Rosemonde d’Angleterre
Illustration de « The life and death of Fair Rosamond concubine to King Henry the Second, Shewing her being poisoned by Queen Eleanor », dans : John Ashton, Chap-books of the eighteenth century with facsimiles, notes, and introduction, London, Chatto and Windus, 1882, p. 188-189.
Musique de Gaetano Donizetti, sur un livret de Felice Romani, créé en 1834, Florence, Teatro della Pergola.
Encore un opéra « à deux femmes qui se battent pour un homme ». Librettiste et compositeur devaient être spécialement précautionneux dans ces cas-là pour ne pas froisser une partie importante du public féminin tout en aguichant le public masculin, car le théâtre était un des rares endroits où femmes légitimes et amantes illégitimes se côtoyaient (tout en s’ignorant, bien entendu).
Même si c’est l’homme l’infidèle, la notion de culpabilité est réservée non pas à l’homme, qui n’écoute que son désir, mais à la femme avec qui l’homme veut commettre l’adultère. Car, en bon exemple de société patriarcale, la responsabilité de l’infidélité (même de l’infidélité masculine) est réservée aux femmes.
Notons pourtant que ce n’est pas la femme légitime, c’est « l’autre », l’amante, qui a le rôle principal et qui donne son nom à l’œuvre. Ce qui suppose d’emblée une vision pleine d’empathie pour la femme « pécheresse », la « tentatrice » « responsable » malgré elle de la destruction du ménage.
Historiquement Léonor d’Aquitaine était mariée à Henry II d’Angleterre. Celui-ci avait une amante, Rosamund Clifford, mais gardait sous son œil Léonor qui avait une réputation de femme indépendante. D’ailleurs Henry II finira par emprisonner sa femme qui à son tour encouragera leurs enfants à se révolter contre leur père. La mort de Rosemonde Clifford donnera lieu à des rumeurs d’empoisonnement par sa « rivale » Léonor, rumeurs que le parti de Henry II saura bien exploiter.
Comme dans les vieilles légendes anglaises, dans l’opéra de Donizetti-Romani c’est en effet Rosmonda la gentille et Elenora la méchante. Néanmoins Donizetti et Romani réussissent en effet à ne pas trop noircir la figure de la dernière, toute empoisonneuse qu’elle soit.
L’action donc résulte de ce dilemme : est-ce que Rosmonda doit coucher avec un roi déjà marié ? Doit-elle au contraire partir et se marier avec quelqu’un d’autre en renonçant ainsi à son véritable amour ? Les doutes, les pressions et les commentaires de chaque personnage font avancer l’action jusqu’à la fin tragique : lorsque Rosamunda a enfin décidé de respecter le mariage de son amoureux en partant loin de l’Angleterre — ce qui prouve qu’il s’agît bien d’une « gentille » qui respecte les codes moraux — Elenora survient qui, folle de jalousie, et sans connaître la décision de sa rivale, l’empoisonne.
Bien sûr, il ne pouvait pas manquer un duo entre les deux femmes — comme dans Norma (Bellini/Romani) dans Anna Bolena (Donizetti/Romani), et tant d’autres —, duo d’ailleurs d’une remarquable qualité, comme tous les autres numéros de cet opéra qui mériterait de figurer parmi les grandes réalisations donizettienes.
D’ailleurs, l’air « Perchè no ho del vento » qui pendant tout le xixe siècle remplaça le « Regnava nel silenzio » de Luccia di Lammermoor, est extrait de Rosamunda d'Inghilterra.
Rosmonda d'Inghilterra, acte 1, « Perche non ho del vento », Renée Flemming (Rosmonda), Diana Montague (Arturo), Philharmonia Orchestra, sous la direction de David Parry.
Frédéric Léolla
28 septembre 2024
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