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Urhan Christian
1790-1845

Chrétien Urhan

Né à Montjoie (aujourd'hui Monschau, dans le district de Aachen en Allemagne), Baptisé le 16 février 1816, mort à Paris (Belleville) le 2 novembre 1845. Violoniste, altiste, organiste et compositeur.

Fils de Paul Urhahn (1754-1824) et de Catharina Weber (1753-1827), « simples citoyens », il est baptisé sous le prénom de « Christian » le 16 février 1790. Sa maison de naissance est la maison no 164. Aujourd'hui démolie depuis peu. Il a une sœur, Christina, née le 26 mars 1785, qui se marie à un dénommé Wilden. Sa sœur Anna Maria Catharina, baptisée le 10 avril 1785 meurt le 20 août de la même année, et son frère Joseph Arnold, baptisé le 12 février 1789, meurt le 28 octobre.

Extrait du registre des baptêmes de Monschau

En 1790, la bourgade de  Monschau est en Allemagne ; elle devient française en octobre 1794. Les manufactures de tissages et de mouchoirs y sont florissantes.

Photographie de gauche, Monschau aujourd'hui, la maison natale de Christian Urhan était à l'emplacement de bâtiment neuf sur la droite de la photo ; à droite de la photographie de droite, la maison natale au xixe siècle.

Il reçoit les premiers cours de violon de son père. Il complète ses activités musicales au sein de la famille Scheibler, fabricants de mouchoirs à Monschau qui compte parmi ses membres des musiciens amateurs. Il se produit très jeune dans des manifestations musicales et associatives à Monschau.

Aidé par Ernst Scheibler, lui-même instrumentiste (violoniste) qui joue souvent avec lui, il se produit dans des concerts à Aachen, notamment en 1799 dans La Création de Haydn, ou il tient le partie de piano dans les récitatifs.

En été 1804, l'impératrice Joséphine vient en cure aux thermes de Aachen (Aix-la-Chapelle). Elle remarque Christian Urhan lors d'un concert pour lequel il fait un remplacement (La Création de Joseph Haydn). Elle le recommande auprès de Jean-François Lesueur. Christian Urhan quitte Monschau le 8 septembre 1804 et Aachen le 11. La même année il édite Trois grandes Walzes pour le pianoforte, chez Simrock à Bonn.

À Paris il est l'élève de Lesueur chez lequel il habite

En 1806, sa musique est jouée à Notre-Dame où Lesueur est maître de chapelle. Il est violoniste surnuméraire de la chapelle impériale où il est organiste en 1810.

Jean-François Lesueur (1760-1837).

Il vit à Passy. En 1809, il est dégagé du service militaire en raison de son activité musicale. En Automne de la même année, il séjourne à Monschau, ainsi qu'à l'automne 1812, où il participe à un concert de charité pour les pauvres de l'église réformée, à la demande des Scheibler.

En 1814 il entre à l'Orchestre de l'Opéra comme Violoniste. En 1823 il en est le premier violon. Il y joue également de l'alto. A partir de 1819, il rompt tout contact avec sa famille et les Scheibler.

De 1824 à 1837, il est membre du quatuor Baillot.

En 1827 il est nommé organiste de l'église Saint-Vincent-de-Paul. En 1828, il est violon solo des Concerts du Conservatoire.

En 1830-1831, il est altiste dans le quatuor d'Anton Bohrer, qui fait connaître les derniers quatuors de Beethoven à Paris.

En 1836 il est violon-solo de l'Opéra de Paris.

Christian Urhan d'après une huile d'un peintre anonyme (Schuppener, p. 7).

Il crée la partie d'alto solo dans Harold en Italie à la demande de Berlioz et Meeyerber compose le partie de viole d'amour solo de son opéra Les Huguenots à son intention. Il fait connaître Schubert à Paris. Il a comme filleul et élève le chanteur Julius Stockhausen.

Julius Stockausen (1826-1906).



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LEGOUVÉ ERNEST, Soixante ans de souvenirs. J. Hetzel, Paris 1887, (II), p. 117-123

Dans les premières années du règne de Louis-Philippe, on pouvait voir tous les jours, vers les six heures, passer sur le bouvevard des Italiens, un petit homme, voûté, je pourrais dire bossu, enveloppé dans une longue redingote bleu clair, et son attitude méditative, son front penché, ses yeux toujours tournés vers le sol, son teint plombé, son long nez à la Pascal, sa figure d'ascète du moyen âge, faisaient dire à ceux qui le rencontraient : Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ? La surprise redoublait, quand on voyait ce personnage cénobitique s'arrêter au coin de la rue Marivaux et entrer au Café anglais. La surprise devenait de la stupéfaction, si vers les sept heures, on l'apercevait quittant le Café anglais, se dirigeant du côté de la rue Le Peletier, entrant à l'Académie royale de musique par la porte des artistes, et enfin allant prendre place parmi les musiciens de l'orchestre. Qui était-ce ? C'était en effet une sorte de moine du quatorzième siècle, égaré dans le Paris du dix-neuvième et à l'Opéra; c'était Urhan, à qui son père et sa mère avaient donné, comme par prévision, le prénom de Chrétien.

Chrétien Urhan avait deux cultes. La foi et la musique se partageaient son âme et sa vie. Il suivait tous les offices, s'astreignait à toutes les pratiques, jeûnait tous les jours jusqu'à six heures, ne mangeait jamais gras, dînait d'une tasse de lait et d'un peu de poisson, au Café anglais, et était premier violon à l'Opéra. Comment s'était-il décidé à s'asseoir à ce pupitre ? Ce ne fut pas sans de grands troubles de conscience. Son mysticisme lui faisait un crime de concourir à l'interprétation d'œuvres frappées d'anathème par l'Église, d'être partie active dans cet ensemble de tentations et de séductions; mais d'un autre côté, il croyait en Glück, en Mozart et en Rossini presque autant qu'en Dieu, et il adorait non seulement la musique religieuse, mais la musique dramatique. Cesser d'entendre, cesser de jouer Orphée, la Vestale, Guillaume Tell, les Huguenots... l'aurait mis au désespoir. Comment faire ? Il s'en tira par un permis et un compromis. Le permis lui fut accordé par l'Archevêque de Paris, qui ne put s'empêcher de sourire quand Urhan vint lui demander l'autorisation de jouer du violon à l'Opéra. Le compromis fut une affaire entre sa conscience et lui. Il se promit, et il se tint parole, de jouer en tournant le dos à la scène. C'était toujours ses yeux de sauvés. Il ne se permettait jamais de regarder ni un artiste, ni un décor, ni un costume; la chose allait encore dans les morceaux où tout l'orchestre joue, mais il était premier violon, comme tel, il accompagnait seul certains pas de ballet; ces pas sont comme un duo entre l'instrumentiste et la danseuse; dans un duo, il faut que les deux artistes se regardent, l'échange des regards est leur seul trait d'union. Urhan n'en avait cure! Au début du morceau, il prenait son instrument, comme on prend son chapelet, et les yeux fermés, il exécutait l'air du ballet, consciencieusement, religieusement, avec expression, mais sans s'occuper de la danseuse. Manquait-elle de mesure ? tant pis pour elle,... Urhan continuait toujours. Elle serait tombée sur la scène, qu'Urhan, je crois, aurait été jusqu'au bout.

Toutes ses actions étaient marquées à ce même coin de singularité. Je l'ai vu plus d'une fois, entrer chez ma femme, qu'il aimait beaucoup, s'asseoir au coin du feu, y rester un quart d'heure sans prononcer une parole, puis se levant, lui dire : « Adieu, chère madame Legouvé, j'avais besoin de vous voir. » Une de ses vieilles amies, à qui il écrivait assez souvent, m'a montré une lettre de lui, où les lignes s'interrompaient tout à coup, pour faire place à une phrase musicale, après laquelle il ajoutait : «  Les paroles ne pouvaient pas rendre ma pensée, alors je vous ai écrit en musique. » Enfin, un jour, il vint me raconter comment, la veille, se promenant dans une allée très solitaire du bois de Boulogne, il avait entendu une voix, qui lui avait dit : «  Écris ceci »; comment cette voix s'était mise à lui chanter un air, comment il avait noté cet air sous la dictée de cette voix, et alors, me tendant un papier de musique, il me dit : « Voici ce morceau, mais comme il n'est pas de moi, je ne veux pas m'en attribuer le mérite, et je l'intitulerai Transcription. » Ainsi fit-il. Le morceau parut sous ce titre, et avec une petite préface explicative. Mais le plus piquant, c'est qu'il me demande instamment d'écrire dans un journal un article sur cette mélodie. « Mais surtout, ajouta-t-il, ayez bien soin d'en indiquer l'origine. » Mon embarras fut très grand, je ne voulais pas le refuser, je l'aurais affligé; je ne voulais pas plaisanter sur sa version, je l'aurais blessé; je ne voulais pas avoir l'air d'y croire, j'aurais été ridicule. A force de chercher, je m'en tirai à sa satisfaction, et, paraît-il, à mon honneur. Mais un seul journal consentit à publir mon récit miraculeux, la Gazette de France.

En général, de telles excentricités prêtent à rire. Mais personne n'a jamais pensé à rire d'Urhan. Peu d'hommes, dans son temps, ont été plus comptés. La sincérité de sa foi, l'austérité de sa vie, l'ardeur de sa charité (il donnait tout ce qu'il gagnait) commandaient à tous le respect et la considération; on sentait en lui ce que les hommes honorent le plus, et le plus justement, un caractère. Sa dignité d'artiste était proverbiale. Cette dignité ne venait pas seulement du respect de lui-même, mais du respect de son art. J'en puis citer une preuve frappante. Le marquis de Prault, amateur de musique fort intelligent, avait institué dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré, des matinées de quatuors et de trios d'instruments à cordes, dont il avait confié l'organisation et la direction à Urhan. Urhan y jouait les premiers violons. Un jour, une jeune duchesse... (la mode était aux matinées du marquis de Prault, tout le beau monde était enchanté d'avoir l'air d'aimer la musique sérieuse), une jeune duchesse donc, tout étincelante d'élégance et de beauté, arrive, au milieu d'un morceau, et après avoir fait son petit fracas, s'asseoit et engage tout bas quelques menus bavardages avec sa voisine. Urhan frappe sur son pupitre un petit coup sec, arrête net le quatuor, met son archet sous son bras, regarde en l'air en attendant que le bruit ait cessé, et une fois le silence rétabli, recommence gravement le morceau da capo. Je vous réponds qu'après ce jour-là, personne n'a plus fait de bruit aux matinées du marquis de Prault. La séance finie, j'allai le féliciter de son attitude : « Jamais, me répondit-il avec calme, je ne souffrirai qu'on manque de respect, devant moi, à un chef-d'œuvre. » Ce n'était pas pour lui qu'il avait été froissé, c'était pour Beethoven.

Urhan était un virtuose de second ordre. On comptait à Paris dix violons plus habiles que lui, mais il rachetait cette infériorité relative d'exécution, par une qualité aussi rare que précieuse : il avait du style. Le style tenait chez Urhan à sa connaissance profonde de tous les maîtres, comme à son religieux et inflexible respect pour leurs œuvres. Il ne permettait pas plus d'en altérer le caractère en les exécutant, que de faire du bruit en les écoutant. lui-même eut plus d'une fois maille à partir avec lui à ce sujet. Dans l'organisation des concerts du Conservatoire, dont il fut un des premiers et des plus utiles auxiliaires, si Habeneck voulait opérer quelques coupures, ou supprimer quelques instruments dans une symphonie, Urhan protestait, résistait, et un jour une partie de contrebasses ayant été mise de côté, dans la Symphonie avec chœurs, Urhan signala cette impiété dans un article, et signa l'article.

Il avait une autre qualité plus personnelle encore. En général, les adorateurs du passé sont dédaigneux du présent. Leur admiration pour les vieux maîtres se complique de mépris pour les nouveaux. Leur culte est un culte jaloux, étroit, exclusif. Ils se construisent une sorte de petit Olympe, d'où ils ne sortent pas et où ils ne permettent pas d'entrer. Chez Urhan, l'amour des maîtres d'autrefois n'avait d'égal que la passion pour les maîtres d'aujourd'hui et même de demain. C'était un dépisteur. Il y mettait une ardeur d'apôtre. C'est à lui que nous devons l'apparition de Schubert en France. Schubert est quelque peu oublié aujourd'hui; il n'en a pas moins fait une révolution musicale parmi nous. Il nous a montré qu'on pouvait écrire des chefs-d'œuvre d'une page. On pourrait l'appeler, à un certain point de vue, le La Fontaine de la musique; il a fait tenir autant de pensée dans quelques mesures que La Fontaine dans quelques vers. Avant Schubert, les grands compositeurs dramatiques, Mozart, Glück, Rossini, Auber, Hérold, Halévy, dédaignaient les courtes compositions qu'ils abandonnaient aux faiseurs de romances. Schubert a tué la romance et créé la mélodie, où, depuis lui, Réber, Gounod, Massenet, Delibes, ont créé toute une série de petits chefs-d'œuvre charmants.

Eh bien, c'est Urhan qui a introduit le premier lied de Schubert en France : Adieu; c'est lui qui, avec une constance et une ardeur sans égales, a trouvé pour l'auteur du Roi des Aulnes, un traducteur, un éditeur et un public. Enfin, dernier trait qui complète cette figure, quand Liszt eut l'idée de donner aux œuvres intimes de Beethoven, l'éclat de ses grandes compositions symphoniques, quand il organisa pour l'exécution des sonates, des duos et des trios, ses admirables séances à la salle Érard, qui prit-il pour auxiliaires ? Batta comme violoncelle, et comme violon, Urhan.

On ne reverra plus de musiciens pareils à Urhan. Il est de la race des artistes mystiques du moyen âge. Quand je le regardais jouer du violon à l'orchestre de l'Opéra, il me semblait voir Fra Beato Angelico peignant dans sa cellule. C'est bien à propos de lui, qu'on peut se servir de ce mot dont on abuse : le ciel de l'art; car pour lui l'art et le ciel ne faisaient qu'un.

 

Hippolyte Prévost, Chrétien Urhan, dans « La Sylphide : journal de modes, de littérature, de théâtres et de musique », 1840, p. 223-224.

Une des figures les plus originales de l'iconographie musicale contemporaine, que nous nous proposons d'esquisser dans cetts revue, est sans contredit celle d'Urhan qui va nous occuper aujourd'hui comme instrumentiste et comme compositeur.

Chrétien Urhan est né à Bone, où il a eu le bonheur, dans son enfance, de jouir de l'amitié de son illustre compatriote Van Beethoven. Très-jeune encore, ses dispositions pour le violon le firent remarquer dans les cercles musicaux d'Aix-la-Chapelle, que ses parents étaient venus habiter. C'était la petite merveille locale. Il fut présenté à Joséphine lors de son passage en cette ville. L'impératrice s'intéressa au jeune virtuose et l'envoya à ses frais au Conservatoire de Paris, où il compléta son éducation sous la direc­tion de Baillot pour le violon et de Lesueur pour la composi­tion.

Les études du jeune Allemand à peine achevées, il fut admis à la chapelle de l'empereur et bientôt après dans l'orchestre de l'Opéra. Malgré ses succès comme violoniste» Urhan cultiva toujours l'alto avec une prédilection marquée. Le choix modeste de cet instrument d'une nature grave et mélancolique peut déjà faire pressentir le caractère rêveur, méditatif, dont le dévelop­pement, dirigé vers les études religieuses, constitue surtout l'originalité de ce musicien.

Toutes les personnes qui ont entendu les Huguenots se rappellent l'effet merveilleux que produit, au premier acte, l'accompagnement de viole d'amour, de la romance chantée par Raoul ; nous ne savions dans le principe, lors de la création du rôle par Ad. Nourrit, qui du violoniste ou du chanteur méritait la meilleure part des applaudissements provoqués par celte suave mélodie. S'il reste aujourd'hui à cette romance, matérialisée par le successeur de Nourrit, quelque chose de sa poésie primitive, Urhan seul l'a conservé, à l'aide de la baguette magique qu'il promène avec rêverie sur les cordes de sa viole amoureuse.

Ce succès obtenu par Urhan sur un instrument qu'il a eu quelque sorte ressuscitée, décida, dès cette époque, la direction de l'Opéra à lui confier l'emploi difficile et important de violon solo, assez faiblement rempli depuis la retraite de Baillot. Maigre les qualités essentielles de son talent comme violoniste, mal­gré son exquise justesse et la sévère expression de son archet, Urhan nous semble, comme violoniste-solo, manquer un peu d'élan, de brillant, de vigueur. Sa qualité de son est nette, pure, mais pas assez intense. Une trop longue pratique de la quinte, instrument habituellement accompagnateur, a dû contribuera amener insensiblement celle modération, cet amortissement de la fougue du violoniste concertant, Urhan, en un mot, n'a pas le diable au corps; il est trop bon catholique pour cela.

Comme compositeur, cet artiste a une physionomie non moins individuelle et distincte Urhan est une de ces âmes tendres et naïves qui traversent la société sans soupçonner ses intérêts, ses calculs, ses souillures, sans perdre rien (le leur originalité native. Ses idées religieuses se sont emparées de lui en maîtresses ab­solues, et ont dirigé toutes ses inspirations. La religion et la mu­sique sont si naturellement destinées à une association intime! Les idées vagues et mystérieuses de Dieu, de l'éternité, du sou­venir ou de l'espérance d'une autre vie, ne peuvent être mieux exprimées et arriver plus sûrement, non pas à notre intelligence qui n'a rien à démêler dans ces arcanes divins, mais à notre sentiment, à notre âme qu'au moyen d'une langue plus vague, plus mystérieuse encore, celle des sons. Ne lui demandez pas, a cette langue fantastique, infinie, l'expression déterminée d'une idée ou d'un sentiment fini, particulier. Non, l'indécision et l'obscurité constituent sa puissance ; la clarté, la précision seraient au contraire des signes évidents de décadence, de barbarie.

Personne n'est moins soucieux qu'Urhan de sa propre gloire. Son éditeur est obligé de le violenter, de forcer en quelque sorte son portefeuille, toutes les fois qu'il désire publier quelques-unes de ses compositions. En écrivant de la musique, Urhan obéit à un besoin impérieux, celui d'exprimer ses diverses sen­sations. Comme Schubert, dont les œuvres excitent les plus vives sympathies d'Urhan, celui-ci semble reporter sur un être mystérieux, inconnu, le sujet de toutes ses inspirations. L'exis­tence de l'Égérie de notre musicien se révèle par le fond et par la forme elle-même de toutes ses productions.

Ainsi sous le litre A elle, Urhan a écrit en musique deux poèmes. L'Absence, Le Souvenir d'un monde meilleur, L'Orage et le Calme, tels sont les sujets des lettres du premier recueil, ou plutôt du premier chant. Dans le second, ce sont des impressions fie temps et de lieux qu'il a rendues dans sa langue si expressive et si touchante.

Une autre œuvre de Chrétien Urhan porte sur son frontispice ces deux lettres E et M, que sans être un Champollion, on peut avec toute sécurité traduire par ces mots : Elle et Moi.

Enfin, dans une sonate de piano à quatre mains, au lieu des forte, des smorzando, des piano, des crescendo et des autres nuances consacrées, nous lisons dans les interlignes ces annota­tions extraordinaires : Grande exaltation et extrême simplicité..... Grand trouble et grande agitation. Plus lent, avec beaucoup d'attendrissement..... Mouvement de valse avec beaucoup de sentiment.

Essayons de rééditer sommairement avec ces vagues indications le drame tracé d'avance par le sentiment du musicien.

Celte grande exaltation et cette extrême simplicité ne seraient-elles pas l'expression naïve et brûlante des premiers épanchements de deux cœurs purs et innocents ? L'inévitable querelle amoureuse n'aurait-elle pas amené ce grand trouble, cette grande agitation ? Et puis, la réconciliation avec ses ineffables douceurs serait alors peinte avec vérité par un morceau d'un mouvement lent dans lequel se feraient entendre des accents d'attendrissement. Enfin le bonheur sans mélange, récompense de tant de luttes et de vertu, éclaterait dignement dans une pérorai­son sur un mouvement de valse, exécuté avec beaucoup de sentiment.

Et noire hypothèse ne serait-elle pas changée en certitude, lorsqu'un jour nous voyons Urhan essuyant des yeux humides de joie et attendrissement, après avoir entendu une jeune personne exécuter avec l'âme et le sentiment qu'il sait si bien surexciter chez ses élèves favorites, cette valse délicieuse à laquelle se rattachent sans doute pour l'auteur de tendres et mystérieux souvenirs ?

Nous n'introduirons pas nos lecteurs dans la modeste demeure de notre musicien religieux ; nous le laisserons, sans témoins, en proie à une sainte agitation, agenouillé devant ce tableau de la Madeleine, faite à l'image d'une de ses plus ferventes éleves  ; nous ne troublerons pas sa prière plus calme en présence du colossal crucifix qui s'incline sur son petit lit de fer. Nous ne dirons pas davantage les corn bals que son imagination est sans cesse condamnée à livrer à ses principes d'une rude et sincère austérité. Que l'on veuille bien cependant ne pas perdre de vue, et la place qu'il occupe a l'orchestre de l'Opéra et les nécessités de son emploi comme premier violon, et l'on conviendra que jamais saint Antoine n'a été soumis à de pareilles tentations. Au lieu des diablotins de toutes tes figures, de toutes les formes, dont Caliot a entouré le célèbre cénobite, un peintre de nos jours ne saurait imaginer pour son saint une position plus critique que celle de ce bon Urhan, tous les soirs aux prises avec les plus séduisantes réalités, forcé de ne pas perdre un instant de vue les pieds des danseuses pour établir entre les mouvements des jambes de ces lutins d'enfer et ceux de son archet une harmo­nieuse communion.

Nous respecterons donc, en les vénérant, les habitudes et les pratiques de la vie privée de Chrétien Urhan. Quelque piquantes qu'eussent été certaines révélations, nous les sacrifions. Le foyer de l'homme encore vivant est un asile sacré; nul n'a le droit d'y porter des regards indiscrets et profanateurs.

Mais quel est cet homme au teint pâle, à la physionomie os­seuse, sombre et pensive, haletant à la poursuite de ce men­diant qui hâtivement regagne à la brune le gîte de ses douleurs ? C'est encore Chrétien Urhan, qui d'un côté du boulevard, ayant aperçu le pauvre sur le trottoir opposé, s'est détourné de sa route, a oublié l'heure de l'Opéra, pour rejoindre le mendiant et déposer dans sa main une généreuse aumône. C'est à soulager les malheureux que sont consacrées toutes les épargnes de l'ar­tiste.

Modeste et sobre dans ses goûts et dans ses habitudes, Urhan trouve dans le produit de sa place, au-delà de ce qui lui est né­cessaire. Aussi recherche-t-il peu les leçons, cependant le besoin de communiquer et de développer chez quelques élèves choisies un sentiment sympathique au sien, est chez lui si pressant qu'il adopte constamment deux ou trois jeunes filles auxquelles il prodigue avec une passion affectueuse ses conseils, et qui ne tar­dent à éprouver pour leur maître les sentiments de la plus vive, de la plus chaleureuse reconnaissance.

Urhan se complaît dans la solitude : les promenades pédestres à travers les champs et surtout dans le bois de Boulogne favorisent son inspiration. C'est dans ces courses matinales qu'il a composé la plupart de ses ouvrages, il errait dans l'allée favorite de son bois de prédilection, quand il fut saisi par cette audition céleste qu'en rentrant chez lui il écrivit sous une poésie de M. Reboul, de Nîmes, L'Ange et l'Enfant.

Urhan a écrit plusieurs compositions vocales. C'est à l'harmonie des vers de Lamartine qu'il s'est plu souvent à mêler l'harmonie de ses accords. Le Soir et Une Larme sont ses deux plus remarquables mélodies. Automne, L'Ange et l'Enfant et la Prière de l'Enfant renferment aussi des parties très-dignes d'éloges. Le cœur a seul conçu et dicté ces chants, le cœur seul peut les comprendre et les sentir. Elles s'adressent aux âmes tendres et affectueuses qui, dans la musique, recherchent surtout celte impression langoureuse qui dispose l'imagination à s'égarer dans des rêveries vagues et capricieuses.

Urhan a composé aussi deux quintetti pour instruments à cordes qui se recommandent par les mêmes finalités.

En résumé, la musique d'Urhan, froide au premier abord, par suite d'un défaut de variété, soit dans les rythmes, soit dans les successions harmoniques, est remarquable par la profondeur et la vérité de l'expression.

Ainsi, et comme exécutant et comme compositeur, cet artiste nous a paru, parmi les artistes contemporains, se détacher avec assez de saillie et d'originalité, pour occuper une place dans cette galerie des illustrations musicales contemporaines.

Catalogue des  œuvres

Bibliographie

Jean-Marc Warszawski
2 mars 2006
Refonte du miroir de page, révision de l'iconographie, 6 décembre 2013.
Ibidem, 1er janvier 201

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Samedi 11 Février, 2023

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