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Théâtre des Champs-Élysées, 16 octobre 2024 — Frédéric Norac

Rigueur et souplesse : Jakob Lehmann dirige les Siècles

Jakob Lehmann. Photographie © Sercan Sevindik.Jakob Lehmann. Photographie © Sercan Sevindik.

Le retrait de François-Xavier Roth de la scène publique aura permis aux Parisiens de découvrir un jeune chef promis à un bel avenir, Jakob Lehmann est originaire de Berlin, il y a créé en 2015 son propre ensemble, « Eroica Berlin », une formation d’une trentaine de musiciens, mixant instruments d’époque et modernes, avec lequel il vient d’enregistrer une étonnante version de L’Italienne à Alger de Rossini pour le label Panclassics. Il y expérimente une autre façon historiquement informée de diriger la musique du xixe siècle, avec des phrasés et des variations qui en renouvellent profondément le style. Sa démarche n’est pas si loin de celle de l’ensemble les Siècles et, d’évidence, l’accord s’est parfaitement établi entre le chef et l’orchestre qu’il vient de diriger récemment dans Bruckner. Dans ce programme aux sources du Romantisme ; associant la symphonie « Inachevée » de Schubert à la cinquième de Beethoven, avec en intermède la création mondiale d’une pièce du compositeur Christian-Frédéric Bloquert (né en 1997), Ce moment, l’instant, inspirée de Proust selon l’auteur, et couronnée par le second Prix Pisar de composition musicale, on retrouve toutes ses qualités, précision, rigueur et souplesse.

Dans Schubert on est immédiatement séduit par la souplesse de la main du chef et son sens des contrastes qui fait alternativement chanter l’orchestre et gronder la tragédie sans sensation de discontinuité. Le second mouvement paraît moins lisible et immédiat, mais il est vrai qu’il est aussi tout à la fois plus complexe et moins structuré. L’orchestre répond sans faillir à sa direction précise aux gestes expressifs, mais toujours mesurés. Son Beethoven est uniformément tendu, rapide, musclé, parfois aux limites de la sécheresse, basé sur une agogique quasi « Toscaninienne ». Il met en valeur la richesse des timbres des bois et des cuivres qui trouent de leurs remarques quelquefois un peu ironiques un ensemble de cordes parfaitement homogènes. Le moment le plus fascinant de cette interprétation est sûrement le troisième mouvement où le chef fait subtilement murmurer les instruments avant de se lancer dans l’allegro final avec une fureur maîtrisée, achevant le concert sur une note enthousiaste qui lui vaut un beau succès ainsi qu’à l’orchestre visiblement ravi.

Entre les deux pièces de répertoire, la création contemporaine paraît comme une sorte de suspension temporelle. Commençant et s’achevant sur le même pianissimo, elle se construit comme un espace temps quasi cosmique et sans mouvement, sinon celui de l’enrichissement progressif de la texture instrumentale. L’orchestration raffinée avec ses deux ensembles de percussions nous renvoie à un certain classicisme du xxe siècle, et rend la pièce immédiatement familière et confortable pour l’auditeur. Elle laisse aussi une bizarre sensation de « déjà entendu » sur laquelle, il reste toutefois impossible de poser un nom. La direction de Jakob Lehmann et l’exécution instrumentale s’y révèlent d’une remarquable précision et d’une totale subtilité.

À cette occasion le théâtre inaugurait un nouveau dispositif acoustique en fond de scène, plutôt inesthétique, et dont, du parterre, il est bien difficile de juger l’efficacité.

plume_07 Frédéric Norac
16 octobre 2024
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Vendredi 18 Octobre, 2024 15:12