Bandeau texte Bandeau musicologie

Jean-Marc Warszawski, 6 décembre 2025.

La violoniste Saskia Lethiec seule en Bach

Saskia Lethiec, église luthérienne Saint-Marcel, Paris, 6 décembre 2025., Photographie © musicologie.org.Saskia Lethiec, église luthérienne Saint-Marcel, Paris, 6 décembre 2025., Photographie © musicologie.org.

Belle soirée du six décembre dernier en compagnie de la violoniste Saskia Lethiec, présentant le programme de son dernier CD (Cascavelle): les sonates et « Partitas » pour violon de Johann Sebastian Bach, à l’Église luthérienne Saint-Marcel de Paris.

Une très bonne présentation du pasteur Alain Joly, précisant que ces pièces composées à Köthen, à la cour Léopold d’Anhalt-Köthen, sont profanes (leur composition a certainement commencé plus tôt à Weimar). C’est la seule période au cours de laquelle Bach ne composa pas de musique liturgique, d’autant que le rigorisme de l’église calviniste de la cour écartait la musique à l’office.

Mais, ajoute le bon pasteur présentateur, Bach est profondément croyant, même dans ses activités profanes. Il prend pour preuves les citations, notamment de chorals, qu’on peut dénicher dans ces sonates, notamment un choral de Noël, qui n’évoque pas que la nativité, selon le pasteur, mais aussi la Croix, c’est-à-dire en fait tout le destin du personnage.

Bourrique athée, nous ne croyons pas du tout du tout du tout et en rien aux récits évangéliques, mais nous avons eu l’occasion d’entendre de nombreuses cantates, plus tardives, dans la Thomaskirche et la Nikolaïkirche de Leipzig, lieux pour lesquels elles ont été composées, textes en main, et même partition pour chanter avec le public les chorals dans le cas de cantates à chorals.

Bien des textes sont morbides, angoissés par la maladie, la souffrance humaine, la mort, ce qui est normal pour une religion qui pense préparer à la sérénité de la vie au-delà, le passage est la grande affaire, et l’espérance.

Depuis, c’est bien ainsi que j’écoute la musique de Bach, une musique du destin, inexorable, quoi de mieux que la polyphonie pour exprimer cette machinerie éternelle qui brasse les destins ? L’athée aussi espère, pas pour lui après la mort, mais pour ses enfants et ceux des autres, pour la continuité de ce qu’il est encore vivant, cette polyphonie, dans son mouvement éternel agité en tous sens de ses voix, mais immobile dans son ensemble, pourrait être angoissante. Il n’a aucune espérance d’au-delà céleste, mais dans l’émancipation de l’humanité, qu’il n’envisage donc pas immobile.

Certes, dans les cantates où la voix dialogue souvent avec un instrument soliste, ou dans ces pièces pour violon seul, la densité polyphonique, moins en épaisseur, est plus apaisée, plus linéaire, bien que Bach ne put s’empêcher de tout truffer de traits polyphoniques, mêmes à une seule voix et que les seconds mouvements des trois sonates sont des fugues à quatre !

Voilà une musique en fait triste, soumise, espérante, féconde d’humanité.

Mais doit-on objecter au bon pasteur : les partitas sont des suites de danses, pas du genre qu’on pouvait danser en sabots de bois sur les places des villages, Bach est un citadin serviteur des princes et de la haute bourgeoisie en escarpins, le gratin selon la vielle et célèbre expression dauphinoise, mais on peut imaginer Léopold d’Anhalt-Köthen sirotant quelques cocktails (avec une vraie paille en paille à cette époque), papotant avec sa suite, les sonates en fond musical, et se laisser aller à quelques pas élégants par la nature de son sang bleu, sur les partitas. On ajoutera que Bach, en quelques sonates, a pu se montrer un joyeux compagnon de taverne.

On nous objectera que les plus beaux chants son ceux d’amour, que la foi espérance surmonte peurs et tourments, que la joie est le vrai sentiment profond des croyants (BWV 147, 227…). C’est un peu gospel en fait, nous avons du mal à y croire. Bach a un peut de retard sur les évolutions esthétiques de son temps, il a encore un pied dans un passé où, tout de même, on aimait les mises en scène de la morbidité.

Nous ne connaissons pas le roman que Saskia Lethiec se raconte sur ces œuvres, leur structure et leur beauté suffisent à la passion, mais nous nous sommes retrouvés dans son interprétation poétique, méditative, d’une précision claire, ciselée, les nuances bien calées. C’est là tout de même un exercice périlleux, car là, tout s’entend, sans filet, sans sherpa pour se hisser à ce qu’on dit être un sommet de l’art violonistique.

signature plume
Jean-Marc Warszawski
6 décembre 2025

actu bio texte encyclo

logo gris À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies | Encyclopédie musicale | Articles et études | Petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.

ISSN 2269-9910

imagette de bas de page

Vendredi 12 Décembre, 2025 12:10