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Opéra Bastille, 10 octobre   2025 —— Alfred Caron.

Aida, migrante et sacrifiée

Aida, Paris, Opéra-Bastille. Photographie © Opéra de paris - Bernd Uhlig.Aida, Paris, Opéra-Bastille. Photographie © Opéra de paris - Bernd Uhlig.

Dans la nouvelle production d’Aida à l’Opéra Bastille — pas si nouvelle que ça du reste, puisqu’elle a été créée à Salzbourg en 20221 — la plasticienne et vidéaste iranienne Shirin Neshat s’essaie à une nouvelle transposition. L’héroïne n’est plus une esclave éthiopienne, prisonnière de guerre des Égyptiens. Rescapée d’un naufrage de migrants, comme l’annoncent très clairement les images projetées sur l’énorme cube blanc qui servira d’unique décor à sa mise en scène, elle est devenue la compagne de la fille de Pharaon et bientôt sa rivale. Pourquoi pas ! Pourtant, la metteuse en scène a voulu conserver un peu de l’exotisme du livret original en mélangeant les époques et les cultures dans un melting-pot de costumes un rien kitsch. Sa vision ne pouvait accepter les ballets, ni de l’acte II ni de la scène du triomphe. Aussi en a-t-elle fait deux pantomimes. La première assez absconse nous montre un groupe de soldats menaçants, surgissant dans les appartements d’Amnéris et l’on craint un instant que l’on nous inflige un viol collectif qui serait bien dans l’esprit du temps. Mais ils se contentent d’obliger Amnéris, au terme d’un affrontement sans suite avec le groupe de ses femmes, à enfiler cette robe rouge qu’elle refuse, qui sait pourquoi, et qu’elle portera au tableau suivant.

La seconde évoque avec une incroyable violence cette guerre qui a conduit au triomphe de Radamès et s’achève avec l’apparition sur scène de prisonniers que des soldats encadrent et qui les obligeront à se déshabiller (en sous-vêtements seulement). Bien sûr, ils finiront mitraillés, alors que Pharaon (dans le livret) leur a rendu leur liberté. Pour faire bonne mesure, la scène est complétée par le sacrifice rituel d’une jeune femme, exécuté par Radamès lui-même.

Aida, Paris, Opéra-Bastille. Photographie © Opéra de paris - Bernd Uhlig.Aida, Paris, Opéra-Bastille. Photographie © Opéra de paris - Bernd Uhlig.

Avouons que la metteuse en scène y va tout de même un peu fort, mais qu’au fond, en maintenant l’action dans une époque indéfinie et sans la crudité que son propos exigerait (notamment cette pudeur de la fausse nudité), elle reste plutôt du côté d’un certain folklore que d’un discours vraiment militant. 

La vidéo est souvent envahissante, comme le prouve singulièrement le célèbre Air du Nil où elle parasite le chant de Ewa Plonka dont le volume réduit peine à s’imposer dans le grand vaisseau de Bastille. Le prouve aussi à contrario, la réussite du grand duo entre Aida et Radamès qui suit, débarrassé de toute forme de commentaire visuel et où seul demeure leur affrontement qui s’impose dans toute son évidence dramatique et musicale. 

Remplaçant Saioa Hernandez malade, Ewa Plonka est une Aida assez légère, mais bien chantante, dont le médium manque un peu d’ampleur et qui ne donne toute la mesure de ses possibilités que dans les deux derniers actes. À coup sûr elle serait une Aida parfaite dans un théâtre, moitié moins grand. Face à elle, l’Amnéris d’Eve-Maud Hubeaux paraît très limitée dans le grave, ce qui l’oblige souvent à avoir recours au parlando lorsque la tessiture descend trop bas et prouve qu’elle n’est pas le grand soprano dramatique qu’exige le rôle. Le seul à posséder la puissance et la largeur de voix que l’on associe au celui mythique de Radamès est Piotr Beczala, bien que son « Celeste Aida » fasse entendre un aigu instable et le voit incapable d’assurer le « subito piano » sur la note finale de l’air. Il se rattrape largement dans les actes successifs et confère à son personnage l’héroïsme viril qui lui convient grâce à un médium large et sonore et des aigus un peu moins forcés. Sans avoir l’étoffe des très grands Amonasro, Roman Burdenko assure son rôle avec compétence. Deux excellentes basses et un chœur remarquablement préparé complètent ce plateau que Michele Mariotti (déjà à la tête de la précédente production en 2021) conduit de main de maître, avec cette précision et ce raffinement dans le détail qui caractérisent sa manière dans un parfait équilibre entre drame et lyrisme.

Aida, Paris, Opéra-Bastille. Photographie © Opéra de paris.Aida, Paris, Opéra-Bastille. Photographie © Opéra de paris.

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Alfred Caron
10 octobre 2025
© musicologie.org.

1. On peut se demander du reste pourquoi dans une période de restrictions, il était nécessaire de proposer une nouvelle production de l’opéra de Verdi qui est déjà la troisième en tout juste 12 ans. La dernière en date remontant aux sombres années du Covid et n’a, sauf erreur, jamais été vue par le public sinon en streaming. 


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Lundi 13 Octobre, 2025 12:18