Jean-Marc Warszawski, 4 mai 2025
Christpophe Rousset, Grand salon des Invalides, 28 avril 2025. Photographie © musicologie.org
Les Talens Lyriques sont très connus sur la place de la musique ancienne, par leur participation à de nombreuses productions, par une discographie pléthorique, par la qualité musicale d’ensemble en général, celle du patron Christophe Rousset en particulier, comme celle des solistes sollicités. Au mois de mai prochain, ils seront à la Scala de Milan, au Théâtre des champs Élysées à Paris, dans Mitridate Re di Ponto, un opéra de Wolfgang Amadeus Mozart, le mois suivant ce sera Proserpine de Jean-Baptiste Lully, au Théâtre du château de Versailles et au Theater an der Wien en Autriche.
Lundi 28 avril dernier, ils se présentaient en une formation chambriste qui leur est habituelle : deux violons (Gilone Gaubert et Benjamin Chénier), viole de gambe (Atsushi Sakaï) et Clavecin (Christophe Rousset) et pour le lyrique, un baryton-basse (Lysandre Châlon). Pour des sonates en trio et des cantates.
Comme il est coutume aux Invalides, leur programme musical s’inscrivait dans un cycle : Si les Invalides m’étaient contés à l’occasion du 350e anniversaire de leur fondation par Louis xiv. Le thème de la soirée est encore plus précis : « Louis xiv au crépuscule », dont on date l'amorce du coucher du Soleil vers le début des années 1790, tout au moins après 1792, année de la victoire de Steinkerque sur une coalition menée par le roi d’Angleterre, au prix d’une hécatombe. Bien des survivants ont certainement passé le reste de leur vie aux Invalides.
Gilone Gaubert et Benjamin Chénier, Grand salon des Invalides, 28 avril 2025. Photographie © musicologie.org.
C’est donc, évidemment avec La Steinkerque, une sonate en trio avec bruits guerriers de François Couperin, dont les œuvres firent l’essentiel du programme de la soirée, que débuta le concert. « En trio» , car on considère que le clavecin et la viole de gambe assurent une seule partie : le continuo.
Cette magnifique pièce, il en est rarement autrement chez ce compositeur, évoque l’histoire des princes et des batailles, la victoire et les souffrances, mais, comme le nota Christophe Rousset, l’histoire des esthétiques musicales également. En effet, Couperin, il s’en vantait même, n’était pas insensible à l’influence des Italiens, jusqu’alors bannie de la cour du roi de France. Selon Christophe Rousset, cette liberté nouvelle, celle d’introduire de l’italianisme dans les compositions musicales, serait la conséquence de l’influence religieuse de Madame de Maintenon sur le roi qui se serait désintéressé des plaisirs futiles. Ce genre d’Histoire dans les alcôves produit une histoire par-dessus la jambe si on peut dire, peu convaincante.
En fait, l’homme qui veillait à la pureté du grain musical français à la cour, Jean-Baptiste Lully, était mort depuis au moins cinq années. Certes la cour de Versailles et ses magnificences étaient un modèle pour toutes les cours princières occidentales, une admiration peut être déclinante en ces années. Mais toutes étaient musicalement tournées vers l’Italie, employaient en nombre des musiciens italiens et envoyaient leurs musiciens les plus prometteurs étudier parfois auprès de maîtres français, surtout auprès de maîtres italiens. Il faut donc aussi compter sur la pression qui pouvait s’exercer sur les musiciens français. Enfin, la musique italienne était dépréciée en raison de ses élans populaires, une exubérance quelque peu indécente par rapport à la retenue seyante à l’aristocrate. Mais aussi, trop d’ornementation était nuisible à la compréhension du texte, ce qu'on jugeait essentiel. Molière, qui était mort depuis une vingtaine d’années, put se moquer du bourgeois voulant se faire gentilhomme, une imitation impossible et nécessairement risible quand on n’a pas de sang bleu. Au-delà de la moquerie, il pointait l’ascension politique de cette bourgeoisie, à laquelle Louis xiv fit appel pour ses ministères et conseils. En retour cette bourgeoisie n’a pas été sans influences en manières et goûts. Cela dit, ce n’est que soixante ans plus tard que la qurelle ouverte éclatera entre les partisans de l’un ou de l’autre style de musique.
Atsushi Sakaï, Grand salon des Invalides, 28 avril 2025. Photographie © musicologie.org.
La cantate qui suvit, Ariane consolée par Bacchus (1708 ?) a également une histoire, celle des archives fantômes retrouvées. Nous savons par différentes sources que François Couperin composa une cantate, Ariane abandonnée, en 1716 (sur des paroles d’Antoine de La Fosse), d’autant plus abandonnée qu’on signalait cette œuvre comme perdue. Christophe Rousset raconte qu’à force de clics bouton droit et d’exercices intensifs ès moteurs de recherches, avoir retrouvé cette cantate dans un recueil conservé à la Grande Bibliothèque de Toulouse, ce qu’on vérifie facilement, sous la cote Cons. 918 (12) et numérisée (mélodie et basse chiffrée).
Les Talens Lyriques l’ont enregistrée avec le baryton Stéphane Degout (Aparté 2016) ; deux ans plus tard, avec la collaboration de Julien Dubruque, Christophe Rousset l’a éditée sous les auspices du Centre de musique baroque de Versailles (basse résolue et chiffrée). Mais cela reste tout de même dans le doute et l’attribution probable, qui n’est pas le certitude avérée. De toute manière, cette belle musique qui s’apparie au style de Couperin, reste la même belle musique, qu’elle soit signée ou anonyme.
En fait, toutes les attentions se portèrent alorsd sur Lysandre Châlon, baryton-basse, au beau timbre parfaitement homogène, à l’émission puissante à faire reculer les murs du Grand salon des Invalides, à la belle diction compréhensible : Chantons, chantons, chantons, chantons, chantons sans fin, chantons sans fin le Dieu du vin, chantons sans fin le Dieu du vin... Un peu difficile de boire un coup dans ce quartier après 21 heures.
Lysandre Châlon, Grand salon des Invalides, 28 avril 2025. Photographie © musicologie.org.
Le reste du concert s’est déroulé sans histoire, entre sonates en trio, airs sérieux et airs à boire, pas nécessairement pour la consolation, le deuxième livre de L’Enlèvement d’Otithie (1706), de Michel Pignolet de Montéclair, contemporain et ami du grand Couperin, avec cet ensemble, Les Talens Lyriques, à la renommée méritée, mis à contribution pour servir d’écrin à la sensationnelle voix de Lysandre Châlon et pour magnifier la musique qui se jouait à la cour de Louis XIV vieillissant, Madame de Maintenon lui aurait-elle bouché les oreilles.
Jean-Marc Warszawski
4 mai 2025
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Samedi 3 Mai, 2025 21:18