Paris, Opéra Garnier, 23 janvier 2025 —— Frédéric Norac
Castor et Pollux à l'Opéra de Paris. Photographie © Vincent Pontet.
Le public parisien est paradoxal. Au rideau de cette nouvelle production de Castor et Pollux, le succès est général : chœur, solistes, orchestre, chef et danseurs, tous reçoivent un accueil unanime. Mais lorsque le metteur en scène se présente, une bordée de huées à peine contrebalancée par les bravos et les applaudissements l’accueille. Est-ce sa transposition dans un registre « banlieusard » qui a tant dérangé ? Peter Sellars a en effet transformé la guerre dans laquelle Castor est tué par Lyncée en une simple bagarre de rue et implanté toute l’action dans un décor d’appartement de banlieue d’une laideur indépassable, sur fond de vidéo urbaine d’une totale neutralité. Ce parti-pris est pourtant en parfait accord avec ces chorégraphies hip-hop si applaudies, dans lesquelles se contorsionnent à tout instant un groupe de danseurs, certes plutôt virtuoses, mais dont les mouvements sans cesse répétés dans une improvisation envahissante, finissent par lasser.
La direction d’acteurs en revanche ne manque pas de finesse, retrouvant souvent la gestuelle noble de la tragédie. De belles idées poétiques enrichissent cette vision, tel ce moment de pantomime où le fantôme de Castor rend visite à Telaïre endormie. Mais surtout il associe à ce premier degré assez trivial, une dimension cosmique qui répond au caractère mythologique de l’intrigue., par le biais de magnifiques vidéos dues à Alex MacInnis qui nous entrainent dans les mystères de notre univers infini. On pardonnera à ce grand humaniste qu’est le metteur en scène américain une fin « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » où la méchante Phébé est sauvée du suicide qui devait la punir de sa malveillance et où la « fête de l’univers » qui conclut le livret devient une sorte de « fête des voisins » quelque peu démagogique où tout le monde s’embrasse à qui mieux mieux. Des mystères du cosmos, nous voici descendus d’un coup dans des agapes bon enfant sans lustre. N’oublions pas que la scène finale célèbre en principe la déification des Dioscures et leur ascension au rang d’étoiles.
La réussite de l’ensemble est en grande partie due à Teodor Currentzis à la tête de son ensemble Utopia, remarquable de clarté côté chœur et de précision et d’élégance, côté orchestre. La direction du chef gréco-russe n’est toutefois pas exempte d’un certain maniérisme et d’une tendance à étirer les tempi au-delà du raisonnable, qui fait paraître certains passages interminables. Le grand air de Telaïre « Tristes apprêts, pâles flambeaux », de surcroit susurré par Jeanine de Bique, en est le pire exemple. L’incarnation scénique de la soprano très convaincante souffre un peu de cette retenue vocale où manque un rien de projection. En Castor, Reinoud Van Mechelen est parfaitement à la hauteur de son personnage idéal tandis que le Pollux de Marc Mauillon, bien chantant certes, manque un peu d’étoffe pour ce rôle de baryton héroïque où l’on aimerait une voix plus colorée. Stéphanie d’Oustrac compose une Phébé assez inégale et le meilleur est sans doute à trouver du côté des petits rôles, la basse Nicholas Newton (successivement Mars, un Athlète et Jupiter) ; le ténor Lawrence Kilsby (quatre rôles à lui seul) et, dans une moindre mesure, Claire Antoine en Minerve et Natalia Smirrnova en Vénus. L’intérêt supplémentaire de cette nouvelle production, outre que le chef-d’œuvre de Rameau n’avait pas paru sur une scène parisienne depuis la production du TCE en 2014, est d’en proposer la version originale de 1737 avec le prologue où le talent du metteur en scène se révèle pleinement dans sa capacité à en faire exister les personnages allégoriques et les enjeux.
Spectacle capté sous la direction de Peter Sellars et diffusé sur la plate-forme de « Pop-Opera Play » le 1er février.
Spectacle enregistré par France Musique et diffusé le 22 février à 20 h.
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Samedi 8 Février, 2025 2:25