bandeau texte 840 bandeau musicologie 840

Opéra Comique, 23 juin 2025 —— Alfred Caron

Le premier Faust révélé

Jérôme Boutillier (Méphistophélès), Lionel Lhote (Valentin), Alexis Debieuvre, Léo Reynaud (comédiens). Dran (Dr Faust), Jérôme Boutillier (Méphistophélès), chœur de l’Opéra de Lille. Photographie © Stefan Brion.

En 2018, le Palazzetto Bru Zane nous avait déjà fait découvrir en version de concert ce Faust dans sa forme originelle, opéra-comique avec dialogues parlés créé au Théâtre-Lyrique en 1859, renouvelant ainsi notre vision de cette pièce majeure du répertoire, surtout connue dans sa version définitive de 1869. Cette nouvelle coproduction entre l’Opéra de Lille et l’Opéra Comique l’aura à coup sûr, au sens propre, « révélé ». Il faut d’abord en créditer la direction magistrale de Louis Langrée qui, à la tête des forces de l’Orchestre national de Lille et des chœurs de l’opéra, donne à entendre, dans toute sa splendeur, la magnifique orchestration de Gounod et impose une lecture qui en exalte les qualités dramatiques et dont la montée en puissance, au fil des quatre actes, culmine dans le tableau final de la rédemption de Marguerite.

La mise en scène de Denis Podalydès installe l’histoire dans un xixe siècle étouffant, plongé dans les ténèbres, au sens propre comme au figuré. Sa direction d’acteurs gère avec beaucoup de finesse le mélange de sublime et de grotesque, de drôlerie et de terreur, à travers les figures de Méphistophélès et de Dame Marthe. Certes les dialogues ne sont pas tout à fait ce qu’en feraient de véritables comédiens, mais globalement ils sont plus qu’acceptables. On pourra lui reprocher un certain statisme des chœurs, masse indistincte et noire, plus témoin qu’acteur de l’action, mais il anime le plateau par le biais des deux acolytes du démon et confie la fameuse Valse à un couple de danseurs, une jeune femme et un faux vieillard, nous rappelant ainsi la nature réelle du couple Faust Marguerite, bâti sur une tromperie.

La scénographie minimale et austère d’Éric Ruf et son plateau tournant semble nous montrer l’envers du décor d’une époque préindustrielle qui est celle de la création de l’œuvre, passant du noir des premiers tableaux au gris de la deuxième partie, dans une lumière uniformément froide et éteinte. Tandis que les forces du bien et du mal s’opposent, une couronne de lumière monte et descend des cintres concrétisant les variations d’un équilibre changeant.

Dans le rôle-titre, Julien Dran compose un Faust solide et vaillant. Un peu avare de couleurs et de nuances, il fait entendre un « Salut, demeure chaste et pure », peu lyrique. Sa diction est parfaite, sa technique sans faille et sa tenue en scène convaincante et il gagne en crédibilité au long de la soirée. Avec son soprano un peu trop large pour le rôle, Vannina Santoni incarne une Marguerite touchante, dont la fragilité disparaît au fil des scènes, dominant sa grande scène du Roi de Thulé et de l’air des bijoux avec maestria. Malgré le titre, son personnage semble finalement être la véritable protagoniste de cette histoire. Jérôme Boutillier compose un Méphistophélès truculent et sarcastique, mais sans histrionisme et son baryton bien chantant ne fait qu’une bouchée du rôle. Du côté des petits rôles se distinguent le Siebel plein de candeur de Juliette Mey, la Dame Marthe savoureuse de Marie Lenormand et l’excellent Wagner d’Anas Seguin à qui cette version offre un trio avec Faust et Siebel au prologue.

Julien Dran (Dr Faust), Jérôme Boutillier (Méphistophélès), chœur de l’Opéra de Lille. . Photographie © Stefan Brion.Jérôme Boutillier (Méphistophélès), Lionel Lhote (Valentin), Alexis Debieuvre, Léo Reynaud (comédiens). Photographie © Stefan Brion.Julien.

Si tout n’est pas du même niveau, dans cette « première » version, on se réjouit d’échapper à l’air rebattu de Valentin « Avant de quitter ces lieux », au profit d’un air avec chœur introduit par le même récitatif Dommage en revanche pour la « Gloire immortelle de nos aïeux », si tonique, qui du coup disparaît. On n’entendra pas non plus le fameux « Veau d’or» et l’air qui le remplace paraît un peu anodin confronté à ce souvenir. On retrouve avec plaisir la rare scène de la chambre où Marguerite abandonnée attend, avec son enfant (ici quand même bien grand déjà) le retour de Faust sur un rythme lancinant qui est en quelque sorte le « Marguerite au rouet » de Gounod. La cerise sur le gâteau, c’est évidemment la Nuit de Walpurgis et son banquet des Reines et des Courtisanes particulièrement réussi. Si l’apothéose de la rédemption de Marguerite est traitée dans le registre grandiose attendu, le metteur en scène a eu l’idée de faire apparaître, dans un camée lumineux, au-dessus de la scène, un Méphistophélès malicieux, savourant tout de même une partie de son triomphe, Faust finalement l’ayant bel et bien suivi aux Enfers. La mise en scène nous a annoncé le directeur musical de l’Opéra-Comique avant d’entrer dans la fosse, a reçu le Prix de la meilleure coproduction du Syndicat de la critique musicale.

Prochaines représentations les 25, 27, 29 juin et 1er juillet

plume 6 Alfred Caron
23 juin 2025
© musicologie.org


rectangle biorectangle actu rectangle texterectangle encyclo

logo grisÀ propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_2506

Jeudi 26 Juin, 2025 10:33