9 août 2025 — Frédéric Léolla
The Beggar’s Opera (L’opéra du gueux), musique de Johann Christoph Pepusch d’après des mélodies populaires, sur un livret de John Gay, créé en 1728, Londres, Lincoln’s Inn field.
Die Dreigroschenoper (L’opéra de quatt’sous), Musique de Kurt Weill, sur un livret de Bertold Brecht d’après John Gay, créé en 1928, Berlin, Theater am Schiffbauerdamm.
Mr Peachum, qui organise les mendiants, voleurs et autres criminels de la capitale londonienne, constate avec dépit que sa propre fille, Polly s’est mariée secrètement au chef d’une bande de voleurs, Macheath, connu pour ses frasques avec les femmes. Pour en finir avec ce problème, Peachum plane de faire prendre, puis pendre, son nouveau beau-fils par la Justice. Macheath, prenant toujours appui sur les femmes dont il abuse éhontément (la dite Polly, mais aussi Lucy, la fille du geôlier, enceinte de ses œuvres, et même les filles du bordel), essaie de s’en sortir comme il peut. Mais lorsqu’enfin il n’y aura plus d’autre issue que la mort pour lui, un «Happy End », tout droit sorti de la tradition du Deus ex machina, viendra tout « arranger ».
Eh bien voilà un galant homme — voleur, cynique, volage et tutti quanti, un de ces hommes dont maintes femmes tombent amoureuses, allez savoir pourquoi — pas loin de par son cynisme du Serguei de la Lady Macbeth de Mtsensk (Chostakovitch/Preis).
Devant l’originalité de L’opéra du gueux, on se demande si elle était exceptionnelle à son époque, ou si ce qui est exceptionnel est qu’elle ait survécu, contrairement à toutes les farces, parodies, pochades et autres œuvres qui vite faites vite présentées, inondaient les foires et les théâtres populaires dont il reste peu de traces. Car ces œuvres conçues pour être éphémères étaient, comme L’opéra du gueux, saupoudrées de mélodies populaires ou volées à d’autres ouvrages que les interprètes arrangeaient pour l’occasion. Et il s’en trouve de fort savoureuses.
Kurt Weill, Die Dreigroschenoper, « Moritat von Mackie Messer », Lotte Lenya, orchestre sous la direction de Roger Bean, 1955.Die Dreigroschenoper : Willy Grill (1883-1957), dans le rôle de Peachum, Deutsches Schauspielhaus, Haus Altona, 1946.
Dans tous les cas, dans le répertoire, un opéra dont le héros est un voleur, les héroïnes la fille d’un organisateur de la pègre londonienne, la fille d’un geôlier et une prostituée, un opéra dont le cynisme et le regard critique à l’égard de la société est d’une telle férocité, c’est encore un « Objet volant non identifié ». Pour revoir ce genre de personnages il faudra attendre le Wozzeck d’Alban Berg d’après Büchner. Et ce sera sur un tout autre ton.
C’est peut-être ce caractère hors de la tradition qui a assuré la postérité au livret de John Gay, soit dans l’adaptation de Bertold Brecht en collaboration avec Elisabeth Hauptmann (à qui, selon les mauvaises langues, on devrait les meilleures idées de l’œuvre), avec de nouvelles musiques de Kurt Weill (1928), soit dans les adaptations de Benjamin Britten ou de Bonynge/Gamley, qui simplement s’occupèrent de ré-harmoniser et donner un accompagnement aux mélodies de Pepusch — ou attribuées à Pepusch, car celui-ci en principe ne nota que la mélodie, souvent tirée de telle ou telle œuvre quand ce ne sont pas des mélodies tirées du corpus populaire. En 1728 on ne s’encombrait pas de droits d’auteur et autres broutilles.
Ce sont les ardeurs sexuelles de Macheath qui nous permettent d’inclure cet opéra dans le chapitre consacré à la polygamie, voire au priapisme (et je dis bien ardeurs « sexuelles » et non « amoureuses »). Elles donnent lieu, dans toutes les versions, à de très jolis numéros dans la maison-close, puis à de très amusants numéros de jalousie dans la prison. Les mélodies de Pepusch n’ont rien perdu de leur fraîcheur. Et celles de Weill non plus.
Voir aussi : prostitution
Frédéric Léolla
9 août 2025
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