Brigitte François-Sappey, Clara Schumann : une icône romantique. « Les grandes biographies », Le Passeur Éditeur, Paris 2023 [ 328 p. ; ISBN 978-2-36890-975-1 ; 17 €].
Compositrice, pianiste virtuose, mère de huit enfants, femme indépendante financièrement : c’est le portrait d’une artiste romantique hautement moderne qu’entend tracer la musicologue Brigitte François-Sappey dans sa biographie Clara Schumann, une icône romantique.
Un récit effervescent, d’une précision remarquable (on suit presque au jour le jour les dates et lieux des concerts de Clara pianiste), s’appuyant sur la lecture récente (en allemand) par la musicologue du journal de Clara Wieck, tenu de sa naissance jusqu’à ses vingt ans, partiellement rédigé par son père Friedrich Wieck.
Une biographie qui peut-être ambitionne de renouveler notre regard sur Clara Schumann : ne plus la considérer comme Doppelgänger, c’est-à-dire comme double de Robert Schumann, mais bien comme compositrice à part entière.
Clara Wieck Schumann est néanmoins loin d’être une compositrice maudite. Pianiste prodige, elle est aussi une créatrice précoce. Née en 1819, ses premières pièces sont publiées chez Hofmeister dès mars 1831 à Leipzig. Son père, compositeur et professeur de piano, l’encourage dans la voie de la composition.
Son concerto pour piano, opus 7, écrit entre 1833 et 1835, dans la lignée de Chopin, est dirigé lors de sa création par Mendelssohn, qui admirait la pianiste et compositrice. Elle aura été complimentée par Berlioz, Liszt, Paganini, Chopin, qui par ailleurs se montrait insensible à la musique de Robert Schumann.
À partir de 1838, l’essentiel de son œuvre sera publié chez le prestigieux éditeur allemand Breitkopf und Härtel.
Ajoutons que sa musique, constituée principalement de pièces pour piano, d’un ample et inspiré trio pour violon, violoncelle et piano et de Lieder raffinés a conquis bon nombre de grands interprètes d’aujourd’hui.
Néanmoins, selon la musicologue, « l’amour et la vie d’une femme » au xixe siècle n’ont pas permis à Clara Schumann un entier déploiement de son potentiel créatif.
Il faut dire que Clara Schumann se calomniait, pour citer Brigitte François-Sappey. Ainsi, elle note le 14 mars 1840 : « Je ne suis pas capable de composer, parfois cela me rend malheureuse, mais c’est réellement impossible. Je n’ai pas de talent (…).
De fait, elle cessera presque complètement de composer après son mariage avec Robert Schumann.
Brigitte François-Sappey ne cherche pas, de son propre aveu, à faire de Clara Schumann « l’égale des phares de la génération romantique ». Sans doute sa musique n’est-elle pas traversée par les visions hallucinées d’un Robert Schumann, mais elle recueille, à juste titre, « l’unanimité des jugements empiriques ».
La carrière de Clara Schumann pianiste est éblouissante. Depuis ses débuts de pianiste surdouée, « sous l’égide d’un père attentif, pédagogue et réputé », jusqu’à son veuvage de quarante années (elle meurt en 1896) pendant lesquelles elle parcourt l’Europe, sans oublier, sur le tard, sa vocation de pédagogue au Conservatoire de Francfort, elle s’impose, de bout en bout, en dépit de son caractère réservé et de ses yeux éternellement mélancoliques, comme une idole européenne. Pour Brahms, elle est l’incarnation divine de la musique (le même déclarant aussi que « les femmes qui composent, quel cauchemar ! »). Clara en son temps, c’est un peu le subjuguant portrait de Laura dans le film de Preminger…
Cette Kunsterleben, cette vie d’artiste aura aussi été labourée par les drames : enfant mutique, confrontée au divorce de ses parents, elle vit « une jeunesse déchirée entre les deux hommes de sa vie, son père et son fiancé » (on le sait, le père de Clara s’opposa violemment à son mariage avec Robert), et le quotidien d’une épouse aux devoirs multiples (Elisabeth Badinter parlerait sans doute de charge mentale). Il y a aussi les faiblesses de Clara, comme son absence à « maintes cérémonies jalonnant la vie de ses enfants, et même à leur mariage ou leur mort », son engagement à publier une édition complète des œuvres de Robert Schumann chez Breitkopf & Härtel, et la programmation de ses œuvres dans ses concerts.
Dans cette biographie qui brille de mille feux, on trouvera aussi des moments d’analyse des œuvres de Clara Schumann présentés dans des encadrés. Un ouvrage à lire absolument.
Michaël Sebaoun
15 novembre 2024
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Vendredi 15 Novembre, 2024 1:54