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Delmet Paul
1862-1904

Paul delmet

Né le 17 juin 1862 à Paris, mort le 28 octobre 1904 à Paris.

Pourvu d'une belle voix dans son jeune âge, il est membre de la maîtrise de Saint-Vincent-de-Paul. Il chante par la suite dans les chœurs des Concerts Colonne.

À 12 ans, il entre en apprentissage comme graveur de musique. Il exerce ce métier une dizaine d'années, tout en continuant de chanter dans des ensembles amateurs.

Il se produit avec succès au cabaret de la Pie borgne (au bas de la rue des Trois-Frères à Paris), avec un répertoire de chansons sentimentales, puis en 1886 au Chat noir. Pour se conformer aux règles de l'établissement — on doit y présenter ses propres œuvres — il compose en 1887 sa première chanson connue, Joli mai, sur une poésie d'Albert Tinchant (1860-1892).

Il collabore avec l'écrivain et poète Maurice Vaucaire (1863-1918) : Petit chagrin, À la belle étoile, Chanson de rien, Mirlitaine et mirliton, Avril, Les petits Pavés.

Il met surtout en musique les poèmes de Maurice Boukay, de son vrai nom Charles Couyba (1866-1931), rencontré en 1889. Charles Couyba est philosophe, homme de lettres, député puis ministre, il est un des pionniers du théâtre populaire.

Au cours des années 1890, les chansons de Delmet sont reprises par les artistes de cabaret de premier plan, elles ont encore du succès dans les années 1930, dans les interprétations de Jean Lumière ou de Lys Gauty, elles sont, dès les disques 78 tours enregistrées par les vedettes de cabaret, mais aussi par des artistes de la scène lyrique, jusqu'à nos jours. Les petits pavés ont été repris sur un rythme de bossa-nova par Claude Nougaro en 1974.

Mlle. Vivier, Charme d'amour, Cylindre Bettini 1901.
Jean-Lumière, La petite église (1930).
Jean Lumière, Envoi de fleurs.
André Gordon, L'Étoile d'Amour (1932).
Reda Caire accompagné par Paul Durand, Fermons nos rideaux.
Lys Gauty, Les petits pavés (1940).
Anton Valery, Le chanteur des bois.

Ses chansons ont été enregistrées par Jean Lumière (1895-1979), Lys Gauty (1908-1994), André Claveau (1911-2003), Réda Caire (1905-1963 ), Fred Gouin (1889-1959), Lina Margy  (1914-1973), Jacques Lantier (1930-....), Vanni-Marcoux  (1877-1962 ), mais encore par Aimé Doniat (1918-1973 ), André Dassary  (1912-1987), Anton Valery (1935-....), Gerbeau Roland (1919-....), Jo Dona (1925-2003), Lucy Vauthrin (18..-1945), Michel Dens (1911-2000), Michel Roux (19+24-1998), Mouloudji (1922-1994), Pierre Dupré, Yvonne Gall (1885-1972), Lucienne Boyer (1901-1983), Tino Rossi (1907-1983), Lucienne Dugard (1915-1996), Jean Clément (18..-19..), Georges Berto, Suzy Solidor (1900-1983), Joseph Peyron, Jean Patart, Georgius (1891-1970), Patachou -1918-...), Mario Hacquard ....

Ses chansons les plus connues sont Fanfreluches (Louis Forest), 1896 ; Envoi de fleurs (Henri Bernard), 1898 ; Fermons nos rideaux (Maurice Boukay),1899 ; L'Étoile d'Amour (Charles Fallot), 1899 ; La Petite Église (Charles Fallot), 1902.

Jean Stelli (1894-1975 ) a tourné un film, sorti en 1950, inspiré par la vie de Paul Delmet, Envoi de fleurs, avec entre autres Tino Rossi (1907-1983), Jean Brochard (1893-1972), Micheline Francey (1919-1969), sur un scénario et avec des dialogues de Jean Exbrayat (1906-1989).


rectangle textes

Les chansons de Paul Delmet

Éditions & partitions

les petits pavés llustration de A. Willette pour la chanson « les petits pavés »


chansons galantes

Nouvelles chansons

nouvelles chansons Illustration de A. Willette pour la chanson « À la belle étoile »


paul delmet Illustration de Paul Balluriau pour la chanson « Qu'importe »


Discographie

Paul Delmet, Les plus belles chansons de l'intégrale, Enguerrand Dubroca (ténor), Yuko Osawa (piano), Salis & Cats éditions 2022.

[+...] Lire une présentation pas Jean-Luc Vannier

 

mario hacquardMario Hacquard (baryton) & Georges Dumé (piano), Paul Delmet à Montmartre (24 chansons de Paul Delmet). Polymnie 2012. Lire une présentation complète

 

 

Documents

Paul Delmet Paul Delmet

Bercy Léon de (1857-1915), Montmartre et ses chansons : poètes et chansonniers (orné de 5 portraits-charges par C. Léandre). H. Daragon, Paris 1902 [280 p.]

Parisien, myope, gavroche, sceptique, officier de l'Instruction Publique et compositeur de musique ; atteindra la quarantaine le 17 juin 1902. A douze ans, rossignolait déjà à la maîtrise de Saint-Vincent-de-Paul, où sa voix très pure de soprano charmait et distrayait tout à la fois les fidèles. Cependant, il dut — nous raconte Valbel — s'arrêter net un jour au beau milieu d'un 0 Salularis pendant une messe de mariage qu'on célébrait à l'église Saint- Eugène. Delmet, qui était alors jeune homme, crut devenir fou de rage et de désespoir. Mais le lendemain, ô joie ! il se découvrait un superbe timbre de baryton.

A part quelques conseils de M. Archaimbaud, professeur au Conservatoire, Delmet ne reçut de leçon d'aucun maître ; c'est dire qu'il s'est fait tout seul. Il avait embrassé la profession de graveur de musique et, afin d'entretenir son organe, il allait fréquemment chanter dans des sociétés lyriques ou dans des concerts d'amateurs.

L'ayant entendu un soir détailler je ne sais plus quelle romance, et séduit tant par la beauté de sa voix que par la pureté de sa diction, le poète Albert Tinchant, qui tenait alors le piano aux goguettes du Chat-Noir, voulut à toute force présenter le jeune virtuose à Rodolphe Salis.

Ce dernier l'agréa immédiatement et lui accorda libre accès aux réunions du dimanche. Toutefois, Tinchant souhaitait pour son pupille d'autres succès que ceux qu'il s'acquérait chaque jour comme chanteur.

— Pourquoi ne composerais-tu pas de la musique ? lui demanda-t-il.

— Oui, mais c'est que..., hésita Delmet.

— Bah ! essaie toujours.

Et le poète confia à son ami quelques pièces de vers, dont ce Joli Mai qu'a vite popularisé la mélodie originale et bien personnelle écrite par Delmet, du jour au lendemain

Ce fut une révélation ; la note nouvelle apportée par le jeune compositeur enchanta le public, et Salis s'attacha définitivement Paul Delmet, qui, entré au Chat-Noir en 1886, n'en quitta que pour suivre son camarade Meusy aux Décadents et au Chien-Noir. On l'a depuis entendu aux Quat'-z-Arts, au concert de l'Orient, aux Noctambules, au Carillon, au Tréteau-de-Tabarin, à Trianon, à la Boîte-à-Fursy et au Grillon, où il est encore en ce moment. Il a de plus concouru au succès des tournées du Chat-Noir ainsi qu'à celle des Anciens Chansonniers du Chat-Noir avec Ferny, Meusy, Masson, Lefèvre, Hyspa, et dernièrement Jules Moy, Bonnaud et Montoya.

Ainsi chantait Gaston Sécot, qui ne faisait en cela que répéter les compliments que la critique adressa à Delmet toutes les fois — et elles furent nombreuses — qu'elle eut à se prononcer sur le compositeur des Stances à Manon.

Les succès de Delmet sont innombrables. Qui ne connaît Petits Chagrins, le Vieux Mendiant, les Petits Pavés, Petite Brunette aux Yeux doux, Tout simplement, Berceuse d'Amour, Regain d'Amour, Envoi de Fleurs, la Nichonnette, Ton Nez, Tu me disais, Charmes d'Amour, Tourne mon Moulin, le Coeur du Poète, Mélancolie, Chanson Triste, Fanfreluches, Beau Page, l'Escalier, cette farce si amusante, et l'Étoile d'Amour, sur l'air de quoi les revuistes du cabaret des Noctambules ont composé une plaisante parodie ?

L'oeuvre de Delmet, presque tout entière éditée chez Enoch, comprend plusieurs albums et volumes illustrés luxueusement : Chansons de Montmartre, préface de Maurice Boukay, dessins de Steinlen (Flammarion) ; Chansons Tendres, préface et dessins de Buret ; Chansons du Quartier-Latin, Chansons d'Atelier et Chansons pour Femmes.

Par son charme simple, la musique de Delmet devient rapidement populaire; et les auteurs de revues ne manquent jamais l'occasion de l'emprunter pour aider au succès de leurs oeuvres.

Valbel Horace (1858-19..), Les chansonniers et les cabarets artistiques (préface par Clovis Hugues). E. Dentu, Paris [xx-337 p.)

Paul Delme! est né, lui aussi, à Paris le 17 juin 1862, et dès sa plus tendre enfance il gazouillait à tout propos. À l'âge de trois ans, à la stupéfaction bien compréhensible du directeur d'une petite pension, à laquelle ses parents l'envoyaient jouer avec ses petits camarades, il se mit un beau jour, en plein déjeuner, à chanter la Femme à barbe. Je ne dis pas que c'était là l'indice certain d'une vocation, mais il est évident que dèss cette époque, le chant était sa plus constante occupation.

À l'âge de sept ans il entra à récole communale où il apprit la musique. Il fit, jusqu'à l'âge de douze ans ans, partie de la Maîtrise de Saint-Vincent-dePaul.
Sa grand-mère, qui l'élevait plus particulièrement, le mit à cette époque en apprentissage chez un feuillagiste. Paul Delmet y resta tout juste un jour, et entra chez un graveur de musique à l'insu de sa grand'mère qui n'apprit que beaucoup plus tard ce premier acte de volonté.

Cependant, tout en apprenant un métier où il devint par la suite très habile, Delmet continuait à faire valoir dans les églises, la très belle voix de soprano qu'il possédait. Bien des gens qui l'entendirent à cette époque eussent été fort surpris d'apprendre que la voix qui les avaient tant charmé pendant l'office, n'était pas celle d'une femme.

Cependant, un jour qu'il chantait, en l'église Saint-Eugène, une messe de mariage, il s'arrêta net au milieu d'un 0 Salutaris ! incapable de continuer, et ce fut un ténor, présent à la cérémonie, qui dut terminer le morceau commencé. Delmet pensa devenir fou de chagrin, s'imaginant qu'il avait à tout jamais perdu sa voix. Le lendemain il se réveillait, après une nuit agitée, avec une superbe voix de basse profonde. La joie la plus vive succéda au plus affreux désespoir.

Paul Delmet ne doit sa science du chant qu'à sa volonté, jamais il n'a suivi de cours, mais il convient de dire qu'il a reçu, tout enfant, de fort bons conseils de M. Archaimbaud, le très distingué professeur du Conservatoire.

Delmet chante délicieusement, il phrase de façon supérieure, et sa voix tour à tour chaude, puissante ou tendre, procure une émotion réelle et rend de façon absolue l'impression du poème qu'il Il a mis en musique. Il complète, il finit l'oeuvre du poète, et l'on peut dire sans crainte d'être taxé d'exagération, qu'il est bien difficile, après l'avoir entendu, de dire ce qui a le plus charmé. des vers ou de la musique.

Delmet ne fait aucun geste en chantant. Il ne recherche pas l'effet, il dit simplement, il chante comme il sent et il sent puissamment.

Sa voix vous enveloppe comme d'une caresse, c'est un charme qui vous plonge en une sorte d'extase et l'on continue à l'écouter alors que déjà il s'est tu.

Vers l'âge de dix-huit ans, Paul Delmet se fit entendre dans diverses sociétés lyriques, et le premier morceau qu'il interpréta fut l'« Air du chasseur »  du Pardon de Ploërmel.

Un jour il assista à une « Goguette » au Chat Noir, il y chanta et recueillit force bravos. Or, il n'ignorait pas que pour être admis au théàtre de la rue Victor-Massé, il fallait être auteur et pouvoir interpréter ses oeuvres. Delmet se mit au travail et composa Matin sur le délicieux poème du poète Albert Tinchant, mort aujourd'hui. Dès lors, il fit partie du Chat Noir, et contribua très largement au succès des soirées sans rivales qui ont fait la gloire et la fortune du gentilhomme cabaretier.

Delmet est très recherché très demandé dans les salons où il triomphe, et il est très regrettable que le Chat Noir ne le compte plus au nombre de ceux qui s'y font applaudir chaque soir.

Je me souviens qu'un jour, pour remercier nos camarades, les internes de Lariboisière, des soins affectueux qu'ils avaient prodigués à nos regrettés camarades Mac-Nab et Adrien Dézamy, nous avions, après un déjeuner à la salle de garde, organisé un concert. Henry Sellier, Auguez. Delmet et Ray, le distingué pianiste étaient des nôtres, Delmet. accompagné par Ray déchiffra séance tenante et interpréta, avec toutes les nuances voulues, différents morceaux inédits qu'on lui avait présentés. M. Louis Gallet, alors directeur de Lariboisière, caché derrière la porte de son cabinet, écoutait, et il ne put s'empêcher de faire tenir à Delmet ses compliments les plus sincères pour ce qu'il considérait comme un merveilleux tour de force.

Paul Delmet a déjà publié, chez l'éditeur Henri Tellier, deux volumes de ses compositions sur les poésies de MM. G. Auriol, L. Durocher. Emile Goudeau, Victor Meusy, A. Tinchant, Maurice Vaucaire, Maurice Boukay, d'Esparbès, Marsolleau, etc., etc., superbement illustrés par le maître Ad. Wilette.

Maurice Lefevre, préface à l'édition des Chansons galantes

Voici une bonne nouvelle qui va réjouir les salons, les ateliers et les mansardes.

Delmet publie un nouveau recueil de chansons.

C'est un événement, moins retentissant peut-être qu'une révolution, un attentat ou quelque grande guerre, mais ce n'est pas ce qui fait le plus de bruit qui dure le plus longtemps en ce monde et les chansons survivent, alors que sont depuis longtemps oubliés les coups de tonnerre de la politique.

La Chanson, poème immortel dont les strophes multiples prennent toutes les formes les plus capricieuses, qui toujours se succèdent d'âge en âge, formant entre les siècles une chaîne fleurie par laquelle sont reliés entre eux les mille et un chapitres de l'histoire universelle ; la chanson, aspect gracieuxde l'Art divin qui s'humanise et se penche sur les cœurs ; la chanson, gazouillis de fillettes ou caquetage d'oiseaux dans les bois, elle est vieille comme le monde que chaque printemps rajeunit. Elle est tombée des lèvres du Créateur, comme une compensation suffisante des Paradis perdus.

C'est une vieille et gracieuse légende : la voici.

Lorsqu'Adam errait, solitaire, sous les voûtes feuillues de l'Eden, traînant oisif et mélancolique son inutile majesté parmi les bêtes recueillies et les choses silencieuses, le grand ennui divin tombait sur lui des cieux tout neufs. Trop parfait pour être un Homme, trop imparfait pour être un Dieu, il allait sans but, sans soucis et sans joie, étranger à ce monde créé pour lui. En vain le Seigneur prodiguait-il aux arbres les fruits merveilleux ! Adam les trouvait sans saveur ! En vain les oiseaux aux mille couleurs miroitaient-ils dans la Lumière ! Ils étaient sans amour et partant sans voix.

Alors, pour la première fois, Dieu douta de la perfection de son œuvre.

— L'Homme s'ennuie, se dit-il ! Pourquoi ? Je l'ai comblé de bienfaits. J'ai soumis pour lui les forces du monde, j'ai dompté les fauves, allumé les soleils, apaisé les volcans ; j'ai vaincu le Chaos et muselé les orages ; j'ai mis partout sur sa route le repos et le calme ; enfin j'ai terrassé l'Esprit du Mal... Et il s'ennuie?

— Parbleu ! ricana Satan, qui écoutait railleur le monologue divin... Comment pourrait-il comprendre vos bienfaits s'il n'a jamais connu vos rigueurs ? Quel prix peut avoir la Lumière pour lui qui ignore la Nuit ? Il ne sait pas le Mal, le Bien lui paraît sans attraits. Il lui faudrait ressentir l'épouvante de l'orage pour goûter le calme des cieux sereins ; il lui faudrait craindre la morsure des fauves pour apprécier la douceur des agneaux... Il lui faudrait près de lui.... je ne sais quoi.... quelque chose qui fût tout à la fois l'orage, le fauve, le volcan et la nuit ; tout cela proportionné à ses forces, qu'il put dompter à son tour, apaiser à son gré, mais qui lui rappellerait à toute heure les biens dont il fut comblé en lui montrant les maux qui lui furent épargnés...

D'où qu'il vienne, fut-ce même de l'enfer, un bon avis est toujours bon à suivre.

Dieu sourit en sa barbe.

— Un diminutif de fauve, pensa-t-il, un volcan pour enfants, un orage de poche, un petit enfer de famille ?... J'ai trouvé !

Et Dieu créa la Femme.

Ah ! c'en fut vite fait de la béatitude et de la monotonie.

En un instant tout fut bouleversé dans le Paradis terrestre : le tonnerre se mit à gronder, les fauves à rugir et, dans les buissons peuplés d'oiseaux, on échangea des propos aigres.

Le malheureux Adam, affolé, courait d'un pôle à l'autre, harcelé par ci, terrifié par là, haletant, suffoqué, ne comprenant rien à ce chaos renaissant, il tendait vers le ciel des mains suppliantes et emplissait de clameurs désespérées le céleste Jardin à demi saccagé.

Dieu eut pitié et dit : « Je suis allé peut-être un peu trop loin »... Et, sur les lèvres d'Eve, jusqu'alors acariâtre, il mit une chanson.

L'orage se calma, les fauves écoutèrent, et, dans les buissons apaisés, on entendit le roucoulement des mésanges ; et Adam, devenu homme, commença vraiment à vivre. Il comprit le parfum des fleurs et la saveur des fruits en apprenant à goûter la douceur des baisers.

Il prit même, à ce jeu, un tel plaisir que toutes les autres joies lui devinrent indifférentes et que le Créateur en fut vite oublié. Le couple fut châtié de son ingratitude. Dieu les condamna tous deux à la dure vie. Mais, en les chassant, nus, de l'Eden, il leur laissa la Chanson, la chanson qui console et qui berce, délicieux écho des bonheurs disparus, qui rend à l'homme ses forces épuisées, chanson ailée qui murmure à son oreille et qui rallume en lui les énergies éteintes ; la chanson galante qui dit la gloire des lèvres, la splendeur des chevelures dénouées, l'ivresse des étreintes farouches ; la chanson d'amour qui se pâme avec des roucoulements de tourterelles ou qui rugit de joie avec des râles de tigresse en folie ; la chanson de la femme en un mot, de cette Ève éternelle, que Dieu dans sa fureur mit près d'Adam comme un enfer et dont Satan, bon diable, fit pour l'homme un paradis.

Depuis lors, les poètes se sont, de siècle en siècle, passé le flambeau dont la douce lueur éclaire nos soucis et nos joies et bientôt, foyers allumés à la flamme primitive, voici que les chansons, comme autant de lucioles, virevoltent en tous sens en une danse lumineuse éblouissante.

Raphaël May, Georges Docquois, Emile de Valmonca, Pierre Normat, J. Richard, Léon Durocher, Stéphan Bordèse, E.-P. Lafargue, Armand Silvestre, sont les ciseleurs de strophes que Paul Delmet a réunis près de sa lyre — de sa lyre-liron-lirette — autour de laquelle, comme le pampre autour du thyrse fleuri, s'enroulent en ce recueil les jolis dessins de ce poète du crayon, Léonce Burret.

Petites chansons, diront ies gens austères, simples romances !

Eh ! parbleu oui, romances ! Pourquoi s'en défendre ?

Sur notre sol de France, la romance fleurit comme les roses au Bengale. Ne sommes-nous pas fils des galants troubadours ? Si nos poètes ne vont plus comme autrefois pincer de la mandore devant les ponts-levis des vieux châteaux, s'ils ne vont plus charmer les solitaires veillées des belles dames du temps jadis dont les époux guerroyaient en Palestine et s'escrimaient contre les Sarrazins, ce n'est pas qu'il n'y ait plus de chansons aux rimes légères, ni de châtelaines au cœur tendre. C'est que, de nos jours, on ne part plus pour la croisade et que les dames du temps présent restent rarement à la maison.

Petites chansons, soit, mais leur œuvre est saine. Elles se faufilent partout ; de la mansarde à l'atelier, dans les salons ou dans la rue, elles portent la joie dans les cœurs. Leur cadence est familière, leur mélodie souriante et amie. Écrites de verve, elles se glissent aisément dans l'oreille et y demeurent à jamais. C'est que cette gentille Muse, au nez retroussé, c'est la musette bien française qui traduit, pour ainsi dire, l'harmonie de nos âmes légères, si bien qu'en entendant ses refrains il semble toujours qu'on se souvienne ; c'est qu'aux heures de joie, elle caquette et babille avec des assourdissements de volière en fête ; c'est qu'aux jours moroses, elle revient nous consoler comme une amie fidèle; c'est qu'elle est bien la Chanson enfin et que la Chanson, c'est la France.

Préface d'Émile Goudeau pour l'édition des Chansons de Montmartre

Quartier Latin !... Magique évocation d'ardente jeunesse un peu folle, mais belle et chantante ! Souvenir des refrains de la vingtième année pour tous ceux qui passèrent là, entre la place Saint-Michel et le Luxembourg, d'inoubliables heures de première liberté....

Quartier Latin !... Charme pour ceux qui y vivent la minute présente entre le Travail d'Espoir et la Libre-Allure de joyeuse indépendance.

Pour les anciens, comme pour les nouveaux, c'est le QUARTIER. Il faut comprendre ce que ces deux syllabes représentent de fougues et d'illusions, belles, palpitantes, blondes, brunes, et d'énergies dépensées sans compter avec l'insouciance de l'archi-richissime jeunesse, qui possède toujours la lampe merveilleuse d'Aladin pour colorer en palais la mansarde, et transformer un louis modeste en trésor de nabab. Ah ! vieux Quartier ! Ah ! triomphale Jeunesse !

Et l'on y passe si rapide ! trop rapide ! La vieillesse est tôt venue en ce paradis de l'adolescence. Il y faut avoir vingt ans ; car vingt-cinq, c'est déjà beaucoup. A trente on devient un ancêtre ; à quarante on acquiert la qualité funeste de momie.

Les générations s'y succèdent avec une rapidité vertigineuse : les jeunes vont vite.

Mais une tradition demeure, éternelle, immuable. Les us s'y perpétuent depuis des siècles avec à peine des changements imperceptibles. Essayez de détruire le monôme par exemple. Et l'une de ces traditions qui se transmettent d'âge en âge, c'est la Chanson du Quartier.

Je ne vous cacherai point qu'elle est volontiers brutale, et, les soirs des dîners de thèse, il ne faudrait pas qu'un moraliste sévère osât formuler des censures. On lui répondrait par des refrains terrifiants d'audace, avec d'autant plus d'assurance que le censeur austère les a probablement chantés, avec enrouement, au temps de ses études, quand lui-même, avant d'être Géronte, passa ses brevets de jeunesse.

Seulement un observateur superficiel se tromperait, s'il croyait que là se borne la Chanson du Quartier.

Et non. La chanson brutale, c'est l'espèce de griserie cérébrale que Berlioz nota avec justesse dans le Gaudeamus igitur des étudiants de la Damnation. Parmi ces ronces épaisses, au-dessus de ces buissons, apparaît la fleur bleue qui scintille, le chèvre-feuille qui s'agrippe et s'entrelace, c'est l'autre chanson, la sentimentale, dont Paul Delmet offre un nouveau recueil à tous ceux, à toutes celles, qui, au QUARTIER, chantèrent : « Vous êtes si jolie ! » O romance !

Et pourquoi ces chansons ne s'appelleraient-elles point romances ? Je l'aime ce terme défraîchi. Malgré tous les fanages, la romance demeure éternelle, comme toute jeunesse, tout espoir, tout amour.

En peuvent sourire les blasés, mais les grisettes (de quelque nom qu'on les appelle aujourd'hui) aimeront la romance. Les cocottes elles-mêmes, qui, à leur départ, furent grisettes (ou soubrettes) adorent la romance, et ceux qui fréquentent ces demoiselles le savent bien.

Cela n'empêche point la chanson rosse de réexister. On est rosse quand il s'agit de « conspuer » ; mais si Ton est épris, il y faut la  romance. Car enfin Roméo, escaladant non plus l'échelle de soie, hélas ! mais le modeste escalier de sa belle, ne saurait décemment conspuer le Ministre de l'Agriculture, L'âme tendre de Juliette désire des strophes où apparaissent les oiseaux et les étoiles, les fleurs exquises pâmées et le murmure des ruisseaux. D'ailleurs Juliette a vu tout cela au cours de ses promenades dominicales à bicyclette.

Et pour satisfaire à ce désir ému, naïf et respectable, voici Delmet.

En ce nouveau recueil pour lequel, du bout de son crayon, Paul Balluriau a tracé une préface bien supérieure à ce que peut dire un agenceur de syllabes, les mélodies se succèdent, tendres, savoureuses, des cantilènes voluptueusement légères, comme des libellules enchantées d'amour dans un rais de soleil au-dessus d'un étang fleuri.

Et j'évoquais le souvenir romantique de Roméo, chantant sur le balcon d'amour la chanson du baiser : O Romance-Roméo ! et justement, dans ce recueil, parmi maints poèmes d'autre allure, voici une barcarolle : oui, oui, une gondole vénitienne passe emportant sur la lagune le couple qui rêve, et le batelier célèbre leur ivresse.

Certes la bicyclette a remplacé le canot, mais la gondole demeure. Pas un poète n'a encore trouvé la vraie romance de la bécane. Il y faudra la patine du temps.

Mais j'écoute d'autres chants moins spécialisés. Henry Caen murmure :

Que toute chanson dans ma vie
Sois d'une autre aussitôt suivie,
Voilà le bonheur que j'envie.

Et, pour cette envolée à laquelle Delmet donne les ailes de la musique, Paul Balluriau montre des étudiants de 1830, comme si ceux d'aujourd'hui, quand il s'agit de chanter, n'étaient pas de 1830.

D'ailleurs n'ont-ils pas repris à cette époque disparue la triple cravate, et même le béret ?

Le poète Léon Durocher, qui, si bien, déclame lui-même, parmi les étudiants, ses poésies parisiennes, a-fourni les plus nombreuses et les plus variées romances.

N'avez-vouspoint déjà entendu ce refrain de langueur amoureuse?

J'ai cueilli la rose
Du rosier d'amour,
Fleur à peine éclose
Qu'empourprait le jour

Maint bleu papillon lui faisait la cour
J'ai cueilli la rose Du rosier d'amour.

Et le dessinateur présente un de ces Pierrots blancs plus cueilleur de roses encore que tous les papillons bleus.

Autre romance mélancolique de Durocher (déjà nommé) avec une scène rustique en vignette :

M'en allant par le pré
Un matin rencontrai Une fillette en larmes...
Belle enfant,
Avec de tels charmes
Peux-tu bien abreuver le vent
De tes larmes.

Et voilà Maurice Boukay, l'auteur des paroles de cette « Manon voici le soleil » que la mission Nansen chanta au Pôle Nord. Oui.

C'est une Évocation que Paul Balluriau ligure par une toute gentille rêveuse appuyée à une fenêtre, qui s'ouvre évidemment sur l'infini des nuages, ces rideaux de l'alcôve céleste.

Pour chanter ma chanson d'amour Sois plus tendre et plus solitaire, Et laisse avec la fin du jour, Descendre en toi plus de mystère... Sois plus tendre et plus solitaire.

Puis, même les humoristes les plus forcenés, même Franc-Nohain, déjà célèbre pour ses poèmes amorphes, sacrifie à la romance éternelle, à celle qui a du cœur, puisqu'il s'écrie :

Ma belle s'est tue...
Adieu la romance
Adieu la romance
Qui n'a pas de cœur.

Et le dessinateur souligne ce contraste : voici un poète chevelu (comme on l'est à vingt ans) qui, la lyre aux doigts, marche vers l'inconnue, tandis qu'une ironique demoiselle le laisse passer. Sans cœur ! va !

Ensuite c'est le bon chansonnier breton Théodore Botrel qui chante l'amour du marin pour sa fiancée. Ils sont là, au moment du départ, sous la croix qui domine le port, et il lui pleure les adieux :

Ma douce Annette a dix-sept ans
Depuis les dernières semailles...

Et cette finale charmante :

J'aime mieux n'être plus aimé
Que de faire pleurer ma mie.

Il faut citer Marinette de Gaston Guérin. Cette chanson court déjà sur tous les pianos, vous connaissez ceci :

Marinette a le cœur léger
Elle rit en voyant neiger
Comme un duvet de tourterelle,
Autour de ses pas ingénus
Les désastres trop méconnus
De tant d'espoirs blessés par elle...
Marinette n'a pas seize ans...

Et la cruelle chanson suit Marinette à travers ses successives saisons de joliesse et de maturité, jusqu'à cette revanche des anciens amoureux déconfits:

Marinette a les cheveux blancs.

Hélas! et l'inflexible crayon de l'illustration fait de Marinette une demoiselle sans grande vertu, pauvre Marinette.

Si j'ajoute une chanson d'Ernest Chebroux qui, délicieusement, nous promène au pays charmant où le cœur a chanté, où le cœur a rêvé, où le cœur pleure et où finalement le cœur reste, j'aurai cité les auteurs des paroles.

Je ne veux point balancer plus longtemps l'encensoir du préfacier, cet émule du conférencier (le préfacier est un conférencier qu'on a le droit de ne point écouter, tandis qu'on ne saute pas le conférencier) ; il est temps que je laisse la musique, aile souple, porter vers vous les gracieuses images que les poètes ont offertes, habillées par le crayon de Paul Balluriau, aux rythmes berceurs, enveloppants et suggestifs de Paul Delmet, musicien des jeunes Amours.

Les jeunes Amours !
Ah! vive le vieux Quartier Latin, éternel adolescent !

Jean-Marc Warszawski
13 janvier 2012
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