Jean-Marc Warszawski, 17 juin 2025
Le Chœur NFM de Wrocław sous la direction de Lionel Sow, à l'Oratoire du Louvre, le 10 juin 2025. Photographie © Toï Tôï Prod.
Le Chór Narodowe Forum Muzyki, ou Chór NFM, Chœur du Forum national de musique (Philharmonie) de Wrocław (anciennement Chœur philharmonique Witold Lutosławski), a été formé en 2006 par le chef d’orchestre Andrzej Kosendiak au lendemain de sa nomination à la tête de la philharmonie de Wrocław. La direction en a été confiée à la jeune Agnieszka Franków-Żelazny, figure marquante des activités chorales de la ville, possédant un sérieux bagage de musicienne (piano et flûte) et de cheffe de chœur. Depuis le 1er janvier 2025, elle est directrice de l’Opéra de Wrocław. À partir de la saison 2021/2022, Lionel Sow, bien connu en France à la direction de la Maîtrise de Notre-Dame (2006-2014), du Chœur de l’Orchestre de Paris (2011-2021) a pris la relève parallèlement à son enseignement au Conservatoire national supérieur de Lyon, et à la direction du Chœur de Radio France.
Le Chór NFM s’est rapidement fait connaître par son excellence au-delà des frontières polonaises. Il accumule plus de trois cents concerts sur les grandes scènes européennes, en compagnie d’ensembles instrumentaux et de chefs renommés, à Berlin, Londres, Paris, Baden-Baden, Gand, Lucerne, Budapest. Il a enregistré ou participé à l’enregistrement d’une vingtaine de cédés, dont le dernier sous la direction de Lionel Sow Dance of Death.
Il était à Paris le 10 juin dernier, fêtant presque ses vingt ans et la fin de la direction polonaise à la direction de la Commission européenne, surtout pour présenter ce dernier programme enregistré.
Nous sommes très souvent passé, sous les arcades de la rue de Rivoli, devant l’abside, et la statue de Coligny, de l’Oratoire du Louvre, église qui tient son de son emplacement et pour avoir été bâtie par les Oratoriens avant d’être cédée à la Réforme. On lui attribue des mérites architecturaux, mais, c’est la première fois que nous la contournons pour y entrer, elle n’est pas spécialement belle ni accueillante, on y est particulièrement mal assis, elle vrombit sourdement et régulièrement de toutes ses pierres, au passage d’une rame de métro supposons-nous. Pourtant, ce lieu offre des saisons musicales d’une quinzaine de concerts avec des ensembles et des artistes de renom, comme ce soir avec le Chór NFM sous la direction de Lionel Sow.
À une ou deux exceptions près, le programme du concert a repris celui du cédé, mais nous ne pouvons pas être trop précis, on n’a pas pensé à nous fournir un programme, et nous n'avons pas pu en acheter un, n’étant pas possible de payer avec une carte bancaire. Avouons que nous avons failli quitter le lieu : avec le temps radieux, une balade sur les bords de Seine peut valoir le plaisir d’un concert. Mais la curiosité l’a emporté et elle a bien fait.
Cet ensemble vocal est excellent, rassemblant de belles voix, il est bien équilibré, souple dans les nuances, avec des sopranos qui en puissance dans les aigus ne stridulent pas, des ténors magnifiquement timbrés et très présents.
Les danses de la mort (plutôt farandoles) sont un thème qui s’affirme au xve siècle, pas seulement à la suite d’épidémies de peste, comme le remarque l’auteur du livret, mais aussi par suite aux dérèglements sociaux, aux guerres et aux famines, aux soulèvements, qui font que le désordre qui gagne le monde bien ordonné de Dieu interroge et inquiète. À l’image de ces farandoles s’ajoutent les roues de la Fortune ou les ponts qui s’écroulent indifférents à celles et ceux qui les traversent. La mort frappe au hasard tout à chacun. C’est une double fascination pour la mort et pour l’aléatoire des destins (fugue) qui va s’exprimer jusque dans les cantates réformées de la fin du xviie siècle et début xviiie siècle, comme celles de Johann Sebastian Bach, touchantes dans l’espérance religieuse et les craintes et douleurs humaines.
Dramatiquement, la visite de la mort est aussi un thème musicalement très inspirant, tels les chefs-d’œuvre de Franz Schubert, Der Erlkönig ou de Modest Moussorgski, Les Chants et danses de la mort. Il y a l’effroi, la contestation et résistance, l’acceptation.
La pièce maîtresse tant au concert que de l’enregistrement est la Totentanz (1936) d’Hugo Distler, inspiré d’une farandole macabre peinte en 1463 par Bernt Norke (1435-1509 ou 1517) à Ulm, et placée à Lübeck. L’œuvre de Distler est organisée en quatorze « stations », pour chœur, récitant et flûte, sur un texte d’Angelus Silesius (Johann Scheffler, 1624-1677) pour les maximes, et de Johannes Klöcking (1883-1951) pour les dialogues parlés entre la mort et les mourants qu’elle invite l’un après l’autre.
Fragment de la Totentanz de Bernt Norke qui ornait une chapelle de la Marienkirche de Lübeck. Elle fut restaurée en 1701, recolorée en 1852 par Karl Julius Milde, détruite en 1942 par des Bombardements. Ici, la mort avec l'impératrice, le roi et le cardinal. Bernt Norke a également réalisé une Totentanz à Tallin, toujours conservée.
Laß alles, was du hast, auf das du alles nehmst ! / Laisse tout ce que tu as, afin de pouvoir tout emporter, lance la première maxime, et la mort enchaîne : Zum Tanz, zum Tanze reiht euch ein : / Kaiser, Bischof, Bürger, Bauer, / arm und reich und groß und klein, / Heran zu mir! Hilft kein Trauer. […] / Heut heißt’s: Nach meiner Pfeife springen..
À la danse, à la danse, entrez en farandole / Empereur, évêque, paysan, pauvres et riches et grands et petits / Venez à moi ! Le chagrin n’est d’aucun secours […] / Aujourd’hui veut dire : danser à ma guise.
Et la mort appellera à elle l’empereur, l’évêque, le noble, le médecin, le commerçant, le lansquenet, le marin, l’ermite, le paysan, la jeune fille, le vieillard, l’enfant, elle écoutera leur protestation et répondra par une morale, suivie d’une ritournelle d’une imperturbable lancinance à la flûte (Jan Krzeszowiec, soliste de la philharmonie de Wrocław pour le disque et le concert).
Dance of the Death, NFM Choir, sous la direction de Lionel Sow, œuvres de Johannes Brahms, Hugo Dister, Johann Sebastian Bach, Max Reger. Accord CD / NFM 2023-2024 ((NFM 90) / (ACD 335). Enregistré les 3-7 juillet 2023 et le 4 février 2024, Forum national de la musique, Wrocław
Les maximes sont chantées sur une très belle polyphonie variée de contrepoint et d’unissons, d’alternances, mêlés avec habileté de faux-bourdon archaïsant. Au concert, le récitant était Éric Ruf, aujourd’hui administrateur de la Comédie-Française, qui a évité l’emphase que les acteurs adoptent souvent quand ils récitent en musique, sans toutefois atteindre le ton de la leçon divine qui conviendrait à ce décalque formel de Passion. Peut-être aurait-il pu allonger quelques syllabes et aérer un peu, très peu, la diction pour laisser à l’écho ambiant le temps de sa réponse. Son texte était traduit en français, mais, n'ayant pas le programme en main, nous avons heureusement pu suivre les 14 stations, sur le livret du cédé, en allemand. Cédé où le texte, confié à la belle voix de baryton de Willard White, est bizarrement dit en anglais. Sur le disque l’œuvre est conclue avec intelligence musicale par la sarabande de la Partita en la mineur de Johann Sebastian Bach (flûte).
Le disque comporte aussi un Motet de Johannes Brahms, noyée dans l’atmosphère crépusculaire de la souffrance humaine (ré mineur) et de l’incertaine lumière éternelle (ré majeur), Warum ist das Licht gegeben dem Muhseligen? / Pourquoi la lumière est-elle donnée à ceux qui sont fatigués ? Et de Max Reger le motet O Tod, wie bitter bist du / O mort, comme tu es amère, une œuvre à cinq voix que l’auteur qualifiait de terriblement triste, mais éclairée à la toute fin par la luminosité d’un accord majeur.
Max Reger, Warum ist das Licht gegeben dem Muhseligen?, plage 17 (extrait).1. Johannes Brahms, Warum ist das Licht gegeben dem Mühseligen, opus 74, no 2 ; 2-15. Hugo Distler, Totentanz, opus 12, no 2 ; 16. Johann Sebastian Bach, Sarabande de la Partita en la mineur, pour flûte seule, BWV 1013 ; 17. Max Reger, O Tod wie Bitter bist du, opus 110, no 3.
Jean-Marc Warszawski
17 juin 2025
À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mercredi 18 Juin, 2025 3:03