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15 septembre 2025 — Frédéric Léolla

Sexe et opéra (XIX 10.) : Louise

Gustave Charpentier, Louise, Affiche de Georges Rochegrosse, vers 1900.Gustave Charpentier, Louise, Affiche de Georges Rochegrosse, vers 1900.

Opéra en 4 actes de Gustave Charpentier, sur son propre livret, créé le 2 février 1900, à Paris, Opéra-comique.

Le jeune peintre Julien et l’adolescente Louise, modeste couturière qui vit chez ses parents, sont tombés amoureux, mais la mère de Louise s’oppose à leurs amours et, de ce fait, le père de Louise refuse la demande de mariage que lui a adressé le jeune homme. Néanmoins, celui-ci réussit à convaincre sa chère Louise qui, quittant l’atelier de couture où elle travaille, part avec lui. Installés en couple non marié, pratiquant l’amour libre, Louise est fêtée par l’entourage artistique de Julien. Mais arrive la mère de Louise : elle est venue supplier sa fille de revenir à la maison familiale, car le père est très malade, seule la présence de Louise peut le guérir. Revenue chez ses parents, ceux-ci tentent de la séparer de Julien, qui désormais refuse de se marier et défend l’amour libre. S’ensuit une violente dispute entre la fille et le père qui, exaspéré, finit par la chasser de la maison.

Parmi les nombreux petits personnages croqués par Gustave Charpentier dans sa double facette de compositeur et de librettiste (officieusement aidé en ce dernier aspect par le poète Saint-Pol-Roux), plusieurs sont liés à la prostitution : la vieille qui a vécu une jeunesse de courtisane et « le procureur de la grande cité », personnage aux contours indéfinis qui tient à la fois du noceur, du grand bourgeois et du maquereau de luxe — touche symboliste dans la fresque naturaliste qu’est Louise.

Gustave Charpentier, Louise, maquette de costume de Marcel Mützler (1866-1937).Gustave Charpentier, Louise, maquette de costume de Marcel Mützler (1866-1937).

Ce qui est original dans le traitement c’est que la prostituée — qu’elle soit de basse étoffe ou de luxe — n’est pas montrée directement. Louise pourrait un jour le devenir — puisque, dans tous les cas, en fuyant avec le peintre, en se réclamant de « l’amour libre », elle quitte la voie du mariage et donc, pour l’époque, la voie de la bienséance ; ainsi, elle cesse définitivement d’être « une fille bien rangée ». À partir de là, il y a de très fortes chances pour que, tôt ou tard, elle se retrouve à devoir se prostituer pour survivre.

La vieille balayeuse du 1er tableau du 2e acte n’exerce plus la prostitution. Et la fille que le père cherche (même tableau, puis fin tableau 2 acte 3), justement, n’est plus là, elle est partie à Paris. Avec « le procureur de la grande cité », cela donne une image de Paris comme une immense maison close à ciel ouvert.

Et il est vrai que dans l’imaginaire de l’Européen entre 1750 et 1950, Paris était la capitale du vice, de la dépravation, des plaisirs, de la fête, du luxe et de la luxure. Pour maintenir une telle réputation, il fallait l’alimenter avec une cohorte de prostituées pour toutes les bourses.

Gustave Charpentier, Louise, acte III., « Depuis le jour », Renée Fleming, The Metropolitan Opera, sou sla direction de James Levine.

Cela pourrait paraître terrifiant. Mais Charpentier n’en évoque pas les mauvais côtés : maladies vénériennes, pénibilité du métier, mépris social ne sont pas évoqués. Au contraire, la prostituée semble un être qui ne vit que dans le luxe (un des personnages fait allusion aux draps de soie), qui a la chance d’accéder à un statut privilégié — et il est vrai que, à l’époque, c’était pour une jeune femme un des rares moyens de faire de l’argent, au point que la vieille balayeuse clame qu’elle ne regrette rien, et le petit garçon qui l’écoute crie à l’injustice (« Y a qu’ pour les femmes dans vott paradis ? »). Oui, Charpentier est un homme, et son point de vue sur la prostitution (prostitution exclusivement féminine, faut-il le préciser ?) semble n’y trouver que des avantages pour tout le monde.

Cela n’enlève rien à l’originalité du traitement, à l’audace même dans la façon d’aborder le sujet, audace et originalité qui se retrouve dans le traitement musical — phrases qui essaient de coller à l’intonation parlée, notamment dans les scènes de rue, cantilènes comme celle du père qui cherche sa fille, et pour le procureur de la grande cité motifs évanescents et brillants à la fois qui aujourd’hui nous semblent en fait pas si loin de l’école debussyste — malgré le mépris de Debussy pour cette œuvre…

La richesse de ce chef-d’œuvre de Charpentier nous paraît parfois inépuisable.

Gustave Charpentier, Louise, scène finale, Mireille Delunsch, Jane Henschel, José Van Dam, Orchestre et Choeur de l'Opéra national de Paris, sous la direction de Sylvain Cambreling , 2007.

 

plume_04 Frédéric Léolla
15 septembre 2025

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Lundi 15 Septembre, 2025 1:42