Othello
Deux croquis du costume d'Othello, pour l'opéra de Giuseppe Verdi, par Liudas Truikys, Théâtre d'opéra et de ballet d'État de la République socialiste soviétique de Lituanie, création 3 avril 1947, sous la direction de d'Algimantas Kalinauskas.
Musique de Gioachino Rossini, sur un livret de Francesco Maria Berio di Salsi d’après la tragédie de William Shakespeare, créé en 1816, Naples, Teatro del Fondo.
Musique de Giuseppe Verdi, sur un livret de Arrigo Boito d’après la tragédie de William Shakespeare, créé en 1887, Milan, Teatro alla Scala.
Encore un fameux couple aux couleurs de peau mélangées, la Caucasienne Desdemona (vénitienne) et le Subsaharien (le pays d’origine n’est pas spécifié) Otello. Cela crée un conflit dans l’Otello de Rossini-Berio di Salsi, où le père de Desdemona (Elmiro), entre autres, exprime sa haine contre l’africain — aujourd’hui nous parlerions clairement de racisme —, et refuse l’union des amoureux.
Dans l’Otello de Verdi-Boito, par contre, cela ne semble pas créer de problème — au moins le problème racialiste n’est-il pas explicitement évoqué. Comme si Boito et Verdi avaient voulu se concentrer sur une sorte de « jalousie ontologique ». C’est peut-être un des caractères majeurs d’Arrigo Boito en tant que librettiste, cette capacité à créer des conflits et des personnages « ontologiques », avec des méchants qui incarnent à eux seuls toute la méchanceté (Iago dans Otello, Mefistofele ou Nerone dans les opéras respectivement homonymes), puis des gentils ultra-gentils (Desdemona dans Otello, Fanuel dans Nerone), puis, au milieu, les « humains » (Otello, Asteria dans Nerone, Fausto dans Mefistofele).
Giuseppe Verdi, Otello, Duo d'amour, « Già nella note », Placido Domingo, Kiri Te Kanawa, Royal Opera House, 1992.Giusepe Verdi, Othello, lithographie de Luigi Morgar, 19e siècle.
Chez Rossini-Berio di Salsi, la jalousie d’Otello n’aurait pas eu lieu d’être si Elmiro avait consenti au mariage depuis le début, sans imposer un autre prétendant (Rodrigo). Ainsi, la jalousie et le drame découlent du « préjugé raciste ». Pas de vrais « duo d’amour » puisque depuis le début le problème est posé et que le public arrive lorsque le conflit bat déjà son plein. Par contre des pages sublimes de rage et de désespoir, assez uniques dans le répertoire rossinien.
Le duo d’amour entre Otello et Desdemona à la fin du premier acte chez Verdi-Boito est un très beau moment, tendre et empli d’érotisme où les amants sont supposés faire à rideau baissé leur devoir conjugal. Un précédent direct du très érotique duo d’amour de la fin du premier acte de Madama Butterffly de Puccini. Le bonheur avant la guerre. Car vient déjà en début d’acte II le méchant Iago et la bonne entente du couple se gâte. Fini le bonheur.
Gioachino Rossini, Otello, scène finale, Cecilia Bartoli, John Osborn, Orchester der Oper Zürich, sous la direction de Muhai Tang, 2012.Dans les deux opéras, une sublime plainte de Desdemona au dernier acte : « Assissa a pie d’un salice » pour Rossini et « la canzon del salice » pour Verdi, toutes deux avec le même ton profondément mélancolique de la Willow Song élisabéthaine, la chanson censée avoir servi de musique de scène pour Shakespeare lui-même et que Gilbert et Sullivan avaient parodiée dans leur Mikado.
Dans les deux opéras, la fausse accusation d’infidélité qui mène à la jalousie dévorante est le moteur de l’action.
Dans les deux opéras, une musique torturée et explosive et des moments d’un lyrisme désespéré.
Deux chefs-d’œuvre.
Frédéric Léolla
2 avril 2025
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