avec passion cette partition souvent sur-orchestrée avec une petite tendance à couvrir les chanteurs mais quelle beauté sonore dans les interludes ! Au final, une évidence s'impose, ces Dialogues seront sûrement un des grands spectacles de la saison, aussitôt cette distribution globalement de très haut vol aura trouvé l'homogénéité qui lui manquait encore à la générale.
Frédéric Norac
8 décembre 2013
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