24 mars 2025 — Frédéric Léolla
Mélanges
Der Guarani, Veronica Villaroel (Cecilia), Placido Domingo (Häupting Percy), mise en scène de Werner Herzog, direction musicale de John Neschling, Opéra de Bonn, 1994.
Musique d'Antonio Carlos Gomes, sur un livret d'Antonio Scalvi d’après le roman éponyme de José de Alencar, créé en 1870, à Milan, Teatro alla Scala.
Notable singularité : non seulement l’élément exotique est un homme, mais en plus les amoureux de types ethniques différents ont les seuls qui ne meurent pas à la fin. Certes, on pourrait voir là l’influence des romans à la Fenimore Cooper. Et il ne faut pas oublier le précédent d’Alzira de Verdi/Cammarano basé sur un texte de Voltaire lui-même.
C’est aussi que pour une fois le compositeur venait de l’autre côté de l’océan, plus exactement du Brésil. Sur un livret passablement invraisemblable — voire idiot — Antonio Carlos Gomes tisse avec un métier admirable, une bonne quantité de mélodies très attrayantes, extrêmement « chantantes ». Et c’est ce don mélodique qui fait le seul vrai intérêt de cet opéra, si admiré de son temps, qui attira les éloges de Verdi, que l’on considère un monument national au Brésil et que pourtant nous ne connaîtrions que par bribes si Placido Domingo et Veronica Villarroel n’avaient pas eu l’excellente idée de le ressusciter dans les années 1990. Notons par ailleurs que la différence de culture n’est pas sentie comme un obstacle, ni vraiment comme un interdit — le Brésil est un des pays où le mélange ethnique est le plus naturellement accepté, un des pays les moins racistes au monde, et peut-être cela se sent-il dans le manque de sensation d’interdit qui plane sur l’union guaranie portugaise dans l’opéra de Gomes. Du coup, la différence d’origine entre les protagonistes ne donnant pas lieu à un conflit, elle n’est porteuse ni du livret ni de la musique. Ce n’est qu’une touche de couleur en plus qui permet de mettre en valeur le mythe du « bon sauvage » face au méchant colonisateur. Et les conflits, le librettiste les trouve ailleurs, comme dans les romans et les films d’aventures : les méchants Espagnols contre les bons Portugais, les méchants Indiens contre le bon indien, la découverte de l’amour entre deux êtres innocents, etc.
Antonio Carlos Gomes, Il garany, « Sento una forza indomita », Montserrat Caballé et José Carreras.Der Guarani, mise en scène de Werner Herzog, direction musicale de John Neschling, Opéra de Bonn, 1994.
Ah oui, c’est vrai, il y aurait un obstacle, un vrai : la religion, le bon sauvage n’ayant pas été baptisé. Mais qu’à cela ne tienne. Le bon sauvage sait reconnaître la vraie religion — puisqu’il est bon. Ainsi, à la fin de l’opéra, le bon sauvage se convertit vite fait et l’affaire est réglée. Pas beau ?
NB : Pas de sexe pendant l’opéra, Cécilia, la protagoniste, étant un être chaste et les deux amoureux s’aimant d’un amour « pur », un de ces amours qui est gâché si on n’attend pas le mariage pour coucher. Par contre, une fois l’opéra fini, il faut supposer qu’il y aura du sexe, puisque les deux amoureux partent ensemble dans la jungle pour vivre en amoureux (Tarzan pourtant mettra quelques décennies à arriver) sans que personne n’ait eu l’occasion de les marier, le père de Cecilia ayant eu à peine le temps de baptiser notre bon sauvage. Que cela soit dit pour les pointilleux.
Frédéric Léolla
24 mars 2025
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