Werther au Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.
Werther n’avait pas paru sur une scène parisienne depuis la dernière reprise à Bastille de la production de Benoît Jacquot, celle qui avait révélé au public parisien le Werther de Jonas Kaufmann en 2020 et où lui ont succédé depuis, sans le faire oublier, Roberto Alagna et Piotr Beczala.
Werther est généralement considéré comme le sommet du ténor lyrique français bien que le rôle ait été créé en allemand à Vienne en 1892, par un ténor belge, grand spécialiste du répertoire wagnérien. Dix ans plus tard, Massenet devait l’adapter pour le célèbre Mattia Battistini et depuis il n’a cessé de tenter les barytons.
Ce préalable posé, nul ne niera que Benjamin Bernheim soit depuis sa révélation dans le Faust du Palazzetto Bru Zane en 2018, le meilleur ténor lyrique français du moment. Son sens des demies teintes, son usage de la voix mixte, particulièrement sensible dans ses deux duos avec Charlotte, sa parfaite articulation, lui méritent cette place. Il n’empêche qu’en cette soirée de première son air d’entrée paraît bien raide et que l’ovation qui suit le célébrissime « Pourquoi me réveiller » passe sur le fait que les aigus à pleine voix ne soient quelque peu forcés et ouverts, montrant accessoirement que le rôle n’est pas aussi lyrique qu’il semble et tend vers le dramatique, réclamant sans doute un supplément de largeur qui lui fait un peu défaut. À cette réserve près, sa composition est souvent touchante par l’investissement que le chanteur met dans le texte et comble l’attente que sa réputation suscite.
Werther au Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.
La Charlotte de Marina Viotti, quant à elle, est proche de l’idéal. Sa voix de mezzo sans lourdeur, capable de s’élever sans forcer dans l’aigu, ses graves jamais appuyés, se doublent d’un français impeccable et d’un bel engagement dans le personnage. Sa Charlotte évolue sensiblement de la distance résevée des premières scènes à la douce résignation puis à la révolte finale avec beaucoup de crédibilité et on ne lui reprochera qu’une petite tendance à déclamer plus qu’à chanter dans l’Air des Lettres. Du côté des comprimari, la Sophie de Sandra Hamaoui manque un peu de légèreté pour le caractère juvénile et primesautier du personnage, expliquant ainsi la souffrance que lui cause la mort de Werther. Jean-Sébastien Bou est un solide Albert et Marc Scoffoni un Bailli baryton plus jeune et moins pontifiant que de coutume. Deux bons Schmidt et Johann (Rodolphe Briand et Yuri Kissin) et un petit chœur d’enfants impeccable (la Maîtrise des Hauts de Seine) complètent ce plateau de bonne tenue. Dans la fosse, l’orchestre des Siècles parait d’abord manquer un peu d’homogénéité. Les timbres instrumentaux « d’époque » en sont sans doute responsables, mais la direction de Marc Leroy-Calatayud parvient rapidement à les unifier et capture l’esprit du drame de Massenet dans un subtil mélange de délicatesse et de force qui prend toute sa dimension dans les deux derniers actes.
Werther au Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.
La mise en scène de Christof Loy transpose l’action dans un vingtième difficile à dater. On hésite d’après les costumes entre les années 1940 ou 1950. Son décor — une antichambre, figurée par une simple cloison où une porte vitrée marquée de croix ouvre sur des arrière-plans suggérant les différents moments de l’action — installe le drame dans un univers gris et austère dont les figurants, tous âgés, pourraient être une de ces communautés luthériennes familières du cinéma d’un Bergman ou sortir d’une pièce d’Ibsen vue par un dramaturge actuel. Elle se recommande par une direction d’acteurs lisible et délicate, ne sortant du cadre « réaliste » que pour la dernière scène : la mort de Werther. Elle se déroule en effet sous le regard même d’Albert, en bras de chemise et en fureur, qui après avoir tenté d’enfermer Charlotte, épluche les lettres de Werther tandis que le héros agonise et que Sophie, couchée au sol, se désespère en se tordant de douleur sans que personne lui prête la moindre attention. C’est sans doute cette « extravagance » dans une vision globalement plutôt sage, qui a justifié les huées dont a été accueillie l’équipe artistique au salut final, après le triomphe réservé aux chanteurs. Au fond les pauvres n’en pouvaient, mais, puisque le spectacle n’est que la reprise par Silvia Aurea De Stefano de la production présentée à la Scala l’année dernière et que le principal artisan, le metteur en scène, sauf erreur, n’était pas là pour l’assumer.
Représentations du 25 mars au 6 avril
Alfred Caron
22 mars 2025
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Lundi 24 Mars, 2025 14:10