Opéra Garnier, 30 novembre 2024 — Frédéric Norac
The Rake's Progress, Opéra Garnier. Photographie © Guergana Damianova/OnP.
La reprise au Palais Garnier du Raké's Progress de Stravinsky, dans la mise en scène d’Olivier Py (millésime 2008) prouve que les bonnes productions ne vieillissent pas. On y retrouve les éléments caractéristiques de son style, mélange de réalisme cru et de music-hall clinquant : un penchant pour la nudité féminine façon Crazy Horse et les beaux mecs musclés, au fond un parti-pris parfaitement adapté à l’évocation du bordel de Mother Goose ; une débauche de strass, de lamé et de paillettes, notamment dans le tableau de Baba la Turque ; un travail sur les néons, dont une rosace moderne aux couleurs changeantes qui donne la tonalité des différents tableaux. Les praticables métalliques qui servent de base à la scénographie de Pierre André Weitz permettent de constituer une variété d’espaces fonctionnels et mettent en leur centre un lit omniprésent, emblème de la course à l’abîme de Tom Rakewell dont la sexualité est le moteur principal.
The Rake's Progress, Opéra Garnier. Photographie © Guergana Damianova/OnP.
L’épisode de la machine à pains, et ses ouvriers avec leur drapeau rouge peut paraître un peu sommaire pour caricaturer le capitalisme et ses illusions. De même, le gros ventre d’Ann Trulove puis cette voiture d’enfant qu’elle pousse devant elle, réduit un peu trop la portée et le sens de sa fidélité à Tom. Le personnage est au-delà de ces vicissitudes et l’incarnation du véritable amour, celui qui sauve de la damnation, dans une version inversée de Faust. Mais ce sont de minces réserves en regard de la réussite de l’ensemble, bien soutenu par une distribution de tout premier plan. Le Tom de Ben Bliss est un modèle de ténor anglo-saxon, diction parfaite, timbre lumineux et acteur investi, avec cette candeur et cette mélancolie dans le timbre qui font de la scène finale un brise-cœur. De même Golda Schultz est un parangon de douceur et de suavité et donne à Ann une belle stature de femme courageuse. Un petit bémol sur le Nick Shadow de Iain Patterson qui manque un peu de puissance et de cette noirceur qui devrait caractériser son personnage diabolique. Irrésistible l’extraordinaire Baba de Jamie Barton en femme à barbe comme en costard cravate. Du côté des « petits » rôles, on saluera la Mother Goose de Justina Gringuté, le Trulove de la basse Clive Bayley et surtout le Sellem de Rupert Charlesworth, d’une extraordinaire virtuosité dans la scène de la vente aux enchères où il ne cesse de monter et de descendre des escaliers sans que son chant, remarquable de clarté, en souffre.
The Rake's Progress, Opéra Garnier. Photographie © Guergana Damianova/OnP.
Excellents aussi les chœurs et l’orchestre de l’Opéra placés sous la baguette diligente de Susanna Mäkli qui fait ressortir la modernité de cette partition d’apparence néo-classique malgré parfois un petit déficit de tonus. Plus de soixante ans après sa création, la partition fascinante de Stravinsky et le livret de W.H. Auden et Chester Kallman restent incontestablement parmi les chefs-d’œuvre lyriques du xxe siècle. Et si le conte noir, plein d’ironie et de tendresse, était le spectacle idéal pour un temps de Noël ?
Représentations jusqu’au 23 décembre
Frédéric Norac
30 novembre 2024
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