Opéra Comique, 8 février 2025 —— Frédéric Norac
Joyce El-Khoury (Médée), Julien Behr (Jason), choeur accentus. Photographie © Stefan Brion.
Dans Jamais le dimanche, le film de Jules Dassin de 1960, Melina Mercouri, alias Ilya, la naïve prostituée passionnée de théâtre, affirme contre toute évidence, à la fin d’une représentation de la Médée d’Euripide, que « Non, Médée ne tue pas ses enfants, elle le fait juste croire ». C’est ce que fait, à sa façon, Marie-Eve Signeyrole dans sa production de la Médée de Cherubini, évacuant le cœur même de la tragédie pour nous la proposer dans un registre « sociologique » qui la transforme en un simple fait divers. En introduisant un double de l’héroïne, une femme emprisonnée pour infanticide, elle gomme toute forme de sens tragique dans cette figure mythique, contrainte de sacrifier ses enfants pour supprimer le lien coupable qui l’unit à Jason, et expier ainsi sa « faute » et sa « trahison ».
Le sens profond de l’œuvre disparaît dans une approche anecdotique. Jason est devenu un simple mari volage, un époux violent et un père brutal, qui frappe sa femme, maltraite ses enfants et court tous les jupons qui passent à sa portée. Il fait ses adieux à Médée une canette de bière à la main, comme le plus vulgaire des beaufs pressés d’aller voir la fin du match. L’enjeu du mariage avec Dircé est bien sûr l’argent et le pouvoir, symbolisé par un attaché-case plein d’or (la Toison), une image déjà vue dans l’extraordinaire mise en scène de Krzystof Warlikowski de 2008. Pour faire bonne mesure, Médée qui apparaît au premier acte en mariée « berbère », se retrouve au second dans un camp de fortune de réfugiés où les hommes de main de Créon venu lui signifier son bannissement, violent les femmes sous le regard désespéré d’un prêtre impuissant. Enfin au dernier acte, la metteuse en scène ne donne aucun signe du meurtre. Médée et sa doublure endorment les enfants qui quittent simplement le plateau en douceur. Ajoutons bien sûr que, par souci de parité sans doute, les fils de Jason ne pouvaient être qu’un garçon et une fille. C’est un détail, mais il montre à quel point cette approche est tributaire des mots d’ordre d’une certaine « bien-pensance » actuelle. Tout cela, ajouté à un traitement superficiel de l’alternance parlé-chanté (les dialogues de cet « opéra-comique » sont en alexandrins) laisse une impression peu convaincante. On ne nous épargne évidemment pas la vidéo en direct au premier acte pour le banquet des fiançailles de Dircé, puis les inserts déjà filmés au cours des suivants qui renforcent la banalisation. Le comble dans le genre étant sans doute cet extrait d’un dessin animé où Betty Boop semble préparer une mixture pour empoisonner son petit chien.
Joyce El-Khoury (Médée), Julien Behr (Jason).
Du côté de la distribution, Joyce El Khouri est une Médée assez inégale, peu convaincante dans les dialogues, cherchant les fureurs de son personnage dans une voix un peu légère pour un rôle marqué par le souvenir de grands sopranos dramatiques. Mais on lui reconnaîtra un investissement que la mise en scène pourtant ne favorise guère. Lui répond le Jason tout en force de Julien Behr dont la vocalité un peu uniformément criarde est en phase avec le portrait psychologique qu’en fait la production. Un rien de verdeur dans les aigus de Lila Dufy contribue à la crédibilité de son personnage de jeune femme fragile et prise dans ses sentiments contradictoires. Edwin Crossley-Mercer est la solide basse que réclame Créon et un des seuls dont la diction se révèle pleinement satisfaisante dans les dialogues. La seconde est la Neris exceptionnelle de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur qui réussit le tour de force de donner une authentique variété expressive à son impossible air avec basson obligé du deuxième acte et à ses interminables redites. Dans la fosse, Laurence Equilbey dirige une version énergique et très théâtrale à la tête de l’orchestre Insula en bonne forme. On regrette qu’une pantomime superflue vienne parasiter le magnifique prélude du troisième acte qui devrait évoquer seul les atermoiements douloureux de l’héroïne prise entre ses sentiments maternels et son désir de vengeance. Au rideau, la distribution se taille un succès honorable, mais l’équipe artistique reçoit un accueil où dominent les protestations, laissant entendre combien cette production démagogique a pu frustrer une partie du public qui attendait mieux d’une metteuse en scène souvent talentueuse.
Prochaines représentations les 10, 12, 14 et 16 février.
Spectacle repris à Montpellier les 8, 11 et 13 mars.
Lila Dufy (Dircé), Joyce El-Khoury (Médée). Photographie © Stefan Brion.
Frédéric Norac
8 février 2025
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Lundi 10 Février, 2025 16:09