Sei sie Schuld oder Tugend
Alldurchströmende Wärme
Gibt ihr ewige Jugend,
In Schönheit verklärt.
Könnte ich dir mich ergeben!
Fautive ou vertueuse
La chaleur qui l'inonde
lui donne une jeunesse éternelle,
Tranfigurée en beauté.
Si je pouvais me donner à toi !
Voilà les vers passionnés et pleins de sous-entendus qu’Horace, protagoniste du superbe opéra Vénus (Armin Ruëger/Othmar Schoeck) consacre à une statue ancienne qui l’a soumis à sa fascination érotique.
Othmar Schoeck, Venus, acte II. « Habt erbarmen, dunkle machte » (Horace), James O'Neal, Philharmonische Werkstatt Schweiz, sous la direction de Mario Venzago.Dans la société de surabondance occidentale actuelle, où les incitations au sexe sont de plus en plus fréquentes et explicites, il est difficile d’imaginer que des générations et des générations ont eu leurs premiers émois grâce aux statues classiques des jardins ou à certaines œuvres d’art sacré. D’autant plus que chaque génération a tendance à croire que les générations antérieures n’avaient pas de pulsions sexuelles ou qu’elles étaient moindres — et pour cause, ce sont les générations de nos parents et grands-parents qui, il est bien connu, n’ont jamais au grand jamais eu de rapports sexuels, n’est-ce pas ?
Pourtant le sexe a toujours existé, l’incitation au sexe se glissant un peu partout. Et plus on l’interdisait, plus il revenait au galop…
Ainsi, aujourd’hui, en voyant une belle œuvre du passé, notre premier regard est souvent purement esthétique. Devant une statue hellénistique de Zeus, par exemple, nous en admirerons sans doute les proportions, l’expressivité, le degré de complexité technique, l’originalité peut-être… Il est possible que nous passions après à un regard « historique » : que représentait-elle, à qui et à quoi était-elle destinée, comment a-t-elle rempli ses fonctions ? Mais il est possible d’ajouter encore un troisième regard, un regard appelons-le « psychologique » : quels sont les sentiments profonds qui ont nourri l’artiste en créant l’œuvre, quelles ont été les pulsions profondes que l’œuvre à réveillées chez les destinataires, chez les spectateurs.trices occasionnels.lles, chez nous-mêmes…
Car le regard instinctif, le regard dicté par nos pulsions profondes, est aussi le plus puissant, le plus convainquant — d’autant plus qu’il est souvent inconscient, de sorte que l’appréciation qu’il nous dicte, nous cherchons à la justifier par le biais d’autres critères…
Par contre, ce qui pouvait attiser les instincts de nos ancêtres peut aujourd’hui ne plus du tout nous toucher d’un point de vue « animal ». La Vénus de Willendorf, qui a dû causer plus d’un remous chez ses contemporains, suscite chez les nôtres bien moins de soupirs qu’une publicité quelconque actuelle de soutiens-gorges. Il faut devenir pour quelques instants un petit « historien de la sexualité » pour appréhender les enjeux qui pouvaient se cacher derrière des œuvres qui de nous jours semblent avoir moins de « sex-appeal ».
La Vénus de Willendorf.
D’autant plus que le fait d’attribuer certaines productions humaines au domaine de la « Culture » semble bannir de chez elles toute connotation sexuelle. Une Vénus de Milo est donc avant tout une œuvre d’art, et non un corps de femme alléchant, voyons ! Soyons sérieux.se !
Ainsi, des opéras « sulfureux » au moment de leur création, comme La Traviata, Thaïs ou La Favorite, pour n’en citer que trois, semblent maintenant être des ouvrages presque consensuels que les parents les plus scrupuleux n’auront pas de scrupule à faire connaître aux enfants en vue de commencer ou de parfaire leur éducation « culturelle ».
Pourtant c’est souvent ce troisième regard — qui est en fait le premier quoique souvent inconscient — qui explique la fortune ou l’infortune de certaines œuvres : l’émoi sexuel, ou la sympathie que l’œuvre a éveillée chez le.a spectateur.trice de par son intime assimilation à tel ou tel modèle socio-sexuel, sont pour beaucoup dans l’attachement du public à certaines œuvres plus qu’à d’autres. Quitte à choisir entre le portrait d’une jeune belle femme ou d’un jeune bel homme de même qualité et même origine picturale, nos préférences sexuelles dicteront souvent notre élection. Et si l’on doit choisir entre le portrait d’un modèle beau ou celui d’un modèle sans grâce particulière, c’est ordinairement vers le premier que nous nous inclinerons, n’est-ce pas ?
Le cinéma hollywoodien le sait bien, qui, à la tête de ses affiches, place des stars au physique alléchant avec lesquelles le public — ou plutôt les différentes personnes qui composent le public — a établi une sorte de relation proto-amicale ou proto-amoureuse. De sorte que les films où apparaissent Brad Pitt, Angelina Jolie ou les stars à la mode de votre génération ont plus de chances de faire une bonne recette parce que tous.tes ceux et celles qui ont établi des rapports — souvent inconscients — avec ces stars ont envie de les revoir, comme on a envie de revoir nos amis.ies et nos amants.tes.
Tout ceci n’est pas un secret et il se peut que je vous ennuie avec ces vérités de La Palisse.
Ainsi, concernant ce qu’on appelle « l’opéra de répertoire », c’est-à-dire l’ensemble des œuvres lyrico théâtrales qui sont jouées par les maisons d’opéra de par le monde, je suis intimement persuadé que le succès — ou le fiasco — de nombre de ces œuvres au moment de leurs créations et la carrière postérieures de ces œuvres dépendit bien souvent des pulsions sexuelles que chacune d’elles éveillait — ou pas — chez les différents spectateurs-trices. Dépendit aussi des sympathies que les personnages opératiques de chaque œuvre éveillaient dans une société où les amateurs.trices des différentes figures de sexe existaient, conscients.tes ou pas de leurs désirs, sans doute dans la même proportion qu’aujourd’hui, et où la proportion, dans le public, de femmes vivant du commerce de leur sexe — et qui de ce fait vivaient en marge de la bonne société — était importante.
Aussi, de même qu’aujourd’hui les scénaristes et réalisateurs.trices de films et séries télé ont bon soin de dessiner des personnages auxquels le public va pouvoir s’identifier en fonction de leurs origines ethniques, sociales, culturelles, les librettistes et compositeurs d’opéra ne perdaient pas de vue quel allait être leur public.
Et c’est ainsi que, dès que l’opéra sort des cours princières pour devenir un spectacle public à Venise vers les premières décennies du xviie siècle, il se voit peupler non seulement de grands personnages, de héros, de divinités, mais aussi de servants.tes espiègles, de nourrices, de pages, de gardes et autres représentants du menu peuple plus ou moins dévoués à leurs seigneurs et dont la conception de l’amour et de la vie est souvent bien terre à terre…
Claudio Monteverdi, L'incoronazione di Poppea, « Nutrice, quanto pagheresti », Khatouna Gadelia, Rachid Ben Abdeslam, Amel Brahim-Djelloul, Opéra de Lille, sous la direction d'Emmanuelle Haïm, Opéra de Lille,2012.Claudio Monteverdi, L'Orfeo, film (1978), de Jean-Pierre Ponnelle, Philippe Huttenlocher, Trudeliese Schmidt, Roland Hermann, Concentus Musicus, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, enregistré à l'Opéra de Zürich.
Plus tard, au cours du xixe siècle, quand les demi-mondaines et autres grandes horizontales commenceront à tenir le haut du pavé et les secondes loges des grandes maisons lyriques, les livrets se peupleront de pécheresses, de « femmes coupables », de gens qui se « vautrent dans le vice ». Une bonne partie de l’audience en sera reconnaissante et fera tout pour le succès des œuvres ou elle se voit reflétée.
Et puis, il était important non seulement de voir représentée la catégorie socio-sexuelle qui correspondait à chaque spectateur.trice, mais encore de servir sur scène les fantasmes sexuels qui faisaient rêver, des fantasmes qui incitaient à revenir voir l’œuvre en question malgré les scrupules religieux ou moraux…
Toujours, bien entendu, en respectant l’ordre social manifesté dans les « règles de la bienséance » que toute époque a (la nôtre aussi, ne nous voilons pas la face).
Car, comme dans le cinéma Hollywood — qui est à partir du xxe siècle le vrai successeur de l’opéra comme spectacle total jouissant à la fois du prestige culturel, des plus grands investissements humains et financiers, et de la faveur du public — sexe et violence (jadis appelés passion et drame ou encore amour et guerre) sont les deux ingrédients fondamentaux pour garantir le succès d’une œuvre.
Je vous invite à découvrir ou redécouvrir un bon nombre d’opéras sous le prisme du sexe. Parcourons ensemble un monde d’adultères, de bigamie, de cannibalisme et nécrophilie, où le désir féminin existe parfois (pas toujours) et les barytons sont souvent de méchants obsédés, avec quelques exemples de fétichisme, de domination et même d’homosexualité ou d’inceste, avec une abondance de sexe en dehors du mariage, de sexe interracial, interethnique, interreligieux, intersocial, intergénérationnel, avec des ménages à trois, de la pédophilie, de la polygamie, de la polyandrie, des orgies, des bacchanales, du sexe sacrilège, du viol, du voyeurisme, de la traite de blanches, de la zoophilie, où la prostitution règne et trône et où, vice suprême, il y a parfois du sexe légitime et non interdit, voire des exemples de manque total de sexe dans le couple…
Tout ceci dans le cadre prestigieux de ce musée musical qu’est devenu le répertoire opératique, enrobé par les plus belles mélodies créées par l’esprit humain…
Alors, êtes-vous tentés de me suivre ?
[+ suite... ] [+ Sexe et opéra ; table des matières ...]
Frédéric Léolla
24 septembre 2024
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