Musique de Richard Wagner, sur un livret de Richard Wagner, créé le 26 juillet 1882, Bayreuth, Festpielhaus.
Le « méchant » Klingsor, pour se défendre de troupes de ses ennemis les « très purs » guerriers de Monsalvat, se sert d’abord d’une troupe de soldats ordinaires qui ne semblent pas fameux puisqu’ils sont vite défaits par les « gentils ». Puis il a une troupe de « filles-fleurs » dont l’efficacité semble redoutable et qu’il n’envoie qu’après que ses petits-soldats soient mis en pièces. À l’arrivée de Parisfal, « pur entre les purs », les filles-fleurs ne suffiront pas et il faudra envoyer une « arme de destruction massive à destination individuelle » : Kundry.
Replaçons-nous dans le contexte de l’écriture, composition et première du Parsifal, la seconde moitié du xixe siècle : que peut-elle bien vouloir dire la métaphore des « filles-fleurs » ? Filles qui comme les fleurs « ne durent » qu’un jour, que l’on « cueille » et que l’on « jette ». Pour les années 1880, alors que le dépucelage des mâles humains passe souvent par la prostitution, quand un rigide système social limite le sexe au mariage ou au relations tarifées, alors qu’il est inconcevable qu’une relation durable soit tissée avec une prostituée, que peut bien vouloir dire la métaphore des « filles-fleurs » ?
Pour moi les filles-fleurs de Wagner, conçues comme des « êtres fragiles et tentateurs qui ne donnent qu’un instant de plaisir » sont à mettre en relation avec les Lolo, Dodo, Joujou, Cloclo, Margot, Froufrou que chante Danilo dans La veuve joyeuse (Lehar, Léon et Stein d’après Meilhac), ou avec le fox-trot de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera soixante ans après.
Richard Wagner, Parsifal : Carl Perron dans le rôle d'Amfortas, 1902.
Musicalement Wagner leur prête une musique douce et légère, sensuelle, qui évoque plus le plaisir de l’usager mâle — évidemment — que les misères de la prostituée. Encore une fois, lorsqu’il est fait allusion au sujet, ce n’est que le point de vue du « consommateur » que librettistes et compositeur retiennent. Mais la particella des filles-fleurs est très jolie. Presque plus proche de la Lakmé de Delibes, Gondinet et Gille que du reste des œuvres de Wagner.
Si l’on considère donc les filles-fleurs comme une sorte de « prostituées ontologiques », peut-on considérer Kundry comme « la grande prostituée » ? Une sorte de Marie-Madeleine. La prostituée pénitente — comme le sera quelques années plus tard, dans la vie réelle, la demi-mondaine Liane de Pougy, ou comme l’avait été bien de siècles auparavant sainte Thaïs, romancée à la toute fin du xixe siècle (avec bien plus d’ironie !) par Anatole France et mise en musique par Jules Massenet.
Notons aussi au passage que les tourments des soldats de Monsalvat défaits par les filles-fleurs, ou encore mieux celles d’Amfortas, succombé devant Kundry, tout « idéologiques » que ces tourments soient, devaient rappeler de loin ou de près, chez les spectateurs du xixe siècle les souffrances des syphilitiques, celles-là bien réelles. Et que, encore une fois, les maladies vénériennes étant souvent le lot des « filles de joie » et de leurs clients, les chefs des armées parfois considéraient les prostituées plus redoutables que l’ennemi.
Richard Wagner, Parsifal, Festival de Bayreuth 1998, Falk Struckmann, Matthias Hölle, Hans Sotin, Poul Elming, Ekkehard Wlaschiha, Linda Watson, etc., chœur et orchestre du festival de Bayreuth, sous la direction de Giuseppe Sinopoli, mise en scène de Wolfgang Wagner.
Frédéric Léolla
21 août 2025
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