François Buhler 2025
Traduction française et notes par François Buhler.
Voir : La dynastie Gerke (I).
Cet article étudie les documents relatifs à la dynastie germano-russe des Gerke dont les représentants sont étroitement liés à la culture musicale de Saint-Pétersbourg pendant 300 ans, depuis le fondateur du clan, le maître de piano Johann Friedrich Anton Gerke (1760-18??), jusqu'au critique musical Gueorgui Melikentsov (Gerke) (1883-1960). Dans le contexte des intérêts et des professions variés du clan Gerke, trois personnalités remarquables se distinguent particulièrement : Anton Avgustovitch Gerke, pianiste, compositeur et pédagogue, professeur de Moussorgski et de Tchaïkovski, chopiniste et schumanniste ; son fils, le sénateur Avgust Antonovitch, qui joue un rôle important dans la culture musicale de la seconde moitié du xixe siècle ; son petit-neveu, Gueorgui Melikentsov (Gerke), fin connaisseur de l'opéra, critique musical, qui a écrit des articles et des critiques, s'est lié d'amitié avec Spendiarov et est devenu une figure importante de la culture de l'âge d'argent russe. L'étude s'appuie sur les documents conservés dans les archives de Saint-Pétersbourg, à savoir le dépôt des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie et le département de recherche des manuscrits du Conservatoire d'État de Saint-Pétersbourg.
Anton Avgustovitch Gerke (1812–1870).
La culture de Saint-Pétersbourg a toujours été multinationale. Aux xviiie et xixe siècles, les représentants de l'Allemagne y occupaient une place de choix. Certains sujets de l'Empire allemand sont venus à Saint-Pétersbourg pour une courte période, comme Alexander von Dreyschock [1818-1869, pianiste et compositeur originaire de Bohême qui s’installe tardivement à Saint-Pétersbourg en 1862 comme directeur de l'école de musique de théâtre, pianiste de cour et professeur au conservatoire]. D'autres y sont restés longtemps, comme Adolf von Hanselt. Mais beaucoup y ont fait souche et sont devenus partie intégrante de la culture russe. L'une de ces familles est la dynastie des Gerke.
L'histoire du clan Gerke en Russie remonte au xviiie siècle, lorsque le fondateur de la dynastie, Johann Friedrich Anton, arrive à Saint-Pétersbourg. Il naît en 1760 à Kiel — qui fait alors partie du Danemark — et émigre à Saint-Pétersbourg vers 1780, faisant partie de la vague de migrants qui accompagnent Pierre, duc de Holstein-Hottorp (également originaire de Kiel), lorsque celui-ci hérite du trône de Russie. Hazel Strout, arrière-petite-fille d'Anton Avgustovitch Gerke, qui vit en Angleterre, évoque ainsi l'histoire de sa famille :
« Johann a épousé Anna Katharina Heinrichsen (17??-1833), une femme du Holstein vivant à Saint-Pétersbourg, issue d'une famille très musicienne. L'un des frères de celle-ci fabriquait des pianos à Saint-Pétersbourg et un autre y était maître de chapelle. La famille vivait sur la rive droite de la Neva, selon son arrière-grand-père, "en face de Saint-Pétersbourg". Le facteur de pianos a eu beaucoup de succès et a construit une grande maison dans la ville. Il s'agit peut-être de la même maison que celle qui est décrite comme se trouvant sur la rive droite de la Neva. Johann et Anna ont eu quatre fils et deux filles. Avgust est un descendant de l'un d'entre eux. Les filles étaient Marie, qui a épousé Roselius, et Anna, qui a épousé Mensbier puis Holland ; les fils étaient Georg Samuel, l'aîné ; mon arrière-arrière-grand-père, Johann ; Friedrich Wilhelm et Anton, qui sont allés vivre dans la province de Volhynie. Mes descendants et cousins vivent probablement encore à Saint-Pétersbourg ou à Moscou où mon arrière-grand-père est né et a fait ses études. Le nom [de Gercke] perd la lettre c lorsqu'il est transcrit en cyrillique, mais en allemand, cette lettre est conservée (Gercke) ».
Dans les années 1830, le pianiste, compositeur et professeur Anton Avgustovitch Gerke (1812-1870) arrive à Saint-Pétersbourg en provenance de la province de Volyn. Sa biographie et sa créativité ont été suffisamment étudiées. Rappelons les faits de la vie d'Anton Gerke tels qu'ils sont présentés dans le dictionnaire encyclopédique Brockhaus et Efron :
« Gerke (Anton Avgustovitch) était professeur au conservatoire de Saint-Pétersbourg et pianiste virtuose ; il naît en 1812 dans la province de Volyn. En 1832, il s'installe à Saint-Pétersbourg, où il se lie avec Liszt, Thalberg, Clara Wieck et d'autres artistes. En 1833, il est nommé pianiste de Sa Majesté. Gerke est l'un des fondateurs de la Société symphonique, qui s'est formée à partir d'un cercle d'artistes chez A. I. Fitztum. C'est à partir de ce cercle que l'IRMO [Société musicale impériale russe] a été créé par la suite. Le jeu de Gerke se caractérisait par son originalité, sa clarté, sa tendresse et sa douceur : son jeu a été loué par un connaisseur, Robert Schumann, dans la Zeitschrift für Musik. Gerke a connu un grand succès en tant que professeur et a formé jusqu'à deux mille musiciens. Il meurt en 1870 ».
Cette brève note contient des inexactitudes et des non-dits : premièrement, Gerke a rencontré Liszt, Thalberg et Clara Wieck non pas à Saint-Pétersbourg en 1832, mais en Europe, à Leipzig et à Paris en 1837. Deuxièmement, Fitztum est Alexandre Ivanovitch Fitztum (1804-1873), inspecteur de l'université de Saint-Pétersbourg dans les années 1830 et 1840 et inspecteur du conservatoire de Saint-Pétersbourg de 1862 à 1873. Voici comment le décrit A. I. Roubets [lexandre Ivanovitch Roubets (Tchouhouïv, en Ukraine, empire russe, 1ᵉʳ octobre 1837 – Starodoub, le 28 avril 1913), critique, folkloriste et pédagogue musical russe renommé, professeur de solfège au conservatoire de Saint-Pétersbourg] dans ses mémoires sur la période initiale du conservatoire de Saint-Pétersbourg : « C'était un homme âgé, avec des lunettes sur le bout d’un long nez, un visage oblong et toujours rouge, une voix rauque, un regard par-dessus ses lunettes, un "Vladimir" [il s’agit d’un foulard qui obtient à l’époque un tel succès qu’Hermès en reprend le nom en 1976 pour une de ses créations] autour du cou, qu'il n'enlevait jamais. Il était depuis longtemps un grand amateur de musique ; d'éminents musiciens se réunissaient chez lui chaque semaine, jouant des quintettes, des quatuors et des trios ». Roubets décrit Anton Gerke en 1862 d’une façon tout aussi vivante : « A. Gerke, petit, trapu, large d'épaules, déjà âgé, portant une perruque, jouissait à Saint-Pétersbourg de la renommée d'un excellent pianiste et d'un professeur expérimenté ». Troisièmement, Schumann écrit dans son journal non pas sur Anton, mais sur son père, Avgust Gerke, et son oncle, le violoniste Otto Gerke.
Le pianiste Anton Gerke attire l'attention de la presse de l'époque en tant que premier interprète de Chopin à Saint-Pétersbourg. Son premier concert Chopin a lieu le 10 avril 1834. L'annonce de ce concert est la suivante : « Gerke est un artiste dans tous les sens du terme... Il se présentera devant nous avec un concert d'œuvres de Chopin. Ce compositeur, déjà célèbre à Paris, est encore inconnu chez nous et nos mélomanes seront certainement curieux de le connaître. Il y a beaucoup de nouveautés dans ses compositions, la mécanique est incroyable et tous les passages sont excellents. Si l'orchestration leur correspond, ce compositeur sort du rang des auteurs ordinaires. Chopin est à son instrument ce que Lipinski est au violon. Sans Gerke, nous n'aurions pas pu entendre depuis longtemps [nous aurions dû attendre encore longtemps pour entendre] ses concertos, qui demandent aux interprètes un effort extraordinaire dans le cas d'une mécanique poussée. »
Le numéro suivant du journal contient une critique de ce concert :
« Le jeu de Gerke est très éloigné par sa douceur de celui de Mayer [Carl Mayer (ou Meyer), Königsberg, 21 mars 1799 - Dresde, 2 juillet 1862, élève de John Field qui fait toute sa carrière à Saint-Pétersbourg depuis 1819] ; il est d’un calme inébranlable... Si M. Gerke avait plus de feu, si la nature l'avait doté de l'imagination ardente des Italiens et de la forte expressivité de leur jeu ... il se tiendrait aux côtés des meilleurs pianistes ».
En 1834, Gerke commence à travailler comme pianiste et professeur à l'école de théâtre ; il y reste du 3 avril 1834 au 31 janvier 1844. Les journaux écrivent à ce sujet : « Le talent de l'artiste M. Gerke convient aussi bien aux productions russes que françaises car il est souvent nécessaire de jouer du piano dans les coulisses ou de faire des annonces ».
Stassov, qui a étudié avec Gerke à la faculté de droit, appréciait beaucoup son professeur. Voici ce qu'il a écrit à son sujet : « Gerke suivait tout ce qui était nouveau en musique. C'est grâce à lui que j'ai entendu non seulement toutes les nouvelles œuvres pour piano de notre époque, de nombreuses études de Thalberg et de Liszt, mais aussi de Chopin et de Schumann. ».
Au milieu des années 1830, Gerke part en tournée. En 1836, il donne deux concerts à Odessa, dont le Vestnik d’Odessa rend compte les 8 et 12 août 1836 dans ses numéros 64 et 65. Le second voyage à l'étranger a lieu en 1837. C'est là qu'ont lieu les rencontres avec Thalberg, Liszt, Chopin, Robert et Clara Schumann. Le 16 septembre 1837, Gerke présente à Leipzig avec Clara Wieck un duo de piano inhabituel dans lequel chaque interprète improvise sur un thème de l'opéra « Балмаскарад » de Bellini [Aucun des onze opéras de Bellini ne porte ce nom, de quelque manière qu’on le traduise. Nous ne savons pas à quoi il est fait allusion. S’il s’agit bien de Bellini, peut-être à une scène particulière d’un de ses opéras ?] Il redonne le même concert en duo avec Clara Schumann à Saint-Pétersbourg en 1844.
De retour à Saint-Pétersbourg, Gerke apporte en Russie de nouveaux modèles de pianos encore inconnus en Russie. L'annonce du concert dit : « Qui d'entre nous n'a pas apprécié les œuvres de Gerke avant même sa tournée musicale en Europe ? Les applaudissements nourris de Bennett, Moscheles, Chopin, son amitié avec l'inimitable Thalberg lui ont donné un nom européen ! Remarquablement... il s'élève avec deux nouveaux instruments apportés de l'étranger ; l'un de ces instruments, le célèbre Broadwood, caractérisé par la plénitude et la rondeur du son ; l'autre – un Erard - fort et pur. ».
V. F. Odoïevski [Le prince Vladimir Fiodorovitch Odoïevski, Moscou, juillet 1804 – Moscou, 27 février 1869, écrivain, philosophe, critique musical, pédagogue et philanthrope] est l'un des admirateurs de Gerke. Il écrit ce qui suit à propos du concert du 24 février 1838 :
« Oui, ce n'est pas sans raison que M. Gerke a voyagé dans des pays étrangers... Il serait curieux de savoir ce que ses mains font sur le piano en ce moment ! Il y a eu des moments dans le jeu de M. Gerke où les mouvements de ses mains étaient si rapides que l'œil n'avait pas le temps de les suivre et qu’elles ressemblaient à une roue qui tournait. ».
M. Gerke passait d'un instrument à l'autre, ce qui a suscité une réaction négative de la part de certains critiques : « Pourquoi M. Gerke a-t-il joué de deux instruments ce soir et l'a-t-il annoncé dans le programme ? Je n'en sais rien. Il est vrai que Tournier, ayant épuisé un cheval dans le cirque, en a pris un autre, et parfois un troisième ; mais le Flügel [piano à queue en allemand] de Tischner [Johann August Tischner, Zeisdorf, 1774 - Saint-Pétersbourg, 1852, directeur d’une des premières fabriques de pianos à Saint-Pétersbourg entre 1800 et 1852] résisterait à un saut périlleux du pianiste le plus désespéré sans qu'il soit besoin d'un assistant. ».
De 1862 à 1863, Tchaïkovski et G. A. [German (Herman) Avgustovitch] Laroche étudient au conservatoire avec Gerke. Comme le rappelle Laroche, « sa direction [son enseignement] était quelque peu sentimental[e] : tout en nous donnant diverses nuances et subtilités de phrasé, [...] il ne dédaignait pas de nous apprendre à jouer tempo rubato aussi à propos que mal à propos, ce qui déplaisait beaucoup à Piotr Ilitch [...] ». Tchaïkovski écrit et dédie à Laroche un simulacre humoristique de pièce pour piano, sur lequel il écrit "Maestoso misterioso e senza gerkando" pour désigner le caractère du personnage : « Le mot gerkando, qui n'existe pas en italien, devait désigner la douce manie qu'avait Gerke de faire des ritardandos et des accelerandos intempestifs ».
Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie (ci-après, en russe, ОР РНБ) et le département de recherche scientifique des manuscrits du Conservatoire d'État de Saint-Pétersbourg (НИОР СПбГК) contiennent de nombreuses informations sur Anton Gerke dans des documents d'archives non publiés. La partie de l'article qui suit est consacrée à leur examen.
Cher Monsieur Anton Grigorievitch,
Il y a quelques jours, vous avez jugé bon de vous expliquer assez vivement avec moi au sujet de la soirée musicale de M. Goubitski, m'accusant de l'avoir autorisé avec une philanthropie excessive à jouer en public ; vous avez ajouté que vous alliez vous plaindre de moi et « accroître votre sévérité à mon égard ». Ne comprenant pas jusqu'à présent le sens et le but de vos paroles, puisque Goubitski a joué devant le public avec votre propre permission, j'ai remarqué depuis quelque temps une méfiance et une mauvaise volonté particulières de votre part à mon égard et je suis obligé de vous demander, Monsieur, si vous considérez toujours votre mécontentement comme un fait accompli, et si vous êtes toujours d'accord avec moi, si vous considérez toujours votre mécontentement comme juste, de me permettre, avec l'arrivée des vacances d'été de cette année, d'arrêter mes études [mon enseignement] au Conservatoire, auxquelles j'ai jusqu'à présent consacré tant de temps, de diligence consciencieuse et de travail constant, ininterrompu et minutieux.
Dans l'attente de quelques lignes de réponse, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma très haute considération.
Votre serviteur obéissant,
Anton Gerke. 17 avril 1866, Saint-Pétersbourg.
Commentaire. Comme on peut le voir, le tempérament ardent et colérique d'Anton Grigorievitch et le caractère sensible et susceptible d'Anton Avgustovitch s'opposent profondément. Heureusement, cet incident n'entraîne pas la rupture des relations entre Gerke et Rubinstein. Quant à Goubitski, son jeu raté ce soir-là ne l'empêchera pas d'obtenir plus tard avec succès son diplôme du conservatoire et de devenir un professeur émérite de piano « obligatoire ».
Monsieur,
Vous informant que le dimanche 28.01.1868, il y aura 50 ans que j'ai participé pour la première fois à un concert public (mon activité de concertiste), je vous prie de me faire l'honneur d'assister à une soirée artistique qui aura lieu à cette occasion dans la salle de la « Société des artistes ».
Acceptez l’assurance de mes sentiments immuables à votre égard. Toujours
Votre Anton Gerke.
6.01.1868.
Commentaire. Il peut sembler surprenant à première vue, que Gerke, 56 ans, fêtait déjà un demi-siècle de concerts. Il en était pourtant bien ainsi : le premier concert auquel il a participé s'est déroulé à Kharkov. Gerke senior (Avgust Grigorievitch, violoniste et chef d'orchestre), a joué son concerto et de nombreuses autres pièces. Gerke junior, Anton, 6 ans, un enfant prodige, l'accompagnait et jouait des morceaux en solo. Pour le programme, voir A. D. Alexeev et R. A. Oulianova.
Sur un morceau de papier jaunâtre épais est écrit un mystérieux canon à deux voix de huit mesures à l’octave (3/4, do dièse majeur-sol bémol majeur) : il se lit aussi bien de gauche à droite que de droite à gauche sous forme rétrograde (c'est-à-dire « à l’écrevisse »); ce Kunststück dans l'esprit des jeux baroques allemands et du début du romantisme, comme chez Bach (dans L'Offrande musicale) ou Schumann, est accompagné d’un souhai : « À la jeune artiste par excellence » et de la date : Saint-Pétersbourg, 27.04.1839.
Commentaire. À qui est dédié ce joli feuillet ? Vraisemblablement à Julia Grünberg, une jeune pianiste de onze ans qui a étudié avec Hanselt, Mendelssohn et Simon Sechter. À la même date – le 24 avril 1839 –, juste avant le départ de Grünberg pour l'étranger, Adolf Hanselt lui dédie son autographe musical. Il est significatif que le document de Gerke se trouve dans la collection du même Platon Lvovitch Vaksel.
[Dans le texte de Skorbiachtchenskaïa, la lettre est cependant citée en russe. Il a donc fallu la retraduire, ce qui ne permet pas de l’évaluer telle qu’elle était à l’origine]
Ce mardi.
Monsieur le Prince,
Je vous remercie de l'intérêt que vous me portez et de m'avoir proposé de vous rencontrer mardi à 15 heures ; j'habite la même maison que vous et j'y suis tous les dimanches matin ; je vous remercie de m'avoir invité à jouer avec vous sur mes pianos. Je reviendrai vous voir à sept heures, entre-temps vous serez reçu par mon oncle Otto Gerke ; je serais très heureux de me présenter devant vous avant cela, mon cher Prince, pour voir votre piano; je demanderai au Baron de le faire, si je n'ai pas le plaisir de votre bravoure - la sonate de Beethoven, « An Abourde » [une « bourde » regrettable, en effet, cette faute de frappe évidente ne permettant pas de deviner de quelle pièce il s’agit] de Mendelssohn, et une demi-douzaine de morceaux de Thalberg sont à votre disposition.
Dans l'attente, j'ai l'honneur de vous remercier immédiatement et au plus haut point de votre attention.
Antoine Gerke.
Commentaire. Cette petite feuille ajourée est une invitation au prince à une matinée où, chez l'oncle de Gerke, Otto, le pianiste interprétera une sonate de Beethoven et des pièces de Mendelssohn et Thalberg. Apparemment, bien que la date soit erronée, il s'agit de la seconde moitié des années 1830. L'exquise écriture perlée d'Anton Gerke nous donne un aperçu indirect de sa fine technique au piano et reflète son caractère d'homme très pédant et en même temps artistique, portant une grande attention aux détails, comme la puce d’acier du Gaucher de Leskov.
Curieusement, la partie de piano n'est pas incluse, bien que les parties d'orchestre soient annexées à la partition. Il est évident qu'Anton Gerke a improvisé lui-même au piano, accompagné par l'orchestre.
L'introduction est un adagio en si bémol mineur à 2/4, d'une longueur de 32 mesures, dans lequel les indications alternées de l'orchestre tutti fortissimo et du piano solo sont marquées par des mesures vides. Au début, il y a une exclamation menaçante en rythme de marche pendant deux mesures, à laquelle répondent un ostinato anxieux des cors et une lamentation suppliante des cordes ; le même dialogue se répète dans les quatre mesures suivantes. L'imagination du pianiste devait se manifester dans les quatre mesures improvisées suivantes.
Le thème à 3/4 en si bémol majeur est clairement de nature dansante (dolce e leggero) et joué par les bois. Sa durée totale est de 24 mesures, dans lesquelles l'exposition orchestrale de la première phrase de huit mesures est suivie de l’exposition au piano avec un accompagnement orchestral parcimonieux dans les basses pizzicato des cordes (huit mesures) et d'une conclusion aux bois.
Variation 1. À en juger par la conclusion (tutti), elle est rythmée par une mazurka et regorge de contrastes soudains entre piano et forte et d'accents sur la seconde partie.
Dans les Variations 2 et 3, le piano est soliste et nous ne pouvons que deviner le type de texture dans lequel le thème est développé. La conclusion est à nouveau assurée par l'orchestre sur un rythme de mazurka.
La variation 4 présente un contraste de tempo. Elle est écrite Andante et jouée entièrement par l'orchestre.
La variation 5, Allegro, est un brillant final. Dans cette variation, le chiffrage passe de 3/4 à 4/4. Le principe du jeu d’ensemble de l'orchestre est conservé, avec des lignes de cordes graves auxquelles répondent les bois et, manifestement, de brillants passages de piano soutenus par des pizzicatos. Le tout se termine par un brillant fortissimo de tout l'orchestre.
Le mot « Fini » [en français dans le texte] écrit d’un fin trait de plume couronne la partition. Les feuillets 7 et 8 sont vierges, à propos desquels on trouve une note de A. S. Liapounova [Anastasia Sergueena Liapounova, Saint-Pétersbourg, 27 mars / 9 avril 1903 - Leningrad, 1er février 1973, musicologue et cheffe du département des manuscrits du conservatoire de 1938 à 1940 puis de la Bibliothèque d’État M. E. Saltykov-Chtchedrine] dans le coin inférieur droit du verso du feuillet 8, faite le 2 décembre 1947.
Commentaire.
1. Le manuscrit est parvenu à N. K. Findeisen [Nikolaï Fiodorovitch Findeisen, Saint-Pétersbourg, 11/23 juillet 1868 - Leningrad, 20 septembre 1928, musicologue, historien et critique musical] le 6 janvier 1913 (comme en témoignent la date et la signature de N. Findeisen). Il est probable qu'après la mort d'Avgust Antonovitch Gerke, ses héritiers ont remis le manuscrit à Nikolai Fiodorovitch, qui l'a transféré à la RNB.
2. L'identité de Mademoiselle Le Brun, à qui les Variations sont dédiées, n'est pas claire. Le nom de famille Le Brun est très répandu en France, l'histoire de la famille remontant au xiiie siècle. Parmi les candidates possibles figure madame (et non mademoiselle !) Louise Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), une amie de Marie-Antoinette, une artiste peintre française célèbre qui devint membre de l'Académie des arts en 1783 grâce au mécénat de l'impératrice. Après la Révolution de 1789, elle émigre en Russie et vit à Saint-Pétersbourg pendant sept ans. Peut-être a-t-elle eu une fille ?
[Note de l’auteur : Il nous est très facile de répondre à la question que se pose Skorbiachtchenskaïa. Louise Élisabeth Vigée Le Brun a bien eu une fille, prénommée Julie. En 1800, l’artiste quitte Saint-Pétersbourg et rentre en France, irritée par le mariage, qu'elle n'approuve pas, de sa fille Julie avec Gaëtan Bertrand Nigris, directeur des Théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg. Les deux femmes ne se réconcilieront jamais totalement. Du reste, il existe un autoportrait qui les représente toutes deux, Autoportrait de Madame Le Brun tenant sa fille Julie sur ses genoux, 1786, et qui est conservé à Paris au musée du Louvre.]
3. Il est probable que les Variations ont été composées dans la seconde moitié des années 1830, puisque la romance d'Aliabiev, « Talisman » sur un poème de Pouchkine, a été écrite en 1825. L'exécution a eu lieu lors des concerts de Gerke à Saint-Pétersbourg et à Paris.
4. Une question reste en suspens : existe-t-il un enregistrement de la partie de piano du soliste ou celle-ci restera-t-elle à jamais dans l'espace éthéré de l'improvisation disparue d'Anton Gerke et dans le champ flou de notre imagination ?
Les lettres du fils d'Anton Avgustovitch, Avgust Antonovitch Gerke (1841-1902), datent d'une autre époque. Avgust Antonovitch Gerke, membre de la direction de l'IRMO, [Société musicale impériale russe], avocat assermenté, juriste, écrit à ses amis et collègues : Nikolai Stepanovitch Tagantsev (lettres 1892-1900), Terti Ivanovitch Filippov (contrôleur du Saint-Synode), Nikolaï Fiodorovitch Findeisen, éditeur de la RMG [Русская Музыкальная Газета ou Revue musicale russe, RMR]. Il écrit également à des musiciens : N. A. Rimski-Korsakov, M. A. Balakirev, A. G. R Rubinstein, V. S. Serova, la veuve d'A. N. Serov.
Derrière ces documents se dessine la personnalité d'Avgust Gerke, juriste libéral convaincu, mélomane éclairé, homme sensible mais exprimant ses émotions de manière franche, ayant le sens de la dignité. La devise d'Avgust Gerke aurait pu être « Au nom de la miséricorde et de la justice », des mots qu'il répétait souvent dans ses lettres.
L'éventail des questions qu'il aborde avec ses correspondants est extrêmement large : il s'agit notamment de la préparation de la législation sur les droits d'auteur, de la célébration de l'anniversaire d'A. N. Rubinstein, de la publication des articles d'A. N. Serov, de la détermination de la composition du conseil d'administration du conservatoire et des questions d'actualité concernant les activités de l'IRMO. Certaines lettres sont des pétitions concernant des affaires judiciaires et des conflits au sein de la faculté de droit et du conservatoire de Moscou.
Très estimé Anton Grigorievitch
Supposant que vous êtes déjà rentré à Peterhof, et n'ayant malheureusement pas, ces jours-ci, une heure libre pour vous rendre visite et vous demander votre consentement et vos instructions concernant les affaires de la direction du Conservatoire et des concerts de la Société musicale impériale russe pour la future saison de 1883-84, des questions auxquelles vous avez toujours pris part de façon si chaleureuse, cordiale et désintéressée – je peux vous informer confidentiellement, comme un fait accompli, de la lettre qui a été envoyée par le directeur de la section de Saint-Pétersbourg de la Société musicale impériale russe à K. Iou. Je joins une copie de cette lettre adressée à K. Iou. Davydov le 8 juillet, et je pense qu'il n'est pas nécessaire de vous certifier avec quel triste sentiment nous tous respectons K. Iou Davydov, ce grand artiste.
Nous avons été obligés de lui envoyer cette lettre franche, l'informant que depuis son accession au poste de directeur, nous ne pouvons plus rester à la direction du département de la Société. Je ne sais pas comment s'organisera la gestion du conservatoire et des concerts de la branche de la Société et je souhaite du fond du cœur que l'entreprise elle-même ne souffre pas de transformations aussi fréquentes dans des directions différentes. Je suis sûr de la viabilité de cette cause et que vous la soutiendrez, comme toujours, dans le danger.
Avec mon plus profond respect, je vous prie d'agréer l'expression de mes salutations distinguées.
Av. Gerke.
Saint-Pétersbourg, 15 juillet 83.
Note de l’auteur : ces six lettres, manquant totalement d’intérêt pour le lecteur non pétersbourgeois, sont supprimées.
En 1902, Avgust Antonovitch meurt. L'une de ses dernières lettres est adressée à Sergueï Fiodorovitch Platonov, doyen de la faculté d'histoire de l'université d'État de Saint-Pétersbourg.
Cher Sergueï Fiodorovitch,
Mon filleul et neveu, Gueorgui Melikentsov, étudiant de la faculté d'histoire et de philologie n'a pas réussi l'examen du professeur A. I. Vvedenski au printemps et le professeur A. I. Vvedenski a dit à Melikentsov qu'il ne ferait pas obstacle à ce qu’il se présente à l'examen au printemps prochain. Cet automne, il vous a plu, Sergueï Fiodorovitch, de déclarer à Melikentsov que tout dépendait du professeur Vvedenski et de sa note pour ledit examen. Melikentsov serait déjà prêt à passer cet examen, mais le professeur Vvedenski n'ose pas prendre la responsabilité de la confirmer sans votre permission.
Pardonnez-moi de m’adresser à vous pour vous demander [cette faveur] sans avoir l'honneur de vous connaître. Si cela vous est possible, facilitez le passage de Melikentsov au cours suivant en lui permettant de passer cet examen avec le professeur A. I. Vvedenski au printemps 1901 ou dès maintenant. Facilitez la poursuite de ses études à ce jeune homme qui a toujours été l'un des meilleurs et des premiers élèves du 3e Gymnase. Je suis sûr qu'il appréciera votre gentillesse et justifiera votre confiance. L'affaire semble dépendre entièrement de vous et du professeur A. I. Vvedenski, mais, si nécessaire, je peux aussi demander à A. H. Holmsten, que je connais depuis longtemps et dont je suis le successeur à la chaire de l'École impériale de jurisprudence. J'aurais voulu me rendre moi-même chez vous, mais je suis malade.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments respectueux.
Avgust Gerke, Sénateur.
18 sept. 1900.
Commentaire. Chacun des personnages mentionnés dans la lettre nécessite un long commentaire, en premier lieu, Gueorgui Melikentsov, le neveu de Gerke.
Gueorgui Alexandrovitch Melikentsov (Gueorgui Gerke) (1883 ?-1960 ?) est le fils d'Alexandrina Franziska von Gerke et d'Alexandre Guerassimovitch Melikentsov, représentant d'une noble famille arménienne de Saint-Pétersbourg. Sa mère, fille d'Anton Avgustovitch et d'Emilia Fiodorovna Gerke, sœur d'Avgust Antonovitch, est née en février 1857 à Saint-Pétersbourg. Gueorgui (Georges) Melikentsov est dans sa jeunesse un ami du compositeur Alexandre Spendiarov et laisse des souvenirs de lui [Spendiarov est le nom russifié du grand compositeur Ալեքսանդր Սպենդիարյան (en arménien) ou Alexandre Afanassievitch Spendarian (en français), Kakhovka en Ukraine, 20 octobre / 1er novembre 1871 - Erevan, 7 mai 1928, élève de Rimski-Korsakov, « père » de la musique classique arménienne et auteur de l’opéra Almast sur le poème La capture de Tmkabert du poète national Hovhannès Toumanian]. Pendant les années soviétiques, il se trouve un refuge à l'Académie russe des sciences en tant que bibliothécaire. Maria, la fille du représentant de la musique classique arménienne, le compositeur Alexandre Spendiarov, se souvient de l'hospitalité de la maison des Melikentsov, où la jeunesse arménienne de Saint-Pétersbourg et son père aimaient se retrouver : « Parfois, la jeunesse s'installait dans l'appartement voisin, chez Alexandre Guerassimovitch Melikentsov, un vieil amateur de chant. Il participe à des soirées musicales avec D. V. Stassov et L. I. Chestakova, et chante dans des opéras russes joués au piano lors des « matinées » de Molas. Imprégné, ainsi que son fils Georges [Georges Alexandrovitch], de l'esprit du Pétersbourg musical, il approuve chaleureusement le penchant du nouvel élève de Rimski-Korsakov (Spendiarov. - O. S.) pour l'école russe.
En second lieu, le professeur A. I. Vvedenski, qui n'a pas accordé au jeune homme le moindre crédit en philosophie.
Alexandre Ivanovitch Vvedenski (1856-1925) est un philosophe et psychologue russe, le plus grand représentant du néo-kantisme russe, cofondateur de la première Société religieuse et philosophique de Saint-Pétersbourg. En 1890, il est nommé professeur extraordinaire au département de philosophie de l'université de Saint-Pétersbourg. En 1913, « après 30 ans de service dans le système d'éducation publique », il est rayé de la liste des professeurs à temps plein, tout en conservant son rang de professeur et le droit d'enseigner à l'université. Depuis 1899, Vvedenski est le président permanent de la Société philosophique de Saint-Pétersbourg qui a été créée avec son aide en 1897 et a existé jusqu'en 1917. En 1922, Vvedenski est démis de ses fonctions à l'université et prend sa retraite. Il décède le 7 mars 1925. Il est enterré au cimetière orthodoxe de Smolensk à Saint-Pétersbourg.
Enfin, le doyen de la faculté d'histoire, Sergueï Fiodorovitch Platonov, à qui Avgust Antonovitch Gerke demande « justice et miséricorde ».
Sergueï Fiodorovitch Platonov (Tchernigov, Empire russe, 16 / 28) juin 1860 - Samara, URSS, 10 janvier 1933) est un historien et enseignant russe et soviétique, membre correspondant de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg depuis le 5 décembre 1909 dans le département historique et philologique et membre à part entière de l'Académie des sciences de Russie depuis le 3 avril 1920. Historien remarquable, spécialiste de l'histoire russe du xviie siècle. Doyen de la faculté d'histoire de l'université d'État de Saint-Pétersbourg. En 1930, il est arrêté sur la base d'une fausse conclusion et, après 19 mois d'emprisonnement, exilé à Samara, où il meurt d'une insuffisance cardiaque.
Quelle est l'essence de cette histoire à première vue banale ? Un jeune homme, représentant de la « jeunesse dorée », assiste plus souvent à des concerts et à des représentations d'opéra qu'aux conférences du néo-kantien Alexandre Vvedenski et, naturellement, ne réussit pas à passer son examen à temps. L'oncle du jeune polisson, l'honorable sénateur Avgust Gerke, fait appel à la clémence et demande qu’on permette à son neveu de repasser l'examen. Le doyen l'autorise, le professeur reprogramme l'examen et le jeune homme le passe avec succès. Tout est innocent, mais quelles ombres tragiques de l'histoire se cachent dans le parcours de ces trois personnages que le destin fait se rencontrer au tout début du xxe siècle en une occasion aussi anodine !
Melikentsov devient ensuite critique musical amateur. Ses premiers pas dans ce domaine sont soutenus par Grigori Nikolaevitch Timofeev (1866-1919), musicologue et critique musical russe, proche de Balakirev, Rimski-Korsakov et Stassov, qui collabore à la Gazette musicale russe, au Bulletin d'Europe [le Vestnik de l’Europe ou Bulletin d'Europe est une revue de littérature, de politique, de philosophie et de culture européennes fondée par Nikolaï Mikhaïlovitch Karamzine, parue pour la première fois en janvier 1802, et qui existe toujours], à la Pensée russe [publication mensuelle paneuropéenne sociopolitique et culturelle fondée par Vukol Lavrov en 1880 qui existe encore, désormais publiée à Paris après l’avoir été à Londres dès 1906] et qui est l'époux de la cantatrice Maria Vladimirovna Ianova.
Cher Grigori Nikolaevitch,
Avec votre aimable autorisation, je vous envoie un compte rendu de la représentation de l'opéra italien d'hier. Si vous jugez possible de l'imprimer, je continuerai à vous fournir de telles critiques de temps en temps. Sachant que vous serez au théâtre demain lundi et que vous écrirez donc sur la représentation d'Onéguine, je vais à l'opéra italien mardi pour entendre Manon et je vous enverrai un compte-rendu de la première apparition de Cavalieri. Je vous remercie encore une fois pour votre gentillesse, n'hésitez pas [à me le signaler] si vous trouvez mon écriture inadaptée de quelque manière que ce soit.
Avec tout le respect que je vous dois,
G. Melikentsov.
Pour la première apparition du nouveau ténor M. Anselmi au Théâtre du conservatoire, on a monté Lucia. À l'exception du superbe sextuor du deuxième acte, que l'on écoute encore avec plaisir, la musique de Lucia est dépassée. L'opéra de Donizetti ne peut plus, en soi, intéresser l'auditeur moderne, ni musicalement ni scéniquement ; l'attention du public se porte donc naturellement sur les interprètes, principalement sur M. Anselmi qui, malgré son jeune âge, a acquis une excellente et solide réputation à Varsovie et à Odessa. Les débuts de M. Anselmi peuvent être considérés comme très réussis.
Il a une belle voix, qu'il maîtrise parfaitement et chante avec beaucoup de musicalité et de passion. Si dans le sextuor il eût été souhaitable d'avoir un son un peu plus étoffé, un timbre plus épais, au dernier acte M. Anselmi a réussi à briller par ses aigus puissants et une mezza voce agréable. Après l'aria, rendue avec sincérité et élévation, il a reçu une couronne et a été ovationné. D'une manière générale, sa jeunesse, la ferveur de son interprétation et sa capacité à s'imposer sur scène lui ont assuré un succès important qui est allé crescendo tout au long de la représentation. [Sa renommée] s'était déjà tellement répandue à Saint-Pétersbourg que le jeune chanteur a été accueilli par des applaudissements dès sa première apparition.
On peut dire qu'après ses débuts hier, M. Anselmi a déjà gagné de nombreux admirateurs parmi les assidus de l'opéra italien.
Parmi les autres interprètes, M. Cachman, qui se produisait hier pour la première fois au cours de la présente saison, s'est distingué par l'assurance et la rigueur avec lesquelles il a interprété son rôle. C'est un chanteur intelligent, de bonne école, avec une grande expérience de la scène. Il a reçu un accueil très cordial du public et s’est vu décerner une couronne.
Mme Boronat, qui a brillé par sa colorature et qui, à la demande du public, a dû répéter une partie de son grand air, a rencontré son succès habituel. Le sextuor a également été bissé.
Cher Grigori Nikolaevitch,
Je vous ai appelé hier par téléphone mais vous n'étiez pas au travail. Je voulais vous parler de ce qui suit :
1) La seule représentation d'opéra italien (pour la semaine en cours) qui vaille la peine d'un article est celle du Démon qui a lieu aujourd'hui au Théâtre Maly. Comme vous serez probablement au Concert symphonique russe aujourd'hui, j'écrirai, si vous le souhaitez, sur le Démon et je vous livrerai une critique samedi vers 1 ou 2 h de l'après-midi. [Le Démon est un poème narratif composé par Mikhaïl Lermontov entre 1838 et 1841], pour le Journal du spectateur de théâtre de Saint-Pétersbourg [Ce journal, un hebdomadaire théâtral et littéraire illustré publié en 1903-1905, est la version pétersbourgeoise du Journal du spectateur ou Journal d'un amateur de théâtre, un hebdomadaire illustré de théâtre publié à Moscou en 1889-1891.]
2) Trouveriez-vous opportun de publier mon article de l'année dernière sur Arnoldson dans Mignon ? [Mignon est une tragédie lyrique en trois actes d’Ambroise Thomas sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe]. Il serait bon, par exemple, de joindre l'article du 27 mars à un portrait de l'artiste, que je pourrais livrer.
Le deuxième point se décompose lui aussi en deux questions auxquelles je souhaiterais une réponse directe et franche de votre part.
A) L'article vaut-il la peine d'être imprimé ? Le trouvez-vous mauvais et naïf ?
B) S'il en vaut la peine, prendrez-vous la peine de le publier dans le Journal du spectateur de théâtre de Saint-Pétersbourg ou (si cela vous gêne) préférez-vous que j'agisse en dehors de vous, par exemple, par l'intermédiaire de N. V. Artsybachev ? Je vous demande de ne pas hésiter dans votre réponse et de savoir que, quelle qu'elle soit, j'en comprendrai le véritable sens et la signification. Je vous connais suffisamment pour cela.
Si vous souhaitez me répondre, téléphonez-moi demain (je serai occupé toute la journée d'aujourd'hui) et dites-moi si vous avez besoin de ma critique du Démon et s'il est approprié de me demander de placer l'article.
J'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous avoir dérangé.
Votre dévoué.
G. Melikentsov.
Cher Grigori Nikolaevitch,
L'autre jour, je vous ai promis d'écrire sur la première représentation de Zampa de Hérold, qui aura lieu au théâtre Maly lundi prochain [Zampa ou La Fiancée de marbre est un opéra-comique créé le 3 mai 1831 à l’Opéra-Comique de Paris et composé par Ferdinand Hérold sur un livret en 3 actes de Mélesville, lequel copie assez détestablement la pièce de Molière et l’opéra de Mozart] ; ce faisant, j'ai perdu de vue le fait que Zampa sera joué dans le cadre de l’abonnement et que les billets sont déjà vendus. Est-il possible de m'obtenir des billets plus ou moins chers ? Compte tenu de la situation, auriez-vous l'amabilité de m'envoyer un billet pour Zampa si Plechtcheev vous en fournit un ? Je vous en serai très reconnaissant et vous en donnerai une « vraie critique.
Votre dévoué
G. Melikentsov.
L'étude de l'histoire de la famille Gerke nous convainc que pendant plus de 300 ans [Skorbiachenskaïa considère donc que cette histoire n’est pas close avec la mort de Melikentsov], les représentants de ce clan vivant en Russie ont participé activement à la vie culturelle de notre pays, s'adonnant à la pédagogie et au droit, à la facture de pianos et à la pharmacie, à la musique et au théâtre. Apparentée à beaucoup d'autres, cette famille allemande a pris une place digne dans l'histoire de la Russie, partageant son destin avec le pays.
Sur la toile de fond des intérêts et professions variés de la famille Gerke du facteur de pianos Johann Gerke aux hommes d'aujourd'hui – trois personnes se distinguent. Ces hommes sont au centre du récit. Bien sûr, les musiciens seront d'abord attirés par la figure du pianiste, compositeur et pédagogue Anton Avgustovitch Gerke, professeur de Moussorgski et de Tchaïkovski, chopiniste et schumanniste. Mais son fils Avgust Antonovitch a également joué un rôle important et intéressant dans la culture musicale de la seconde moitié du xixe siècle. Enfin, son petit-neveu, Gueorgui Melikentsov (Gerke), fin connaisseur de l'opéra, critique musical auteur d'articles et de critiques et ami de Spendiarov, est devenu une figure importante de la culture de l'âge d'argent russe.
Existe-t-il des traits ancestraux, héréditaires, chez tous les Gerke ? [Si oui, ce sont] peut-être la sensibilité et la modestie, presque la timidité, dont parle Odoïevski dans la lettre d'accompagnement envoyée en France pour l'attestation d'Anton Gerke. Ce « gerkando » utilisons ce terme sans le sens ironique qu'y a mis Tchaïkovski – a déterminé le destin et la voix douce de tous les Gerke. Mais cette voix modeste est clairement audible dans le bruit de l'histoire, dans les « syncopes tragiques » (V. N. Toporov) du texte musical [de l’histoire musicale] de Saint-Pétersbourg.
Bibliographie
Réarrangée selon l’ordre alphabétique français pour la commodité du lecteur, cette bibliographie est présentée ici en traduction française alors que tous les ouvrages mentionnés sont en russe. La liste des sources et les références ont été supprimées pour la même raison. Les renvois à ces listes en cours de texte ont subi le même sort. L’italique initial a été conservé pour la clarté de la présentation.
Alekseev A. D. Anton Avgustovitch Gerke, 1812–1870 // Alekseev A. D. Pianistes russes : essais et documents sur l'histoire du piano. M.; L., 1948, p. 128–134.
Gerke Anton Avgustovitch, pianiste virtuose. Son esquisse biographique et deux lettres à son sujet par le prince V. F. Odoevski, 1837 // Russkaïa Starina, 1880. Vol. xxviii (août), p. 802–805.
Gerke Anton Avgustovitch // Lexique biographique des compositeurs et figures musicales russes / comp. A.I. Rubets. Saint-Pétersbourg : Publié par le magasin de musique de A. Bitner, 1886, p. 18–20.
Gerke Anton Avgustovitch // Riemann G. Dictionnaire musical. M.; Leipzig, [1901–1904] ,p. 339.
Lomtev D. G. Pétersbourg // Lomtev D. G. Musiciens allemands en Russie : sur l'histoire de la formation des conservatoires russes. M., 1999. P. 60–97. Remarque informations sur Gerke A. A. à la p. 105–106.
Natanson V. Les pianistes russes des années 40-50 du xixe siècle // Questions d'art musical et scénique. Numéro 3. M. : State Music Publishing House, 1962, p. 220–263. Note : à propos de Gerke A. A. à la p. 253–260.
Oulianova R. A. Anton Avgustovitch Gerke : essai musical et journalistique. Nijni Novgorod : 2006. 40 p.
Parshinkova K. « Un artiste dans tous les sens du terme » : Anton Avgustovitch Gerke // Pages méconnues de l'histoire du Conservatoire : almanach, numéro 12. Saint-Pétersbourg, 2011, p. 15–24.
Gerke Anton Avgustovitch // Petrovskaya I. F. Musical Petersburg, 1801–1917 : dictionnaire encyclopédique-recherche. Saint-Pétersbourg, 2009. Vol. 10. Livre 1, p. 231–232.
Porokhina E. S. Pages de l'histoire du département de piano du Conservatoire de Saint-Pétersbourg : Anton Avgustovitch Gerke // Bulletin des jeunes scientifiques. Saint-Pétersbourg, 2006, p. 91–95.
Le processus éducatif au Conservatoire de Saint-Pétersbourg // Sartakova, E. S. Histoire du département de piano du Conservatoire de Saint-Pétersbourg : monographie / [responsable. éd. [S.M. Maltsev]. Saint-Pétersbourg : Olimp-SPb, 2008. Partie 1 : 1862–1872. P. 217–224. Note : leçons de A. A. Gerke, p. 223–224.
Gerke Anton Avgustovitch // Sartakova E. S. Histoire du département de piano du Conservatoire de Saint-Pétersbourg : monographie / [rep. éd. [S.M. Maltsev]; Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Département de critique musicale. Saint-Pétersbourg : Olimp-SPb, 2008. Partie 1 : 1862–1872, p. 67–78.
Archives historiques centrales de l'État de Saint-Pétersbourg. F. 361. Op. 9. Unité h.r. 43. Le cas du professeur de conservatoire A. A. Gerke. 1867–1868. 5 l. ; Liste des professeurs du conservatoire. CGIA SPb. F. 361. Op. 11. D. 1. p. 1–8; [Liste des étudiants de A. A. Gerke pour 1868]. CGIA SPb. F. 361. Op. 11. D. 4, p. 46.
François Buhler
18 juillet 2025
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Vendredi 18 Juillet, 2025 0:25